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S. Keyhani, P. Prince - Taj, Société d'Avocats

Pratique des redressements fiscaux dans le secteur de l’immobilier d’entreprise

Les redressements fiscaux intéressant les entreprises en matière immobilière touchent tant au domaine de la fiscalité directe que de la TVA et des droits d’enregistrement. Les profonds changements intervenus en 2010 avec la réforme de la TVA immobilière laissent présager des discussions complexes avec l’administration fiscale à l’occasion des contrôles fiscaux futurs tant les difficultés pratiques peuvent être nombreuses.

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En matière de fiscalité directe également, l’Administration dispose de quelques angles d’attaque spécifiques à l’immobilier. S’il s’agit pour certains de redressements que l’on pourrait qualifier de « classiques » (provisions, management fees, dépenses de travaux à immobiliser…), on relèvera pour d’autres des positions plus audacieuses, comme en témoignent certains de ceux notifiés récemment dans les domaines de l’immobilier commercial et hôtelier. Quelques cas illustreront ici cette dernière tendance.

La pratique des contributions versées aux locataires

Dans l’immobilier commercial, il est fréquent de constater lors de la conclusion d’un bail commercial, la mise en place par le bailleur d’une franchise de loyers permettant au preneur de financer ses travaux d’aménagements. Cette pratique est courante dans les centres commerciaux, lorsque le bail porte sur une cellule vide que le preneur doit aménager pour la mettre en conformité aux standards de la marque. S’agissant d’éléments de négociation commerciale entre tiers, l’Administration n’est pas fondée à remettre en cause une telle pratique, sauf à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise. La déduction fiscale est en conséquence admise sans difficulté majeure. Il en va différemment lorsque le bailleur, animé par la volonté de disposer d’un argument attractif supplémentaire, recourt au versement d’une contribution financière en lieu et place de la franchise de loyers.

Ainsi, à l’occasion du contrôle fiscal opéré sur une société propriétaire des murs d’un centre commercial, la déductibilité fiscale de telles contributions a été rejetée au motif qu’en contribuant à attirer des marques réputées et en améliorant l’attractivité du centre commercial, ces versements valorisent l’ensemble immobilier et sont porteures d’avantages économiques futurs. Selon l’Administration, ces versements, en ayant pour contrepartie l’engagement du preneur à bail d’occuper les locaux aux conditions contractuelles, revêtiraient la nature d’un actif incorporel. Un tel actif ne pouvant être amorti, ces charges ne sauraient donner lieu à déduction fiscale que lors de la résiliation du bail à l’origine de leur versement.

Une telle approche qui va à l’encontre du traitement comptable retenu par la société contrôlée tel qu’il a été validé par les Commissaires aux Comptes, est contestable dès lors qu’elle repose sur l’existence d’une hypothétique valorisation de l’immeuble. Or, le versement d’une contribution aux frais d’installation de certains preneurs ne génère en lui-même aucune source régulière de profits et aucune valorisation de l’actif, contrairement au contrat de bail dont il faut les distinguer. A défaut de précédents jurisprudentiels, de tels redressements ne font qu’ouvrir la porte à de longs et difficiles contentieux devant les tribunaux.

La remise en cause des méthodes d’amortissement par composants

Depuis la réforme applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, la méthode d’amortissement dite par composants exige de ventiler le prix d’acquisition d’un actif, notamment immobilier, entre chacun de ses composants d’une part, et la structure d’autre part. Chaque élément ainsi décomposé doit être amorti selon sa durée d’utilisation propre.

En pratique, les entreprises se fondent généralement sur les préconisations d’un rapport d’expert pour identifier les composants et en déterminer le plan d’amortissement. S’agissant d’expertises indépendantes et d’une véritable démarche technique, il est rare de voir l’administration fiscale se hasarder à remettre en cause les ventilations opérées et ce, d’autant plus qu’en pratique le résultat obtenu devrait se limiter à un effet dit « timing », c’est-à-dire de simple report dans le temps de la déduction fiscale de l’essentiel des amortissements.

C’est pourtant ce que les services fiscaux se sont risqués à faire à l’occasion de contrôles portant sur des sociétés dont l’actif était composé de plusieurs catégories d’immeubles. Dans ce contexte, les préconisations du rapport d’expert ont été remises en cause, lesquelles étaient fondées sur une analyse par composants fonction de catégories d’immeubles considérés comme homogènes. Faisant état d’une insuffisance de description de l’approche méthodologique de l’expert, l’Administration a tenté de rejeter la ventilation retenue mais sans pour autant faire preuve d’une analyse plus fine des données de l’espèce.

La recommandation à retenir reste de s’assurer que le rapport d’expertise est suffisamment explicite quant à la méthodologie appliquée et que celle-ci est fondée sur une analyse aussi fine que possible par actif. Ainsi une approche par catégorie d’immeubles présentant les mêmes caractéristiques devra être appuyée de raisons objectives (caractéristiques et localisation identiques, …).

La pratique des honoraires de gestion hôtelière

Dans le domaine hôtelier, pour justifier la remise en cause des charges supportées pour les différents services facturés par le gestionnaire de l’hôtel, l’Administration tente de démontrer l’existence d’une dépendance économique entre l’exploitant du fonds et le gérant. Ainsi, à l’occasion de contrôles fiscaux portant sur des hôtels parisiens prestigieux, l’Administration a-t-elle tenté de rejeter la déductibilité fiscale des honoraires de marketing, de programme de fidélité, de publicité, ou de royalties facturés en raison des liens de dépendance économique prétendument avérés avec l’exploitant. Bien que ces redressements aient finalement été abandonnés, ils témoignent d’une certaine audace de l’administration fiscale dans son approche.

L’évaluation des entrepôts logistiques

En matière de fiscalité locale, la tendance est paradoxalement au maintien des positions soutenues depuis plusieurs années, comme en témoignent les redressements visant à changer le mode d’évaluation des entrepôts logistiques et de grande capacité pour les besoins de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises. Un changement de mode d’évaluation au profit de la méthode comptable applicable aux établissements industriels permet en effet à l’Administration de baser la valeur locative foncière imposable, non pas sur un tarif de référence au m2 comme c’est le cas pour les locaux commerciaux, mais sur le prix de revient des terrains et constructions. Or, cette requalification ne peut être justifiée qu’au regard d’une analyse non seulement quantitative des moyens techniques mis en oeuvre, mais également qualitative. Ainsi, le caractère important des moyens techniques utilisés ne suffit pas pour justifier le changement de méthode, encore faut-il que leur mise en oeuvre ait un rôle prépondérant.

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