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Odile Decq - ODBC Architectes

L'étoile noire

Impénétrable. Flamboyante. Mystérieuse. Décalée. Déjantée. Les qualificatifs s’accumulent et s’enchaînent sans jamais parvenir à percer vraiment le cas Odile Decq. Celui d’une femme-architecte, parée d’un look aux allures d’armure qui a toujours voulu mener son chemin comme elle l’entendait, sans compromis ni compromissions. Mais avec un désir profond et jamais inassouvi de faire des ouvrages utiles, des ouvrages au service de l’Autre. Rencontre avec une femme-passion, consacrée sur la scène internationale pour son talent d’architecte, d’enseignante et de directrice d’école, pour son talent d’artiste…

Troisième d’une famille de sept enfants, Odile Decq n’était pas vraiment le prototype d’une enfant facile. Très bonne élève jusqu’en primaire, elle se découvre, à partir de la 6e, une vocation de rebelle.

Vocation qu’elle exploite à souhait dans une école catholique de filles de Laval. La découverte du théâtre ouvre à la jeune fille des horizons insoupçonnés. Mai 1968 sonne le glas des espérances de ses parents.

De redoublements en exclusions, la jeune fille intègre un lycée technique pour suivre une filière économique. Repérée par un professeur d’histoire-géographie, elle décroche finalement, contre l’avis de son père et en auditeur libre, un bac A... La bachelière au parcours scolaire sinueux veut gagner Paris pour l’Ecole des Arts Deco. Ses parents s’y opposent. Elle arrive tout de même à arracher Rennes et s’inscrit en histoire de l’art. « Au cours de ma première année, j’ai rencontré des étudiants qui voulaient faire une école d’architecture », raconte Odile Decq. C’est sa première rencontre avec une vocation.

En 1972, elle passe le concours d’architecture de l’école de Rennes. Avec succès. Son père, peu convaincu par la nouvelle lubie de sa fille, provoque tout de même une rencontre avec un ami architecte. « Nous avons besoin de filles dans la profession. Ce sont elles qui, demain, sauront dessiner les placards des cuisines », lui lance- t-il en substance. Une phrase qui joue un rôle de déclencheur. Odile Decq sera architecte. « Une fois la décision prise, je suis de celles qui foncent. J’ai toujours su que j’y arriverais »…

Mais le chemin sera long et parsemé d’embûches. Au début des années 1970, l’architecture est encore un métier difficile, un métier d’hommes où « il faut se battre, s’imposer, aller à la castagne ». Or, « les femmes ne sont pas formatées à l’origine pour cela. Sans doute parce qu’elles ont d’autres options », lâche une femme plus militante que féministe. Odile Decq sait que la partie ne sera pas facile. Mais elle s’accroche. La rencontre avec Benoît Cornette, un étudiant en médecine passionné d’architecture, finit de la convaincre. Odile décide de gagner la Capitale pour poursuivre ses études d’architecture pendant que Benoît termine ses études de médecine à Rennes. Il la rejoindra ensuite pour entamer lui aussi des études d’architecture.

L’essor de la commande publique

Libre et indépendant, le jeune couple se démène à Paris pour pouvoir vivre sa passion commune. Odile Decq court les petits boulots. Son diplôme d’architecte DPLG, elle le décroche en 1978. Elle se souvient encore du moment où elle a prêté serment à Angers, devant une brochette d’architectes masculins, pas peu surpris de voir débouler une jeune femme alors blonde au look pour le moins décalé.

Un an plus tard, elle obtient un DESS d’urbanisme et d’aménagement à l’Institut Politiques de Paris. Mais ce que la jeune femme souhaite par-dessus tout, c’est monter sa propre agence. « Je n’ai jamais voulu travailler pour quelqu’un d’autre que moi », reconnaît-elle. Opiniâtre et fonceuse, elle crée, dès 1980, sa propre agence. Un pari audacieux dans un secteur où le concept de jeune architecte n’existe pas alors qu’une grosse génération débarque sur le marché.

La chance sourit, une nouvelle fois, à Odile Decq. Un de ses professeurs la convainc de répondre à un appel d’offres du Moniteur à la recherche de jeunes architectes pour enquêter sur la qualité des constructions publiques. Le secteur, en pleine révolution, peine alors à dénicher de nouvelles recrues. Odile Decq sera de celles-là. Pendant un mois, elle sillonne l’Europe de l’Ouest, épuisant des idées pour réformer la commande publique en France.

