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M. Mariani et E. Leygonie - Baker & McKenzie SCP

Directive AIFM : nouvelles contraintes pour les gestionnaires de fonds immobiliers non réglementés

La nouvelle directive dite « AIFM » (Alternative Investment Fund Managers) sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (1) est entrée en vigueur le 21 juillet 2011 (2). Adoptée à une large majorité par le Parlement européen, elle avait été proposée, par la Commission européenne, le 30 avril 2009 dans le contexte de la crise financière. Les Etats membres de l’Union européenne ont jusqu’au 22 juillet 2013 pour la transposer dans leur droit interne. La directive poursuit les deux objectifs principaux suivants : d’abord, de fixer un cadre réglementaire harmonisé et strict au sein de l’Union européenne applicable à l’activité de tous les gestionnaires de fonds alternatifs dont les fonds immobiliers font partie, notamment en matière d’agrément et de surveillance de ces gestionnaires, et ensuite, de créer un marché intérieur pour ces gestionnaires. La directive a vocation à couvrir un large champ d’application : tous les gestionnaires gérant tous types de fonds d’investissement alternatifs (FIA) hors OPCVM (3). Elle est donc applicable aux gestionnaires de fonds immobiliers non réglementés. La plupart des règles instaurées par la directive sont d’ailleurs d’ores et déjà applicables aux sociétés de gestion de portefeuille établies en France et gérant des OPCI (4) ou SCPI (5), en application des textes nationaux, et plus particulièrement des dispositions du code monétaire et financier et des règles édictées par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) (6). Cet article s’adresse donc tout particulièrement aux asset managers ne bénéficiant aujourd’hui pas d’agrément en qualité de société de gestion de portefeuille (SGP) en France, mais gérant un certain volume d’actifs immobiliers pour le compte d’investisseurs. Cette directive impactera, de manière non négligeable, leur activité. Nous détaillerons donc dans un premier temps le champ d’application de cette directive (I) avant d’indiquer quelles sont en pratique les principales nouvelles règles qui vont s’imposer aux gestionnaires de fonds immobiliers concernés (II).

I – CHAMP D’APPLICATION

La directive s’applique aux entités qui gèrent des FIA de manière habituelle. Par FIA, la directive entend tout « organisme de placement collectif » qui « lève des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces investisseurs », à l’exclusion des OPCVM coordonnés (7). Les fonds immobiliers sont donc largement concernés, peu importe qu’ils soient ouverts ou fermés, et quelque soit leur forme juridique : joint-venture, trust, société commerciale ou civile. A titre d’exemples, un fonds constitué sous la forme d’une SCI ou d’une SAS (8) françaises, d’une SCA (9) ou d’une SARL (10) luxembourgeoise ou française pourra donc être considéré au regard de la directive comme un FIA. La structure juridique du gestionnaire n’est pas non plus prise en compte. En revanche, la directive exclut de son champ d’application des entités spécifiques tels que, notamment, les organismes gérant des fonds destinés au financement des régimes de sécurité sociale et de pension, certaines institutions de retraite professionnelle, les sociétés holdings (11), les systèmes de participation ou d’épargne des travailleurs et les structures de titrisation ad hoc.

La directive ne s’applique pas non plus aux gestionnaires qui ne gèrent que des FIA dont les seuls investisseurs sont le gestionnaire et/ou les sociétés de son groupe, pour autant qu’aucun de ces investisseurs ne soit un FIA. Enfin, un régime allégé est prévu pour les gestionnaires de fonds en dessous de certains seuils, applicable (i) aux gestionnaires qui gèrent des FIA recourant à l’effet de levier dont les actifs gérés n’excèdent pas 100 M€ ; et (ii) aux gestionnaires qui gèrent des FIA dont les actifs gérés n’excèdent pas 500 M€ lorsqu’ils ne recourent pas à l’effet de levier et qu’aucun droit à remboursement n’est exerçable pendant 5 ans à compter de l’investissement initial. Les gestionnaires de ces fonds de « petite » taille ne sont, en effet, pas soumis à la procédure d’agrément et aux contraintes imposées par la directive, mais ils devront néanmoins s’enregistrer auprès des autorités compétentes de leur Etat membre d’origine (12), et fournir, à ces dernières, un certain nombre d’informations portant notamment sur leur identité, sur les FIA qu’ils gèrent et leurs stratégies d’investissement. En cas de dépassement des seuils, ils devront se soumettre à la procédure d’agrément prévue par la directive dans les 30 jours. Ils peuvent toutefois choisir de se soumettre volontairement à la directive afin de bénéficier des droits en découlant (en matière de passeport européen notamment). Les gestionnaires soumis à la directive au titre d’activités exercées avant le 22 juillet 2013 doivent présenter une demande d’agrément dans un délai d’un an à compter de cette date. Des mesures transitoires sont prévues pour les sociétés de gestion gérant des FIA existants, leur permettant d’échapper à certaines exigences de la directive dans les deux cas suivants :

