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Point de vue de Xavier Lépine, La Française

La place immobilière de Paris à la croisée des chemins

Xavier Lépine est le président du directoire de La Française.

Après Paris, ville lumière et capitale du monde culturel, intellectuel et financier au XIXe siècle, et New York au XXe siècle, Londres, une quasi république indépendante au sein de l’Angleterre se verrait bien dans ce rôle au XXIe siècle…

Dans ce contexte, quel est l’avenir de Paris ? Spécialisation oblige, les acteurs de la vie économique et politique ont la plupart du temps une vision en silo et prônent pour leur paroisse, voire très souvent contre les paroisses des autres : les financiers irresponsables ont fait exploser un monde supposé vertueux, les industriels sont en train de détruire la planète sur le plan écologique et économique (délocalisations), les politiques ont ruiné le pays et détruit l’avenir de nos enfants en s’endettant pour plusieurs générations, les fonctionnaires Bruxellois cumulent tous les défauts : fonctionnaires, étrangers, responsables de la création de l’Euro, de la perte de compétitivité et de l’effondrement de notre industrie…

Ce comportement irresponsable se traduit très souvent par des lobbying d’autant plus inefficaces qu’au-delà de donner de l’eau aux moulins des Cassandres systématiques, seule une approche holistique de la société permet de définir une réelle trajectoire pour celle-ci. Ainsi, penser la place "immobilière" de Paris dans ce nouveau siècle revient à questionner le destin de notre société et plus particulièrement l’adéquation de notre patrimoine immobilier aux évolutions anthropologiques.

Nos acquis sont colossaux : plus de 50 millions de m2 d’immobilier tertiaire en région parisienne (soit l’équivalent du Grand Londres), 1/3 du PIB national, soit 700 Mds€, plus de 8 millions d’habitants, des infrastructures de grande qualité (y compris le port du Havre – un des deux seuls ports en eau profonde de l’Europe), un Grand Paris en cours de devenir ; Paris est également le siège de la majorité des entreprises du CAC 40, qui ont comme particularité d’être quasi toutes parmi les dix premières entreprises mondiales de leurs secteurs respectifs. Sur le plan politique, la France est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et avec l’Allemagne, est le leader des ambitions européennes. Notre patrimoine culturel se confond avec notre patrimoine architectural pour faire de Paris l’une des villes les plus visitées au monde : 27 millions de touristes par an dont 18 millions d’étrangers pour une population intramuros de 2,5 millions d’habitants ; le tourisme représente la première activité économique locale avec 150 000 emplois, et l’accroissement du niveau de vie dans les pays émergents se traduit par une augmentation du tourisme supérieure à la croissance du PIB.

Les optimistes ont donc de bonnes raisons de continuer d’investir dans des actifs réels, générateurs de cash-flow réguliers, bien supérieurs aux taux d’inflation et au taux d’intérêt long terme de l’Etat français comme celui des obligations des grandes entreprises françaises ; et tout cela dans un marché bien équilibré entre l’offre et la demande d’immobilier tertiaire.

Maintenant, si l’on analyse plus en profondeur la création de richesse, il est clair que les défis du XXIe siècle pour la France et singulièrement la place de Paris sont très loin d’être relevés.

Le premier défi est bien évidemment d’ordre macro-économique. C’est le plus évident : la gouvernance de l’Europe et plus particulièrement de la zone euro, va-t-elle permettre aux économies de la zone de reconverger sur le plan de la compétitivité ou à défaut les transferts de richesse entre pays riches et pays du Sud seront-ils organisés ? En l’absence de solution politique, les pressions économiques divergentes (poids et charge de la dette, déficits budgétaire, chômage, démographie vieillissante…) se traduiront-elles par une récession molle sur les 10 ans à venir ou l’éclatement de la zone euro (sortie de l’Allemagne ou des pays du Sud) ?

Le développement de Paris en tant que place immobilière renvoie de surcroit à des défis spécifiques plus complexes et subtils. J’en ai personnellement identifié quelques-uns que je livre à votre réflexion.

Le développement d’une région répond à de multiples causes où s’interpénètrent des facteurs juridiques, économiques et sociétaux. Dans une société agricole, le droit de la famille et de la propriété sont différents de ceux d’une société industrielle – ainsi, à titre d’illustration, la réforme de 1975 du droit de la famille où les époux décident conjointement (préalablement c’était le mari) du domicile conjugal coïncide avec la date déclarée par Michel Serre de la fin de l’ère néolithique et l’avènement de l’urbanisation (le nombre d’habitants en ville a dépassé celui des campagnes en 1975).

