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Thierry Laroue-Pont - BNP Paribas Real Estate

Broker né

Thierry Laroue-Pont porte à merveille le costume impeccable du broker parisien. Derrière cette armure de choc assumée, se cache pourtant un homme au parcours peu lisse et à la destinée hors du commun. Le prototype de l’anti-conformiste par excellence, qui en joue assez peu mais sait en tirer profit au moment idoine. Itinéraire d’un broker pas du tout comme les autres…

Rien ne prédisposait Thierry Laroue-Pont à épouser une carrière immobilière et encore moins le métier de broker.

Ni son éducation. Ni son univers. Dijonnais de souche mais itinérant de fait, il se définit sans complexe comme « un pur produit de la campagne, un pur bourguignon », bien éloigné des stéréotypes de l’agent immobilier parisien qui essaime les soirées mondaines. Sa mère, apprenant son choix professionnel, lui aura même rétorqué un jour : « C’est que nous sommes tombés bien bas ». L’anecdote le fait encore rire aux éclats.

Son père, professeur de russe, communiste affirmé, changeait de bourgade tous les deux ans environ. La petite famille suit. « Pendant longtemps, mes meilleurs amis étaient les fils de militaires », se souvient-il, affublé d’un humour dont il se départit peu. Petit-fils et fils d’instituteurs, le jeune garçon grandit dans un milieu modeste, mâtiné de méritocratie à la française. Un milieu où trônait encore, à la maison, le buste de Lénine. Sans surprise, Thierry Laroue-Pont est un très bon élève, le premier d’entre eux. « Un besogneux au-delà du raisonnable», définit-il, « à ne pas confondre avec un travailleur », souligne cet amoureux des mots justes. « J’étais un angoissé de la note. Je me mettais la pression tout seul », se souvient-il. La méthode paye puisque après son Bac en 1980 (option latin et grec !), il se destine à une carrière dans la fonction publique, dans la droite lignée de ses ascendants.

Après Sciences Po à Lyon en 1983, le jeune homme aurait pu tenter l’ENA. « Mais je sentais que cela allait prendre du temps », avoue-t-il. Et du temps, il en a assez peu. Depuis la mort de son père l’année de son dixième anniversaire, les temps sont durs à la maison. Il enchaîne donc maîtrise de droit et de sciences politiques et 3e cycle. « Les finances étaient très tendues. J’ai vraiment dû me mettre à travailler », se souvient-il. « C’est comme cela »…

Premier emploi, premier coup du destin : le quai d’Orsay. Le jeune homme, qui a fait ses classes au 120e régiment de Fontainebleau, est repéré par un fonctionnaire qui lui tient à peu près ce langage : « Vous avez fait Sciences Po. Vous parlez anglais, allemand et russe. Vous n’êtes pas pistonné. Vous ferez un très bon élément. ». Il n’en faut pas plus pour convaincre Thierry Laroue-Pont qui travaille d’arrache-pied. En dix mois, il apprend dix ans d’us et coutumes parisiennes. Et y prend goût. Provincial de naissance, il sera parisien d’adoption. La finesse de ce milieu le séduit. Il s’est trouvé un fief. Reste à dénicher la vocation…

Premiers pas chez Jones Lang Wootton

1987 : Premier entretien dans l’immobilier. Il s’en souvient encore. Thierry Laroue-Pont est homme qui sait écouter les conseils avisés. Il suivra, cette fois-ci, ceux d’un chasseur de têtes bien inspiré qui lui conseille d’essayer cette voie et lui cite le nom de Jones Lang Wootton. Les jeunes diplômés, de surcroît polyglottes, y sont rares. Les opportunités sont grandes à qui sait être un peu imaginatif.

Reçu par Robert Waterland, Thierry Laroue-Pont devra, pour ce bout d’essai, passer aussi sous les fourches caudines de Jean-Jacques Bertrand et Janet Stewart-Goatley. De ce trio de choc, le jeune diplômé garde un bon souvenir. Le premier l’affecte au QCA car il trouve qu’il a de beaux costumes. Le second lui demande quel est son rapport avec l’argent. Question à laquelle le candidat répond du tac-au-tac : « Aucun mais grâce à vous, j’espère que cela va changer ». Il reste d’ailleurs persuadé que c’est un peu pour cela qu’il a été embauché. Quant à la troisième, c’est sa marraine. Elle lui inculque la méthode broker des années 1980 : « Un annuaire, une table et un téléphone ».