- les gestionnaires gérant des FIA de type fermé avant le 22 juillet 2013 et ne réalisant pas d’investissements supplémentaires après cette date peuvent continuer à gérer ces FIA sans agrément ;

- les gestionnaires gérant des FIA de type fermé dont la période de souscription s’est terminée avant l’entrée en vigueur de la directive (soit le 21 juillet 2011) et constitués pour une période expirant au plus tard 3 ans après le 22 juillet 2013 peuvent toutefois continuer à gérer ces FIA sans devoir respecter les exigences de la directive à l’exception de celle relative à la transmission d’un rapport annuel (décrite ci-après).

II – PRINCIPALES NOUVELLES REGLES APPLICABLES

La directive n’édicte pas des règles concernant les fonds eux-mêmes, cette règlementation relevant uniquement des Etats membres. Elle se cantonne à fixer des exigences communes applicables aux gestionnaires de ces FIA.

Agrément et contraintes « internes » imposées aux gestionnaires

Tout gestionnaire soumis à la directive devra être agréé par l’autorité compétente (13) de son Etat membre d’origine (soit l’AMF pour un gestionnaire établi en France). A cette fin, il devra présenter un dossier de demande d’agrément contenant aussi bien des informations le concernant (honorabilité et expérience des dirigeants, identité de ses actionnaires, programme d’activités, structure organisationnelle, politiques de rémunération, délégations éventuelles de certaines activités,…) que des informations sur les FIA qu’ils prévoient de gérer (stratégies d’investissement, politique relative à l’utilisation de l’effet de levier, profils de risques, règlement et documents constitutifs de chaque FIA, modalités prévues pour la désignation d’un dépositaire, …). Ce dossier est en pratique très proche de celui existant en France pour les sociétés de gestion de portefeuille gérant des fonds immobiliers réglementés (tels que des OPCI ou des SCPI). Le régulateur national devra, par ailleurs, vérifier que le gestionnaire dispose du capital initial minimum requis par la directive (14) et, si la valeur des portefeuilles des FIA gérés excède 250 000 €, qu’il dispose d’un montant supplémentaire de fonds propres égal à tout moment à 0,2 % de la valeur des portefeuilles gérés excédant ce dernier montant (15). Ce montant supplémentaire de fonds propres peut toutefois être remplacé à hauteur de 50 % par une garantie bancaire. Là encore, des règles similaires existent déjà en France pour les sociétés de gestion de portefeuille. Les gestionnaires ne pourront, en principe, pas avoir d’autres activités que celle de gestion des FIA. Accessoirement, ils peuvent cependant fournir des services de gestion de portefeuille, de conseil en investissement, de garde et d’administration de parts ou actions d’organismes de placement collectif, ou de réception et de transmission d’ordres portant sur des instruments financiers. De plus, l’administration centrale et le siège statutaire du gestionnaire doivent être situés dans le même Etat membre. Outre des règles générales de « bonne conduite » qui devront être respectées par les gestionnaires, la directive encadre précisément la politique et les mécanismes de rémunération des gestionnaires au sein de la société de gestion. Les politiques et procédures de rémunération devront être encadrées au sein de la société de gestion par l’organe de direction dans sa fonction de surveillance. Pour les gestionnaires « importants » du fait de leur taille ou de celle des FIA qu’ils gèrent, un comité de rémunération devra être créé. Des mesures de mise en oeuvre devront sans doute apporter des précisions, et éventuellement des seuils, afin d’éviter toute ambigüité dans l’application de ces nouvelles mesures.

