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S. Nadolni et G. Rubechi - Lefèvre Pelletier & associés

Le point sur les fonds immobiliers allemands

Les fonds immobiliers allemands demeurent des acteurs majeurs du marché tertiaire français. La crise financière ayant eu des incidences sur le comportement des associés des fonds immobiliers allemands et des réformes importantes du régime des fonds allemands étant en cours, un point s’impose.

1. Les fonds immobiliers « fermés »

Après une période difficile pendant la crise financière, les fonds immobiliers fermés reviennent en force. Le marché français voit ainsi apparaître de nouveaux acteurs, inexistants avant la crise.

Ces fonds sont dits « fermés » car ils constituent une sorte de « club deal » entre investisseurs privés, qui s’engagent à rester associés du fonds pendant une période déterminée à la création, souvent d’une dizaine d’années. Les investisseurs ne sont pas prisonniers du fonds et sont libres de céder leurs parts ou de les transmettre à titre gratuit, mais le fonds n’a pas l’obligation de racheter leurs parts et il n’existe pas de marché organisé (il existe toutefois depuis peu des « bourses » privées et non régulées qui permettent le rapprochement de l’offre et de la demande). Les investisseurs sont dans l’immense majorité des cas des personnes physiques, qui prennent une participation en général d’au moins 10 000 euros. Les organismes à but non lucratif (organisations religieuses notamment) et les caisses de retraite investissent également de manière régulière dans ce type de fonds. La loi allemande prévoit certes l’obligation d’établir un prospectus et de le faire avaliser par la BaFin - Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht, néanmoins, ce contrôle est de pure forme car ces types d’investissement ne sont pas régis par des critères législatifs. Une grande liberté est ainsi laissée à la structuration des fonds fermés allemands, pour leurs transactions immobilières en France. En général les fonds fermés investissent en France dans l’immobilier tertiaire, pour un volume allant de 50 à 150 millions d’euros, dans des biens situés à Paris ou en région parisienne, loués à des entreprises de renom (en général l’investissement est réalisé sur des biens en situation mono-locataire). Le plus souvent, chaque fonds est propriétaire d’un seul bien immobilier. A la suite de certains scandales, qui ne concernent toutefois pas la France, l’Allemagne a renforcé sa législation(1) en exigeant de joindre au prospectus une note résumant les principaux risques et en précisant le niveau de qualité requis pour devenir commercialisateur des parts de fonds. La nature de la transaction a également changé à la suite de la crise financière. En effet, les fonds fermés, en général, ne disposent pas de fonds propres. S’il était possible antérieurement à la crise financière d’obtenir un financement à hauteur de 100% du prix d’acquisition, cela est devenu plus difficile aujourd’hui. Sans disposer de fonds propres (la collecte ne débute que l’achat sécurisé, en principe par l’acte de vente lui-même), une acquisition « classique » s’avère difficilement réalisable. La parade trouvée en pratique consiste à se concentrer sur les opérations en Vefa ou à conclure des ventes à terme. Différents mécanismes juridiques permettent de sécuriser ces transactions pour les deux parties. Ainsi, les acteurs du marché français traitent bien volontiers avec ces fonds fermés, qui peuvent se positionner sur des immeubles de très grande envergure. La structure, qui repose essentiellement sur une rentabilité satisfaisante pour les investisseurs personnes physiques, suppose une présentation attractive de l’investissement afin de permettre la commercialisation. Le prospectus de commercialisation est ainsi fréquemment un document d’une bonne centaine de pages, incluant de nombreuses photos du bien immobilier détenu, une description du marché immobilier local et une description approfondie du locataire. allemands privilégient des structures fiscalement transparentes pour leurs investissements réalisés en Allemagne.

