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Dette environnementale des groupes de sociétés après la loi « Grenelle 2 » : quels enjeux pour la gestion des actifs immobiliers ?

A côté de la responsabilité accrue des producteurs de déchets ou de l’extension du bilan social et environnemental des sociétés cotées, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (« Grenelle 2 ») a substantiellement modifié la portée des engagements économiques et juridiques des sociétés mères sous un angle inédit : la prise en charge financière de la pollution des sols causée par les filiales, marquant ainsi un tournant majeur pour les groupes dans la gestion de leurs actifs.

Rappelons qu’en vertu du régime des installations classées – qui, au passage, concerne de très nombreuses activités – certaines sociétés peuvent être exposées à une obligation légale de « dépollution » des sites qu’elles exploitent où qu’elles ont exploités, et ce en cas de cessation d’activité. L’article L512-17 du code de l’environnement, inspiré de l’action en responsabilité des dirigeants pour insuffisance d’actif (art. L651-2 du code de commerce) permet désormais, à certaines conditions, de transférer la charge financière de cette obligation aux sociétés mères pour les pollutions causées par l’activité de leurs filiales défaillantes, dérogeant au principe de l’autonomie juridique des personnes morales.

L’objectif est de pallier les difficultés pratiques de l’action administrative dans le domaine de la gestion des « sites orphelins », récemment illustrées par l’affaire Metaleurop où la dette environnementale, générée par l’obligation légale précitée, n’avait pas pu être mise à la charge du groupe, laissant alors à la collectivité toute entière le soin d’en supporter les conséquences.

En substance, c’est le préfet, le ministère public et/ou le liquidateur qui peuvent mettre en œuvre ce mécanisme de transfert de la dette depuis la filiale dont le capital est détenu, pour plus de la moitié, par sa société mère, ce qui constitue déjà une première limite importante au mécanisme de transfert de responsabilité. En outre, la filiale défaillante doit nécessairement faire l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire.

Pour obtenir la condamnation de la société mère, les parties intéressées devront démontrer l’existence d’une faute en relation de causalité avec un dommage, en l’occurrence d’une « faute caractérisée ayant contribué à une insuffisance d’actif de la filiale », déconnectant ainsi la faute de l’obligation de « dépollution ». L’insuffisance d’actif, qui constitue le dommage et qui s’apprécie au jour où la juridiction statue, correspond à la fraction des dettes non couvertes par les biens sociaux, le passif résultant des créances vérifiées et admises.

S’il est encore trop tôt pour juger de l’effectivité pratique du mécanisme, cette évolution appelle plusieurs réflexions.

C’est d’abord une montée en puissance de la « dette environnementale » des groupes, avant tout industriels, mais pas seulement : les groupes intervenant dans le secteur de l’immobilier sont également concernés et devront redoubler de vigilance dans leurs acquisitions ou la négociation de leurs cessions. C’est désormais par le biais d’une faute de gestion de la « mère » vis-à-vis de sa « fille » (ou « petite fille ») que le juge pourra sanctionner financièrement le groupe.

Certes, il s’agit d’une simple faculté d’action pour les parties intéressées (préfet, liquidateur et ministère public), mais l’on peut supposer qu’elles n’hésiteront pas à s’engouffrer dans cette voie dès que l’occasion se présentera.

Les actifs immobiliers potentiellement pollués entrés dans le patrimoine des groupes à la suite de restructurations ou d’opérations classiques de fusions-acquisitions devront être dorénavant gérés comme une véritable dette environnementale à inscrire au passif des sociétés mères. Il conviendra également d’en mesurer les conséquences au plan assurantiel, car il s’agit là d’un risque qui, en principe, ne devrait pas être couvert au titre de la responsabilité civile (RC), à défaut de souscription d’une police spéciale.

L’une des difficultés essentielles sera alors d’évaluer le coût de la « dépollution » qui est susceptible de peser – parfois très lourdement – dans les comptes des sociétés détentrices de ces catégories d’actifs. Il s’agit d’un exercice délicat qui sera fonction de l’usage futur du site, lui-même évolutif, sachant que le juge sera seul compétent pour apprécier le montant de la dette finale. Si des outils techniques existent pour évaluer la dette a priori, c’est avant tout dans le fonctionnement interne des groupes que des solutions seront trouvées en vue d’une approche plus structurée de ce type de risque.

Une circulaire du ministère de l’Ecologie, à paraître prochainement, devrait préciser les conditions d’application du dispositif. A noter que la situation de faillite de la société Citron, exploitant un site de recyclage de déchets basé à Rogerville, dans lequel un sinistre est survenu en octobre 2010, pourrait susciter un premier cas d’application. A suivre, donc.