Nouvelles exigences dans la gestion des fonds

La directive énonce un certain nombre de principes généraux relatifs à l’identification, la prévention et la gestion des conflits d’intérêts, ainsi qu’en matière de gestion des liquidités. Ces principes devront être précisés par la Commission. Cette dernière sera aussi amenée à établir des règles plus détaillées relatives aux exigences organisationnelles générales que doivent respecter les gestionnaires pour la bonne gestion des FIA, telles que, notamment, la nécessité d’avoir des ressources humaines et techniques adaptées, de solides procédures administratives et comptables, des dispositifs de contrôle et de sauvegarde dans le domaine du traitement électronique de données, ainsi que des mécanismes de contrôle interne adéquats permettant particulièrement de reconstituer chaque transaction quant à son origine, les parties concernées… En termes de gestion des risques, les gestionnaires doivent mettre en oeuvre des systèmes appropriés pour chaque FIA qu’ils gèrent. Les fonctions de gestion des risques et les unités opérationnelles (y compris les fonctions de gestion des portefeuilles) doivent être séparées sur le plan fonctionnel et hiérarchique. La directive énonce également des principes devant dicter la fixation par les gestionnaires du niveau maximal d’effet de levier pour chaque FIA géré. Les gestionnaires sont responsables de l’évaluation correcte des actifs du FIA ainsi que du calcul et de la publication de la « valeur nette d’inventaire » du FIA, alors même qu’ils ont délégué, dans le respect des règles de la directive, cette mission à un expert externe indépendant. Cette évaluation doit être faite au moins une fois par an, et plus fréquemment pour les fonds de type ouvert. Lorsque l’évaluation est faite en interne (ce qui n’est possible que si la fonction d’évaluation est indépendante, sur le plan fonctionnel, de la gestion de portefeuille et de la politique de rémunération), les autorités compétentes peuvent faire procéder à des vérifications par un expert indépendant ou un contrôleur des comptes. Les gestionnaires pourront déléguer à des tiers une partie de leurs fonctions à condition de le notifier préalablement aux autorités compétentes, et de respecter un certain nombre de règles posées par la directive. Les fonctions de gestion de portefeuille ou de gestion des risques ne peuvent être déléguées qu’à une entité elle-même agréée par le régulateur national et soumise à sa surveillance. Le gestionnaire devra s’assurer (et même être en mesure de le démontrer) que le délégataire dispose des ressources suffisantes et qu’il est qualifié pour exécuter les tâches confiées. Il devra, à tout moment, pouvoir donner des instructions au délégataire et mettre fin à sa mission avec effet immédiat pour protéger les intérêts des investisseurs le cas échéant. La société de gestion demeure responsable vis-à-vis du FIA même pour les fonctions déléguées. Le délégataire peut sous-déléguer les missions confiées par le gestionnaire avec l’accord de ce dernier, lequel devra en informer les autorités compétentes de son Etat. De plus, les règles encadrant la délégation s’appliqueront à la sous-délégation. La société de gestion devra obligatoirement nommer un dépositaire pour chaque FIA qu’elle gère. Le dépositaire est soit un établissement de crédit, soit une entreprise d’investissement, soit un autre établissement soumis à des règles prudentielles et de surveillance identiques et conformes aux règles européennes. Pour les FIA établis dans l’Union européenne, le dépositaire doit être établi dans un Etat membre. La mission du dépositaire dépend du type d’actifs. S’agissant d’instruments financiers, le dépositaire en assure la conservation; s’agissant des autres actifs (tels que des actifs immobiliers), le dépositaire vérifie la propriété de ces actifs par le FIA. Par ailleurs, le dépositaire exécute les ordres du gestionnaires ; et s’assure de la conformité de certaines opérations (calcul de la valeur des parts ou actions du FIA, opérations de vente, émission, rachat et remboursement ou annulation de parts ou actions du FIA) avec le droit national et les documents constitutifs du FIA.