Dans ce cas les revenus fonciers nets (après déduction des intérêts liés au financement et des dotations aux amortissements, qui sont en Allemagne fiscalement déductibles des revenus fonciers) sont soumis à l’impôt sur le revenu au taux progressif (taux de 0% à 45% plus contribution de solidarité de 5,5% de l’IR). Pour les investissements réalisés en France, certains fonds privilégient des structures passibles de l’impôt sur les sociétés (avec le cas échéant un montage permettant l’application de l’impôt sur le revenu à la fin du fonds afin de permettre une exonération des plus-values de cession), alors que d’autres ont choisi une structure fiscalement translucide de type SCI. Dans ce cas les investisseurs allemands sont passibles de l’impôt sur le revenu français sur les revenus fonciers dégagés, avec en général application du taux minimum de 20%. Les revenus fonciers de source française sont exonérés en Allemagne (sans application de la règle du taux effectif), ce qui explique que les fonds fermés qui investissent à l’étranger constituent un outil privilégié de défiscalisation pour les contribuables allemands.

2. Les fonds immobiliers « ouverts »

Les fonds immobiliers « ouverts » ont su, au fil de leur présence en France, imposer certaines pratiques, inconnues auparavant, lors de leurs acquisitions immobilières. Il est ainsi désormais courant d’inscrire à la Conservation des Hypothèques une interdiction de vendre le bien immobilier, sans accord préalable de la banque de dépôt (Sperrvermerk) auprès de laquelle sont déposés les fonds des investisseurs composant le fonds. Toutefois, la crise financière a soulevé de nouvelles questions face aux fonds immobiliers allemands dits « ouverts ». Il n’est pas inutile de rappeler brièvement, à cette occasion, leur fonctionnement.

2.1 Règles de fonctionnement

Un fonds d’investissement immobilier est créé par une société d’investissement Kapitalanlagegesellschaft - KAG. Le fonds lui-même ne dispose pas de la personnalité morale, et ressemble encore à un fonds commun de placement. La KAG élabore un prospectus afin de présenter le fonds aux investisseurs, qui peuvent ensuite souscrire au patrimoine du fonds. Le patrimoine du fonds (Fondsvermögen ou Sondervermögen) est déposé sur un compte du fonds ouvert auprès d’une banque de dépôt (Depotbank) qui assure, outre la gestion du compte au nom des souscripteurs, des missions de contrôle imposées par la réglementation bancaire allemande. A la différence d’un fonds fermé, le patrimoine d’un fonds immobilier ouvert est constitué de plusieurs dizaines de biens immobiliers. Le patrimoine du fonds est géré par la société d’investissement en son nom propre, mais pour le compte des souscripteurs. C’est ainsi que la Kapitalanlagegesellschaft traite seule avec le vendeur et sera propriétaire des biens. Dans un souci de protection des souscripteurs, la valeur de l’immeuble est soumise au contrôle d’une commission de souscripteurs (Anlegerausschuss), puis il revient à une commission d’experts (Sachverständigenausschuss) d’apprécier le prix d’achat. De manière générale, les KAG allemandes entrant dans le champ d’application de la loi allemande sur les sociétés d’investissement (InvG) sont soumises au contrôle de l’office fédéral de la tutelle des services financiers (Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht – BaFin). Ces fonds sont dits « ouverts » car à l’instar des OPCI grand public français, et à la différence des fonds fermés, le cercle des investisseurs d’un fonds immobilier grand public (Publikumsfonds) varie quotidiennement, au gré des souscriptions et des rachats de parts. Les fonds peuvent être « à grand public – Publikumsfonds » ou « spéciaux – Spezialfonds » où des investisseurs institutionnels ont « confié » des fonds à une KAG. L’investisseur a un droit de retrait et est en principe libre de vendre ses parts au fonds en fonction du cours du jour. La crise financière devrait toutefois conduire à une restriction de ce droit. En effet, le manque de liquidité a conduit certains fonds ouverts qui, dans l’impossibilité de vendre un immeuble en-dessous de sa valeur comptable, ont dû faire face à des retraits massifs de la part d’investisseurs institutionnels, à suspendre pour une période de 12 mois (renouvelable une fois) le rachat des parts, ce qui a conduit la presse allemande à parler de « fonds ouverts fermés ». Afin de contrer ce phénomène le gouvernement allemand souhaite limiter le droit de retrait (cf. ci-dessous). Au plan fiscal, les fonds ouverts allemands sont des instruments totalement transparents, ce qui signifie qu’ils ne sont pas eux-mêmes imposés. La taxation a lieu au niveau des investisseurs, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Les revenus sont soumis à un prélèvement libératoire (« Abgeltungsteuer ») au taux de 25% plus 5,5% de contribution de solidarité, soit un taux effectif de 26,375%. Les revenus locatifs de source étrangère sont exonérés d’impôt, de même que les plus-values de cession d’immeubles dès lors que le fonds a respecté un délai de détention de 10 ans au moins. A noter que la taxation concerne tant les fonds de capitalisation que les fonds de distribution.

