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Point de vue de Véronique Lagarde, Lefèvre Pelletier & Associés

Le bail vert, version locataire

Le bail vert semble aujourd’hui victime de l’engouement qu’il a suscité : les attentes, ou du moins l’extrême curiosité qu’il a généré, ont pour l’instant été déçues et certains s’en désintéressent désormais.

La déception est tout d’abord venue des textes légaux : un seuil d’application trop élevé (2 000 m²) en a considérablement restreint la portée, puis le décret d’application du 30 décembre 2011 qui en a défini le contenu a donné l’impression que la montagne accouchait d’une vilaine souris : non seulement le contenu de l’annexe environnementale fixé par le décret est minimaliste, mais il est également impossible à mettre en œuvre littéralement.

En effet, il est notamment demandé aux deux parties, et notamment au locataire (qui signe généralement son bail avant d’entrer dans les lieux !) de communiquer à la signature de l’annexe environnementale leurs consommations « réelles » d’énergie et d’eau des équipements dont ils ont l’exploitation ainsi que le volume des déchets qu’ils traitent : il va sans dire que le locataire n’a pas ces informations en sa possession avant la conclusion du bail. Quant au bailleur, ces informations ne seront pas pertinentes s’il a réalisé des travaux d’amélioration de la performance énergétique avant de relouer, ou en cas de vacance prolongée réduisant la consommation des parties communes.

Cette maladresse rédactionnelle est le fruit d’amendements successifs intervenus avant la publication du décret. L’idée de départ proposée par les professionnels regroupés au sein du groupe de travail du Plan Bâtiment Grenelle était simplement que les parties se communiquent annuellement ces informations, une fois le locataire entré dans les lieux bien entendu.

La déception est aussi venue de la pratique : pour certains acteurs, bailleurs comme locataires, l’annexe environnementale n’est qu’une annexe supplémentaire s’ajoutant aux autres annexes obligatoires, et qui ne doit contenir que le strict minimum. L’absence de sanction, en cas de défaut d’annexe, conduit même certains d’entre eux à s’interroger sérieusement sur la possibilité de s’affranchir purement et simplement de cette obligation.

De nombreux locataires craignent que les bailleurs en profitent pour y glisser des clauses qui leur seraient défavorables, sous couvert de « green attitude ».

Pour d’autres, véritablement intéressés par le sujet, c’est le contenu de l’annexe qui fait souvent défaut : combien de fois nous est-il demandé à nous, juristes, ce qu’il conviendrait de prévoir dans l’annexe !

Et pourtant, de nombreux sujets peuvent être abordés dans l’annexe, au profit du locataire :

En premier lieu la performance énergétique réelle des locaux loués :

Si le bailleur a fait réaliser une simulation thermique dynamique intégrant l’usage futur des locaux par le locataire, la comparaison des consommations réelles et des consommations estimées va permettre d’analyser les gisements d’économies (par exemple, un ancien contrat d’approvisionnement en chaleur ou en froid surdimensionné par rapport aux besoins du locataire) et de prévoir d’établir un « programme d’actions » (comme prévu par le décret) qui consistera à progresser sur ces gisements.

Pour les immeubles neufs labellisés BBC 2005 ou plus encore, il est certain qu’une offre de garantie de consommations réelles finira par voir le jour avec l’évolution des offres de services des sociétés de services en efficacité énergétiques. Ces garanties pourront profiter au locataire via l’annexe environnementale.

Mais, outre le sujet de l’énergie, de nombreux autres sujets sont à considérer : le locataire a-t-il mis en place une politique interne de développement durable ? L’examen de sa charte, point par point, permet de déterminer les axes de collaboration à prévoir avec le propriétaire dans le cadre de la gestion de l’immeuble.

A défaut, les dispositions légales fraichement publiées sur le reporting environnemental des sociétés cotés ou des grandes sociétés non cotées peuvent servir de benchmark pour nourrir l’annexe environnementale et donner au locataire un premier outil pour bâtir une politique interne, qu’il soit ou non soumis à cette obligation de reporting.

Les bailleurs qui seront force de proposition sur ces sujets « RSE » vis-à-vis de leurs locataires se doteront sans aucun doute d’un fort avantage concurrentiel sur le marché.

Le décret du 24 avril 2012 fournit en effet un inventaire varié des informations à faire figurer dans le rapport développement durable de l’entreprise : on s’aperçoit à la lecture de ces indicateurs que l’entreprise, en qualité de locataire, aura généralement besoin de la coopération du bailleur pour progresser. Ces indicateurs sont donc très utiles pour inventorier les sujets à négocier par le locataire avec son bailleur lors de la conclusion d’une annexe environnementale.

A titre d’exemple, une certification d’exploitation de l’immeuble qui sera convenue avec le bailleur dans l’annexe environnementale permettra au locataire de faire état des « démarches d’évaluation ou de certification en matière d’environnement » qu’il a mis en place.

La tenue de réunions de sensibilisation des collaborateurs de l’entreprise à un bon usage de l’immeuble, que certains bailleurs ou sociétés de services en efficacité énergétiques proposent déjà aux locataires, avec un guide d’utilisation, répondront aux « actions de formation et d’information des salariés menées en matière de protection de l’environnement » prévues au décret du 24 avril 2012.

Des dispositions relatives au recours privilégié aux éco-matériaux par les parties répondront à l’indicateur relatif aux « moyens consacrés à la prévention des risques environnementaux et des pollutions ».

La liste des critères du décret du 24 avril 2012 à intégrer dans l’annexe environnementale est trop longue pour en faire un inventaire exhaustif, sans parler des indicateurs internationaux fréquemment utilisés par les grandes sociétés, comme le « GRI » (Global Reporting Initiative) qui peuvent être exploités.

Enfin, le bilan de gaz à effet de serre rendu obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés à compter du 1er janvier 2011 peut trouver à s’appliquer au locataire, et là encore, les éléments résultant de ce bilan pourront utilement servir au dialogue avec le bailleur.

Si l’annexe environnementale est au creux de la vague, elle n’attend qu’à rebondir sous l’impulsion des locataires qui s’y intéresseront !