Obligations d’information renforcées

Le gestionnaire devra mettre à disposition des investisseurs et du régulateur national un rapport annuel pour chaque FIA géré, dans les 6 mois de la clôture de l’exercice. Ce rapport annuel devra comprendre notamment les éléments suivants : bilan, compte de résultat et un rapport d’activité, ainsi que le montant total des rémunérations versées au personnel de la société de gestion (avec allocation fixe et variable et nombre de bénéficiaires) et de l’intéressement aux plus-values (carried interest). Par ailleurs, la société de gestion devra fournir aux investisseurs, avant qu’ils n’investissent dans le FIA, une liste précise d’informations sur le FIA, portant notamment sur la stratégie et les objectifs d’investissement, l’effet de levier, les frais, charges et commissions, les procédures et conditions d’émissions ou de vente des parts ou actions, les modalités et échéances des communication d’informations aux investisseurs conformément à la directive, les procédures pour changer la stratégie d’investissement, les principales conséquences juridiques de l’engagement des investisseurs, ou encore l’identification des prestataires du fonds (dépositaire, contrôleur des comptes, procédures d’évaluation des actifs du fonds, description de la gestion du risque,…). Ces éléments correspondent plus ou moins au contenu de la note détaillée relative à un fonds réglementé (par exemple un OPCI). Ces éléments devront donc être insérés dans un pacte d’actionnaires ou tout autre document constitutif du fonds. De manière régulière, le gestionnaire devra transmettre au régulateur national un certain nombre d’informations sur les FIA qu’il gère, relatives notamment aux types d’actifs du fonds, au profil de risque, l’effet de levier et les résultats de crash tests. Le gestionnaire devra pouvoir démontrer, le cas échéant, que le niveau maximal d’effet de levier fixé est « raisonnable » et que cette limite est à tout moment respectée. Le régulateur national pourra exiger que les sociétés de gestion leur transmettent toute information supplémentaire, aux fins de suivre le risque systémique.

Passeport européen

Une fois agréée, conformément à la directive, la société de gestion pourra commercialiser les FIA qu’elle gère auprès d’investisseurs professionnels dans toute l’Union européenne, sous réserve d’en notifier à l’avance les autorités compétentes et de respecter les conditions fixées par la directive. La directive fixe un ensemble de règles applicables aux gestionnaires européens et non européens leur permettant de gérer des fonds dans l’ensemble de l’Union européenne et dans les pays tiers et de les commercialiser.

Conclusion

La Commission est chargée d’adopter, par voie d’actes délégués, des mesures visant à mettre en oeuvre les principes édictés par la directive, pour une période de 4 ans à compter du 21 juillet 2011. Il conviendra de suivre de près ces mesures d’application. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (ESMA16) a lancé, le 23 août dernier, une consultation sur des propositions de mesures d’application de la directive relatives à la surveillance et les pays tiers, à la demande de la Commission. La première, sans doute, d’une longue série.


Notes

1/ Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011
2/ Soit le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal Officiel de l’Union européenne le 1er juillet 2011
3/ Ceux-ci relevant de la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives,
règlementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières.
4/ Organisme de placement collectif immobilier
5/ Société civile de placement immobilier
6/ On peut citer notamment, sans que cette liste soit exhaustive, le Règlement général de l’AMF – Livre III – PRESTATAIRES et Livre IV – PRO DUITS D’EPARGNE
COLLECTIVE ; ou l’Instruction AMF n°2008-03 du 8 février 2008 relative aux procédures et modalités d’agrément et au programme d’activité des sociétés de gestion
de portefeuille et des prestataires de services d’investissement exerçant le service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers ou de conseil en investissement
7/ relevant de la directive 2009/65/CE.
8/ Société par actions simplifiée
9/ Société en commandite par actions
10/ Société à responsabilité limitée
11/ une définition est donnée dans la directive (article 4 – Définitions). Cela vise les sociétés agissant dans le cadre d’une stratégie d’entreprise à long terme ne
poursuivant pas le but principal de rémunérer ses investisseurs par la cession des sociétés de son groupe
12/ Pour la France, il s’agira de l’AMF
13/ qui a 3 mois pour se prononcer à compter du dépôt de la demande d’agrément
14/ selon le cas, 125 000 € pour un gestionnaire externe de FIA ou 300 000 € pour les fonds gérés en interne
15/ dans la limite totale de 10 M€
16/ European Securities and Markets Authority


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