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Point de vue de Patrick Gerry et Christine Carbonnel, Simmons & Simmons

« Asset managers : n'oubliez pas la carte, ni le mandat ! »

A une époque où la mise en place des structures de gestion d’actifs immobiliers, intragroupes ou non, est plus que jamais d’actualité, les praticiens se demandent si cette activité relève de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ou « Loi Hoguet », réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce. Si tel est le cas, quelles sont les conséquences pour le gestionnaire d’actifs communément appelé en anglais « asset manager » ?

L'interrogation n'est pas nouvelle. De prime abord, le gestionnaire d'actifs échapperait à la Loi Hoguet, car son intervention auprès des propriétaires d’immeubles se placerait très en amont des opérations d’entremise et/ou de gestion portant sur les biens détenus par lesdits propriétaires. Sa mission consiste entre autres à les assister et les conseiller, afin de mettre en œuvre leur stratégie patrimoniale, voire plus largement celle du groupe auquel ces propriétaires appartiennent.

Les choses se compliquent quand l’étendue des missions confiées par le propriétaire à l’asset manager vise la collaboration, voire la supervision des administrateurs de biens ou « property managers » dans leur gestion quotidienne de l’immeuble et/ou des agents immobiliers lors de la commercialisation de l’immeuble. Dans ce cas, il perçoit en rémunération un pourcentage calculé sur les loyers générés par l’immeuble. Où se place la frontière entre les missions de tous les intervenants ? L’activité d’asset manager ne risque-t-elle pas de basculer dans l’opération d’entremise, à l’instar de celle des agents immobiliers et des administrateurs de biens déjà soumis à la Loi Hoguet ?

Pour ajouter à la confusion, les juges relancent le débat dans un dossier bien connu du marché parisien1. La société Carlyle Real Estate Advisors France (CREA), qui agissait en qualité de conseil en investissements immobiliers auprès de Cerep Aulagnier (CA) et Asnières Aulagnier Lot J (AAL), autres sociétés du groupe, avait négocié directement avec la SNC Prisma Presse (PP), candidat locataire, dans la prise à bail de l’immeuble de bureaux appartenant à CA et AAL. S’appuyant sur le fait qu’elles avaient des gérants en commun, CREA, CA et AAL n’avaient pas jugé utile de signer un mandat entre elles. Mal leur en a pris, car pour interrompre les négociations du bail et refuser de signer tout accord avec les propriétaires, PP invoque entre autres l’absence de mandat écrit préalable conforme à la Loi Hoguet.

Les juges versaillais donnent raison à PP. Peu importe que CREA ait assisté CA à tous les stades de l’opération de construction, avant la réception de l’immeuble et lors de la modification du projet. Il s’agit bel et bien d’une opération d’entremise relevant de la Loi Hoguet. Le caractère « d’opération complexe » qui, en jurisprudence, permet d’échapper aux obligations de cette loi pénale d’interprétation stricte (carte professionnelle et mandat écrit préalable), n’a pas ici droit de cité.

Donc, sans mandat, pas de commission : la sanction est assez classique. Malheureusement, pour CA et AAL, les juges poussent plus loin le raisonnement. Puisque CREA a agi auprès de PP sans mandat écrit des propriétaires conforme à la Loi Hoguet, la relation contractuelle entre PP et CA et AAL n’existe pas. Ces derniers ne peuvent reprocher au candidat locataire son refus de contracter, ni encore moins invoquer la rupture abusive de pourparlers pour se faire indemniser du préjudice subi. Saisi d’un pourvoi de CA et AAL, la Cour de cassation ne se prononce pas : elle rejette leur pourvoi, estimant qu’il manque de sérieux.

Compte tenu de ce qui précède, on ne peut qu’encourager les assets managers à se mettre en règle avec la Loi Hoguet, à savoir obtenir une carte professionnelle et avant toute opération, signer un mandat écrit avec le propriétaire de l’immeuble.

1CA Versailles, 12ème chambre, section 1, 17 février 2011, Cerep Aulagnier, Asnières Aulagnier Lot J c/ SNC Prisma Presse, Bertelsmann AG, Druck und Verlagshaus Gruner & Jahr AG et Carlyle Real Estate Advisors France, RG n°09/07991 et non-admission du pourvoi par Cass. 1ère civile, 17 octobre 2012, n° R11-15.675.

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