« D’Allemagne, nous ramenons l’idée du concours qui n’existait pas dans notre pays et le passage du privé au public. Nous fabriquons la réflexion sur la réforme de la commande publique », se souvient l’architecte. Dans l’Hexagone, cet épisode marque un tournant pour toute une génération de ses contemporains. Une directive puis une loi en 1987 transforme le besoin en nécessité. Le gouvernement semble avoir à coeur d’ouvrir le système.

Avec son diplôme d’urbaniste, Odile Decq s’est forgé une petite notoriété en ce domaine. En attendant, il faut bien vivre. Et la jeune femme ne ménage pas sa peine pour multiplier les petits projets. Fin 1985, elle crée, avec son compagnon, Odile Decq Benoît Cornette Architectes Urbanistes. « Je me fixe des objectifs avant de me mettre en condition pour y arriver. Il faut savoir saisir les opportunités sans pour autant faire de compromis », théorise-t-elle.

Premiers succès

Pendant cinq ans, le tandem enchaîne les concours. En 1990, il décroche, avec de l’audace et du panache, le siège de la Banque Populaire de l’Ouest à Rennes. Avec leur proposition d’un bâtiment tout en transparence ouvert sur la campagne, le couple parisien rafle la mise au nez et à la barbe des notables de la région. Leur travail les propulse littéralement dans la lumière et sur la scène internationale. Odile Decq et Benoît Cornette seront récompensés par une dizaine de prix pour cet ouvrage résolument novateur.

C’est la reconnaissance du couple d’architectes, de leur agence, de leur façon de travailler, de leur talent. Ironie de l’histoire : cette reconnaissance explose au coeur du pays d’Odile Decq, sa patrie natale, qu’elle a quitté fâchée. Elle y revient de la plus belle manière qui soit, avec une oeuvre monumentale, un formidable voile de verre qui laissera exploser leur talent. Depuis, Odile Decq, malouine de coeur, reste fidèle à la Cité corsaire.

Les années 1990 seront, pour le couple, celles de l’explosion. Elles seront aussi celles de l’inspiration britannique. A Londres, ils vont puiser des idées, s’imprégner d’une contre-culture, arpenter les dimanches matin, les chantiers des Docks. Ils y découvrent la structure métallique, hument un air nouveau. « La Grande-Bretagne, c’est une vision plus structurelle. C’était un enseignement sur les formes, les volumes, la descente de charges », compare-t-elle. Le couple, qui aime vivre en dehors des sentiers battus, s’y sent bien. Il tente même, un temps, d’y planter boutique. Peine perdue : la Grande-Bretagne reste splendidement isolationniste.

En dépit d’une certaine réputation, Odile Decq Benoît Cornette Architectes Urbanistes demeure une petite agence. « Pendant dix ans, nous avons mangé des pommes de terre. L’époque était très dure. Mais nous vivions cette période passionnément, dans une excitation permanente. » La petite entreprise travaille d’arrache- pied, postule à tous les concours ou presque. Le travail et le talent payent enfin.

Entre 1992 et 1994, le couple répond à 24 concours. Tous ne verront pas le jour comme le siège du Cnasea. Certains seront en partie réalisés comme deux bâtiments de l’Université de Nantes. D’autres ne sont toujours pas achevés à l’image du réaménagement du port de Gennevilliers dont Odile Decq est l’architecte en chef. Une poignée enfin a été menée à son terme. C’est le cas du centre de contrôle de l’autoroute A14 à Nanterre et de son viaduc. Mais l’agence prend de l’étoffe.

L’heure de la consécration

Tous ces projets, Odile Decq et Benoît Cornette les doivent exclusivement à la commande publique, se forgeant une certaine image. « A cette époque, notre architecture faisait peur », reconnaît-elle. Leur look ne les sert pas. Pour autant, ces deux-là ouvrent la porte à une cohorte d’architectes différents comme Rudy Ricciotti, Jacques Ferrier ou Frédéric Borel. Des architectes qui se retrouvent à l’occasion de l’exposition « 40 en dessous de 40 » en 1991 puis à la Biennale de Venise un an plus tard.

Venise… Odile Decq et son compagnon ne savent pas encore qu’ils seront les lauréats du Lion d’Or quatre ans plus tard. En attendant, l’agence se bâtit une réputation qui vaut à l’architecte d’être pressentie pour enseigner à l’Ecole Supérieure d’Architecture. Ce défi plaît à Odile Decq. Fondée en réaction contre l’Académisme des Beaux Arts, l’ESA est la seule école privée de Paris et la plus ancienne de France.