2.2 Nouvelles interrogations

La crise financière a amené les vendeurs français traitant avec des KAG, à soulever de nouvelles questions. Se pose ainsi la question de la protection d’un vendeur français en cas de faillite d’un fonds allemand et les sûretés que celui-ci peut consentir.

2.2.1 Protection en cas de faillite

Rappelons que le fonds lui-même est dépourvu de personnalité juridique de sorte qu’il ne peut se trouver en cessation de paiements. Dans cette logique, les créanciers de la KAG n’ont en aucun cas la possibilité d’accéder au patrimoine du fonds, élément juridiquement distinct de la KAG. Seule la société de gestion (KAG) est susceptible d’être en faillite. En pareille situation, la gestion du patrimoine du fonds est alors confiée à la banque de dépôt ou, sur autorisation de la BaFin, transmis à une autre KAG. Il faut donc retenir que le fonds ne peut être en faillite, ce qui procure un degré de protection considérable pour l’autre partie à une transaction.

2.2.2 Les sûretés

Il n’est pas rare de voir un vendeur d’immeuble requérir une garantie de son acquéreur pour sécuriser le paiement in fine du prix. En raison des garde-fous de la loi allemande sur les investissements, les KAG sont en général réticentes à octroyer des cautionnements bancaires pour garantir leurs engagements à l’égard d’un vendeur de droit français. Il n’est alors pas rare, dans les actes de Vefa, de recourir au privilège du vendeur prévu à l’article 2374 al. 1 Code civil. Si cette garantie est en principe compatible avec la loi allemande sur les investissements, le fonds doit toutefois respecter certaines conditions tentant notamment à la valeur de la sûreté, à une « gestion patrimoniale régulière » ou encore à l’accord de la banque de dépôt.

2.2.3 Réforme de la loi allemande sur les investissements

Pendant la crise financière, certains fonds allemands avaient dû faire face à des retraits massifs d’investisseurs mettant en péril les investissements effectués. Certains fonds avaient alors dû « geler » les retraits des associés, comme le permet la loi allemande sur les investissements. Après une réforme adoptée en début de l’année 2011 (loi de protection des investisseurs – Anlegerschutzgesetz) (2), les souscripteurs seront soumis à une durée ferme de détention des parts de deux (2) ans et un préavis de retrait de douze (12) mois. Toutefois, les investisseurs pourront librement exercer leur droit de retrait à hauteur de 30 000 euros par semestre, de sorte que les « petits » investisseurs ne seront pas concernés par cette mesure. Les immeubles doivent par ailleurs être évalués de manière plus fréquente. Enfin, le recours à l’endettement doit être ramené de 50% à 30% du patrimoine du fonds. Ces réformes, destinées à renforcer la confiance des investisseurs dans les fonds immobiliers ouverts, devraient donc permettre de maintenir le flux des transactions immobilières desdits fonds sur le marché français, la France étant très prisée par les (fonds immobiliers) allemands.


Notes
1/ Gesetz zur Stärkung des Anlegerschutzes und Verbesserung der Funktionsfähigkeit des Finanzmarktes
2/ Certaines dispositions s’ont d’ores et déjà entrées en vigueur, d’autres s’appliqueront à compter du 1er janvier 2013.


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