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Point de vue de Pierre Appremont et d'Eglantine Lioret, Wragge&Co

L’immobilier d’entreprise, victime collatérale de la guerre fiscale contre les grands groupes internationaux

En décidant de frapper les grands groupes internationaux - accusés de ne pas payer suffisamment d’impôts en France - via un durcissement du traitement fiscal de la dette, Bercy a, par la même occasion, porté tort aux secteurs d’activité français utilisant fortement le levier de l’emprunt, comme les sociétés d’immobilier tertiaire.

Deux des dernières mesures fiscales les désavantagent ainsi, de façon non négligeable : le plafonnement de la déduction des charges financières supérieures à 3 M€ et le plafonnement de l’utilisation des déficits fiscaux au-delà d’un million d’euros. 

Le plafond des 3 M€ d’intérêt est vite atteint dans l’immobilier d’entreprise

L’immobilier tertiaire utilise, traditionnellement, fortement le levier bancaire. En plafonnant la déduction des charges financières à 3 M€, le législateur pénalise, de facto, ce secteur d’activités. Car si ce seuil est tout à fait parlant pour l’activité commerciale et industrielle, il est courant de le dépasser dans le cadre de l’investissement immobilier ; 3 M€ d’intérêts correspondant, peu ou prou, à un financement de 75 M€. Et il n’est pas rare qu’une foncière finance un ou plusieurs immeubles avec 70, 80 ou 100 M€ d’endettement.

Ce ne sont, ainsi, pas seulement les grandes opérations immobilières qui entrent dans le champ d’application de la mesure, mais également les opérations courantes.

Pour 2012 et 2013, le plafonnement au-delà des 3 M€ d’intérêts s’élève à 85 % des intérêts. A partir de 2014, seuls 75 % de la somme globale sera déductible de l’impôt sur les sociétés.

Exemple : en 2014, une société X achète un portefeuille de 250 M€. Elle finance 60 % de cette opération, soit 150 M€ par l’emprunt, à un taux annuel de 4 %. En 2014, la société X peut déduire 75 % des intérêts qui s’élèvent à 6 M€, de l’impôt sur les sociétés (IS de 34,43 %). Ce sont donc 1,5 M€ de frais financiers non déductibles qui restent imposables à l’IS. La société X paiera ainsi plus de 500 000 € d’impôts supplémentaires.
Si l’on considère que le portefeuille acquis par la société X génère un loyer net de 12 M€ (soit un rendement brut de 5,8 % et de 2,4 % net de frais et d’IS avant réforme), les quelques 500 000€ d’IS supplémentaire représentent une perte de 0,2 % du rendement immobilier (net de frais et d’IS). 

Le plafonnement de l’utilisation des déficits fiscaux : une « double peine » pour les opérations immobilières dont le dénouement est « un peu juste »

Le report des déficits fiscaux reste illimité dans le temps, mais a fait l’objet de plusieurs mesures successives visant à limiter les possibilités d’imputation. Les déficits sont désormais utilisables à concurrence d’1 M€, majoré de 50 % du bénéfice fiscal de l’exercice.

Ce dispositif, qui avait pour objectif d’accélérer le paiement de l’IS par les sociétés et d’améliorer les finances publiques, a pour conséquence désastreuse de surtaxer le profit de sortie en matière immobilière lorsque les opérations ne se dénouent pas aussi fructueusement que prévu initialement.

Dans un contexte d’investissement particulièrement tendu, il est regrettable que les opérateurs prennent, en plus, le risque financier de ne pas pouvoir bénéficier à plein de l’effet de levier fiscal correspondant aux déficits supportés précédemment.

Cette mesure a donc un impact non négligeable sur la rentabilité finale des opérations immobilières.