À l’instar de tous les bons élèves, Thierry Laroue-Pont apprend vite, très vite un métier à l’orée de sa gloire. Dans l’immobilier d’entreprise, il rencontre des personnalités attachantes, se frotte à quelques Anglais, « des cadors de l’immobilier » comme Howard Ronson, Paul Raingold ou Miles d’Arcy Irvine, Philippe Camus et Laurel Bellier. Il n’a pas oublié qu’il a participé au succès de la commercialisation de grands projets : River Défense, River Plaza, Défense Ouest avec HRO, Stadium, Crystal Défense et « l’apothéose » Crystal Park avec GCI. Ses années de gloire…

Une fois de plus, Thierry Laroue-Pont se plaît à franchir des frontières, passe un pas hors du QCA, regarde un peu plus loin. C’est cette curiosité doublée d’un grand sens du service rendu au client qui l’emmène à la Madeleine où il décroche la commercialisation des Trois Quartiers, puis vers le square Edouard VII, qui se reconstruit. L’opération est un succès. Elle s’achève par la vente à une SFL emmenée par Yves Defline et Olivier Wigniolle. Cette dernière opération est décisive dans sa carrière. Elle lui donne définitivement ses galons de broker, au sens noble du terme. « Edouard VII m’a un peu sorti du placard chez Jones Lang Wooton », lâche-t-il. Elle le rend, en tout cas, très visible par le marché. C’est à ce moment-là que le quadra fait la rencontre des équipes de Guillaume Poitrinal chez Unibail. L’épopée Coeur Défense, l’aventure Capital 8, la restructuration du Cnit et maintenant So Ouest à Levallois : Thierry Laroue-Pont est un homme fidèle. « C’est une vertu capitale pour moi. Dans ce milieu, il faut des années pour se construire une réputation et entre 3 à 6 mois pour la détruire », résume-t-il.

A 40 ans, le n°3 de Jones Lang devenu LaSalle est l’un des quelques hommes incontournables de la transaction locative à Paris. En 2004, les résultats du conseil en immobilier d’entreprise sont très bons. C’est ce moment que Thierry Laroue-Pont choisit pour quitter la maison JLL au bout de 17 ans de bons et loyaux services. « Si je ne le fais pas à 40 ans, je ne le ferais jamais », décide-t- il non sans hésiter. Deux raisons motivent ce choix : « J’avais le sentiment de ne plus me renouveler dans l’entreprise et j’ai fait la rencontre de Philippe Zivkovic », énumère-t-il.

L’aventure BNP Paribas Real Estate

La première rencontre avec le patron de BNP Paribas Real Estate dans un bar d’un grand hôtel parisien est plutôt… originale. Thierry Laroue-Pont est même persuadé qu’elle ne se passe pas très bien. « Je pense être très mauvais en gestion de carrières. Surtout, cela ne m’intéresse pas vraiment », confesse-t-il. En revanche, il est bluffé par « le projet industriel » que lui déroule le n°1 de l’immobilier chez BNP Paribas.

Encouragé par les siens, il gagne donc, après trois mois incompressibles de « garden leave », les rangs du premier des opérateurs immobiliers intégrés. Propulsé patron du pôle bureaux et commerce d’Atisreal fraîchement acquis, il se livre avec les négociateurs à un round d’observation de six mois. « Le transfert de pièces rapportées a toujours été compliqué chez Auguste-Thouard », confie le broker. Les débuts ne sont pas idylliques mais le nouveau patron de la transaction bureaux chez BNP Paribas Real Estate s’accroche. Il est soutenu par sa hiérarchie qui n’hésite pas à le pousser.

Résultat : six mois plus tard, il a planté son bureau au bout du plateau, face aux ascenseurs, rue Jacques Ibert à Levallois. « De là, je voyais ainsi vivre les 150 collaborateurs du pôle transaction qui pouvaient également venir me voir », résout-il. En 2007, sans rien avoir demandé, Thierry Laroue-Pont est nommé vice-président de BNP Paribas Real Estate Transaction, Expertise, Conseil. Il fera tandem avec Max Le Roux. Un mode de management made in Auguste-Thouard que BNP Paribas Real Estate a conservé. Aujourd’hui, c’est avec Laurent Boucher que Thierry Laroue-Pont fait équipe. « A deux, on est plus intelligents que tout seul », lâche-t-il.

