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Point de vue de Charles-Edouard Brault, Cabinet Brault & Associés

L’échec de longues négociations à la fin d’un bail dérogatoire ne permet pas au preneur de revendiquer le bénéfice d’un bail soumis au statut

(Cass. 3e civ., 5 juin 2013, arrêt n° 12-19634)

Depuis la loi LME du 4 août 2008, plusieurs baux dérogatoires peuvent être consentis au même locataire dès lors que leur durée totale n’excède pas deux années.

Mais à l’expiration de ce délai, il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux si le preneur reste et est laissé en possession, le loyer de ce bail commercial étant, à défaut d’accord des parties, fixé à la valeur locative.

Le bailleur ne doit donc pas rester inactif, et le maintien dans les lieux visé par l’article L 145-5 du code de commerce procède tant de la non-restitution des locaux par le preneur que de l’absence de toute initiative prise par le bailleur en vue de leur libération.

Selon une règle désormais bien établie, il appartient au bailleur de manifester, avant la date contractuelle d’expiration du bail dérogatoire, sa volonté de ne pas poursuivre la relation contractuelle avec le locataire. Selon la Cour de cassation, aucune clause du bail ne peut en dispenser le bailleur (Cass. 3e civ., 4 mai 2010, arrêt n° 09-11840) : nonobstant les dispositions du bail dérogatoire, il faut donc que le bailleur délivre congé ou sommation de quitter les lieux avant l’échéance.

Dans la pratique, il arrive fréquemment que des pourparlers soient engagés pour régulariser un nouveau bail dérogatoire emportant renonciation expresse au bénéfice du statut des baux commerciaux, ou un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux sous des clauses et conditions actualisées.

Traditionnellement, le maintien dans les lieux en raison de négociations pour la signature d’un nouveau bail emporte de plein droit le bénéfice d’un bail soumis au statut des baux commerciaux pour le preneur.

C’est d’ailleurs la solution retenue dans une affaire où de longues discussions avaient été entreprises entre un bailleur et son locataire qui était également son franchisé.

La cour d’appel avait relevé que deux courriers avaient été adressés au preneur avant le terme du bail dérogatoire en manifestant l’opposition de principe au maintien dans les lieux. Mais pour la Cour de cassation, le bailleur avait laissé son preneur au-delà de cette échéance sans prendre d’initiative procédurale pour mettre fin au bail dérogatoire, et le preneur bénéficiait dès lors d’un nouveau bail soumis au statut (Cass. 3e civ., 28 juin 2011, arrêt n° 10-19.236).

Dans son arrêt du 5 juin 2013, destiné à la publication au Bulletin, la Cour de cassation ne retient pas la même solution.

Dans cette affaire, le bailleur avait préalablement délivré congé à son locataire avant l’échéance du bail dérogatoire, et avait donc respecté le principe posé par la haute juridiction.

Cependant, des discussions s’étaient engagées entre les parties en vue de la conclusion d’un bail soumis au statut, et ces pourparlers qui avaient duré trois mois n’avaient pas abouti en raison d’un désaccord sur le montant du droit d’entrée sollicité par le bailleur.

Ce n’est finalement que plus de vingt mois après la fin de ces pourparlers que le bailleur assignait le preneur en vue d’obtenir la libération des locaux occupés.

Pour la cour d’appel, l’inaction du bailleur devait être considérée comme constitutive d’un accord tacite sur le maintien dans les lieux de l’occupante, de telle sorte que s’était automatiquement opéré un nouveau bail commercial de neuf ans.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation. Le seul fait pour le bailleur d’avoir délivré congé au locataire avant le terme du bail dérogatoire justifie sa volonté de ne pas voir s’opérer automatiquement un bail soumis au statut des baux commerciaux, tandis qu’on ne pouvait déduire de son inaction ou de son silence une quelconque renonciation.

Cette solution est parfaitement justifiée en droit, puisque la renonciation du bailleur ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer au bénéfice du congé.

Cependant et dans les faits, le bailleur était resté totalement inactif durant plus de vingt mois après l’échec des pourparlers…

Finalement, la seule manifestation de volonté du bailleur de ne pas poursuivre la relation contractuelle avant l’échéance du bail dérogatoire s’avère désormais suffisante même si, dans les faits, le preneur reste maintenu dans les lieux durant près de deux années.

Cette solution fragilise donc la position des locataires.