Après Rennes en 1990, 1996 marque une deuxième date clé dans le parcours ascensionnel de l’agence ODBC, désormais Lion d’Or. Leurs ouvrages sont plébiscités. L’heure de la consécration a enfin sonné pour les deux architectes à la notoriété internationale. Un événement tragique vient briser cette ascension fulgurante. Benoît Cornette perd la vie dans un accident de voiture. Odile Decq continuera seule le sillon tracé à deux.

« J’ai eu une période de passage à vide. On pensait que je n’étais pas capable de me débrouiller sans Benoît alors que, dans notre couple professionnel, j’étais plutôt celle qui allait chercher les projets », met-elle au point. Les commandes se font plus rares. Le doute la gagne un instant. « Je ne suis pas condamnée à faire de l’architecture toute ma vie », pense-t-elle alors. Le concours pour la réalisation de l’extension du musée d’art contemporain de Rome (MACRO) trois ans plus tard lui donne un « grand appel d’air ». Il la conforte également sur la stratégie de l’agence qui conserve, comme aujourd’hui encore, l’acronyme, ODBC.

Portée par l’international, Odile Decq a du mal à trouver la place qui lui revient en France. « J’avais une image un peu avant-guardiste », reconnaît-elle aujourd’hui sans rien regretter. Peu importe l’image. Publiée à de très nombreuses reprises, l’architecte parcourt le monde de conférences en cours. L’université de Bartlett à Londres en 2000, Columbia à New York en 2001 et 2003, Kunst Akademie de Vienne en 2004, Kunst Academie de Dusseldorf en 2004 et 2005 : le savoir d’Odile Decq est recherché, plébiscité.

En 2007, l’Ecole Supérieure d’Architecture de Paris l’élit à la direction de l’établissement. Odile n’enseigne plus mais nourrit de grandes ambitions pour l’ESA. « Mon projet était de transformer cette école et de la monter au niveau international », confie-t-elle. Pari gagné avec un pourcentage de 35 % d’étudiants et 15 % de professeurs étrangers. Son seul regret reste la proportion des femmes dans son école, la plus faible d’Europe. « Une question de coût de scolarité sans doute », cherche-t-elle a expliquer.

Reconnaissance en France

Professeur, directrice d’école, Odile Decq reste une architecte éclectique, s’amusant à mélanger les « petits projets » et les grands concours, le design et l’art contemporain, l’urbanisme et le mobilier. « Je prépare une lampe pour le musée de Rome, je travaille sur du mobilier pour l’Unesco. J’ai créé un jardin/installation noire pour le Festival des Jardins de Chaumont. Je m’apprête à livrer le restaurant de l’Opéra Garnier. Je planche sur un livre d’artiste », énumère-t-elle. La variété des ouvrages plaît à l’architecte à l’âme d’artiste. On la croit volontiers quand elle dit « aimer toucher à tout ». Comme on la croit volontiers quand elle se définit « addict au travail ».

Entre un travail sur une lampe et les 400 hectares du Port de Gennevilliers, Odile Decq ne se sent pas déboussolée. « J’aime changer d’échelle », confie-t-elle, assez peu préoccupée par la taille de son ego. Après avoir été estampillée commande publique dans ses premières années, elle aime que la variété soit aujourd’hui « sa marque de fabrique » et ne veut s’affilier à aucun courant. Elle livrera, fin 2011, le chantier du FRAC Bretagne à Rennes – « un bâtiment conçu comme un musée » - ainsi que le siège social de GL Events sur La Confluence à Lyon fin 2012. Elle planche, dans le même temps, sur trois petites maisons pour des Anglais, un immeuble de logements sociaux à Lille, un éco-quartier à Valenciennes, le terminal passager du port de Tanger Med – en suspens – et bien d’autres sujets.

A cette liste non exhaustive, pourquoi pas une tour de bureaux à La Défense ? « Un vrai sujet », reconnaît-elle. « L’immobilier de bureaux a besoin de nous. Ce qui m’intéresse, c’est de repenser le bureau à partir de l’évolution des modes de travail. Je crois à la tour mixte. Elle est fondamentale. Il faut arrêter de s’étaler pour préserver notre territoire. Il faut arrêter de vouloir préserver le gros cake parisien tranché par Haussmann », partage cette architecte engagée qui se définit comme une bretonne européenne.

Une interrogation la taraude tout de même : l’utilité de sa mission. « Je sais faire de la belle architecture, de l’architecture qui fonctionne. Est-ce pour autant fondamental ? », se questionne-t-elle sans avoir la réponse. Les visiteurs du MACRO le 28 mai 2010 lui ont déjà donné la réponse. Pudique, elle se gardera bien de la répéter.

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