« On est toujours réticent face au changement. Je n’aime pas trop chatouiller ma zone de confort », intellectualise-til. Sans ménagement pourtant pour sa « zone de confort », Max Le Roux, son président, déménage presque de force son bureau. « Il a eu raison », reconnaît aujourd’hui l’homme fort de la transaction. Le spécialiste contre-nature des bureaux parisiens prend, en régional de l’étape qu’il est, la tête des régions de BNP Paribas Real Estate Transaction, Expertise, Conseil. Il se frotte aussi à d’autres mondes que celui de l’agence et investit le champ de l’investissement, de la logistique, de l’activité, et de l’expertise. Il se prend enfin de passion pour la stratégie immobilière des utilisateurs. Même pour un homme assez peu préoccupé par sa « gestion de carrières », la trajectoire est belle et somme toute assez rapide. Le changement d’échelle est aussi patent. Mono-produit – le bureau en Ile-de-France - et responsable de l’animation d’une équipe de 60 personnes, Thierry Laroue-Pont se retrouve chef de file de quelque 500 collaborateurs sur les 1500 de BNP Paribas Real Estate, 23 implantations, trois métiers (Transaction, Expertise, Conseil). Qui dit mieux ?

Profession broker

Ce parcours sans faute aurait pu détourner l’homme du brokerage. Il n’en est rien. Plus que jamais, il se définit comme un conseil avec un sens absolu de la fidélité client, une passion pour le produit, une grande proximité avec les utilisateurs. « Je ne peux pas concevoir une semaine sans des rendez-vous avec deux ou trois grands clients », dévoile cet homme dont la journée de travail commence à 7h30 – « sans doute parce que je suis insomniaque » -, se poursuit avec un pitch utilisateur et une alternance de rendez-vous internes et externes.

Boulimique de travail comme son patron, Thierry Laroue-Pont l’a toujours été. Depuis six ans dans la maison BNP Paribas Real Estate, il avoue ne s’être jamais ennuyé un instant. A en croire les têtes qui passent sans cesse dans son bureau et les rendez-vous qui le sollicitent, on serait tenté de le croire. Ses chiffres parlent en tout cas pour lui : BNP Paribas Real Estate, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 618 M€ (en progression de 17 %) en 2010, s’impose comme le n°1 du brokerage en Ile-de-France avec une écrasante part de marché de 37 %, le n°1 ou 2 en expertise avec 38 000 expertises par an, une part de marché de 20 % en investissement et de 30 à 40 % en logistique Ile-de-France. La machine BNP Paribas Real Estate est implacable.

Quels défis restent-ils à relever pour un n°1 ? Thierry Laroue-Pont y a déjà réfléchi : « Séduire de jeunes talents, garder les meilleurs d’entre nous (notre turn-over est inférieur à 5 %), se remettre en question ». Des sujets qui ne manquent certainement pas d’alimenter les réunions bi-mensuelles organisées avec Philippe Zivkovic. « Des rendez-vous très détaillés sur le business, les chiffres. Une sollicitation sur tous les sujets », ajoute celui qui se définit, comme son patron, disponible H24 pour les clients et les collaborateurs.

En six ans, Thierry Laroue-Pont n’a pas manqué d’imprimer sa marque sur la maison. Propulsé, début 2011, patron du pôle Transaction, Expertise et Régions, le jeune quinqua fait bouger les équipes. Il a déjà promu une quinzaine de personnes, procédé au recrutement d’une trentaine de nouvelles têtes, a jeté des passerelles entre les différents métiers immobiliers de BNP Paribas Real Estate. Le chemin n’est pas achevé pour ce broker qui s’est découvert manager.

« Le brokerage n’a pas encore terminé sa révolution. Côté utilisateurs, le degré d’exigence est tel que nous sommes désormais en lien avec les trois cerveaux d’une entreprise : le directeur général, le directeur financier et le DRH. Côté féminisation, il y a encore du grain à moudre dans la profession. Notre comité de direction – composé de 4 femmes et 6 hommes – se féminise. Il y a maintenant un gros effort à produire sur toutes les lignes de métier », argumente-t-il.

L’évolution du métier de broker – « un métier dur car très cyclique, avec des cycles brutaux et courts » - le passionne. Il en oublierait même l’heure qui tourne et ses rendez-vous qui s’enchaînent à l’autre bout du périphérique. À 50 ans, le n°1 de BNP Paribas Real Estate Transaction, Expertise et Conseil se refuse encore à tout plan de carrière. « Ce que je veux, c’est ne pas m’ennuyer au quotidien, avoir la pêche le dimanche soir, rencontrer une variété de personnalités », image-t-il.

Deux grandes sociétés de brokerage, 25 ans de bons et loyaux services, la place de n°1 du premier des conseils en immobilier d’entreprise de France : pour quelqu’un qui n’aime pas la gestion de carrière, le résultat est détonant. A l’image de cet homme qui, à l’inverse de ses contemporains, déteste le golf et la chasse, affiche un sens aigu de l’amitié, adore se promener des heures à la Cité de l’architecture, au Moma ou à la Tate Modern avec sa fille de 14 ans. « A la gestion de carrière, je préfère la gestion des équilibres ». Tout en finesse…


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