La tertiarisation en France s’est développée sur le modèle de l’activité industrielle ; les usines étaient regroupées autour des centres de communications fluviaux ou ferroviaires, l’immobilier tertiaire s’est regroupé en centres d’activités – La Défense en étant la parfaite illustration – les français s’organisant autour d’une vie pendulaire avec sa caricature du "métro, boulot, dodo". Ainsi, à l’inverse de territoires comme les Etats-Unis où l’urbanisme s’est développé par extension sous forme de quadrillage, Paris s’est développé avec des cercles concentriques autour de la capitale créant une rareté et donc une cherté du foncier. Londres s’est étendu avec un habitat social pavillonnaire, alors que la France s’est développée avec de grandes barres d’immeubles d’habitations plus concentrées autour de Paris.

De fait on peut rationnellement s’interroger sur les résultats de la politique urbaine menée depuis 50 ans et surtout l’adéquation des parcs immobiliers avec les évolutions actuelles. Après l’ère industrielle, nous rentrons à l’évidence dans "l’ère de l’économie de la connaissance". L’immobilier, que ce soit l’habitation comme l’industrie ou le tertiaire, s’est toujours façonné en fonction de l’activité humaine. Le "smart grid", et d’une manière générale l’évolution des technologies de l’information vont immanquablement influencer la structure urbaine et l’habitat. Le Grand Paris cherche à répondre à ce défi mais y arrivera-t-il ?

Cette question renvoie en partie à la problématique de la gouvernance : 32 "boroughs" pour le Grand Londres (20 pour la Cité de Londres et 12 pour sa banlieue) contre 1 500 communes et probablement une centaine de centres de décisions (cantons, régions, départements, communes etc.) supplémentaires pour le Grand Paris. Inutile d’en dire plus sur les difficultés à faire fonctionner l’ensemble où chaque maire sait que bâtisseur rime avec mandat perdu.

Sur le plan économique, les modalités d’instauration du SMIC (Salaire Minimum de Croissance) en 1970 - successeur du SMIG (Salaire Minimum National Interprofessionnel Garanti) créé en 1950 : - en créant un seul salaire minimum garanti au niveau national - contre 20 zones à l’origine - ont inévitablement poussé les entreprises de main d’oeuvre hors de l’agglomération parisienne. A salaire égal, le coût de la vie étant, du fait de l’habitat, plus cher dans les grandes villes et singulièrement Paris, il y avait peu de chances de trouver des ouvriers ayant l’envie de travailler à Boulogne Billancourt en gagnant la même chose qu’en région. L’indexation des salaires sur l’inflation des années 70 à 90 a fait le reste… et la région parisienne s’est désindustrialisée. Un gouvernement aura-t-il le courage politique de casser un système obsolète et qui conduit à l’éviction de millions de personnes du monde du travail ?

Un autre défi est celui de la réconciliation de la nation avec la finance. Le président de la République, l’actuel comme le précédent, fustige la finance, grand responsable de tous les maux actuels et entend bien mettre "la finance au pas". Réelle conviction ou calcul politique, peu importe, la réalité est bien que notre système bancaire est en voie de réduction et que la main d’oeuvre qualifiée s’expatrie. Concrètement, on constate déjà que de grands groupes industriels expatrient leurs directions financières à Londres, ce qui ne sera pas sans poser des problèmes de délocalisation des centres de décision et donc de l’activité économique directe comme induite. Cette démarche suppose qu’il existerait un ratio optimum de la financiarisation : 200 % (le total des bilans des banques françaises rapporté au PIB) serait déjà trop… alors qu’il est de 300 % aux Etats-Unis et 400 % en Angleterre ! Au-delà de tous les raisonnements sur le rôle de la finance et l’utilité des marchés, on ne peut que constater que si pratiquement toutes les entreprises du CAC 40 figurent parmi les leaders mondiaux de leurs secteurs respectifs, c’est aussi parce que la place financière de Paris a contribué à leur internationalisation. Si l’on remonte un peu plus dans l’Histoire, lorsque la France était la "capitale du monde", la bourse de Paris était aussi la première capitalisation mondiale et il ne s’agit pas d’un hasard statistique, cette situation se reproduisant dans toutes les capitales.

Ce n’est donc que par une vision globale et non pas compartimentée de la société que Paris trouvera sa place dans le monde du XXIe siècle. Les raisons d’espérer sont aussi nombreuses que les obstacles. Sur le plan immobilier, on peut ainsi raisonnablement penser que le développement urbain s’infléchira vers un système où l’activité humaine intègrera géographiquement plus le travail et l’habitat, avec une meilleure utilisation du foncier.

En matière d’investissement sur le logement, au-delà de "la loi du moment" qui vient souvent au mieux compenser les erreurs stratégiques sur le foncier ou l’économie et au pire perturber l’efficacité naturelle du marché, on peut ainsi s’interroger sur deux stratégies résolument opposées :
- Privilégier le phénomène de rareté en spéculant, ne serait-ce que par l’incapacité à modifier nos "logiciels", sur le maintien (encore) durable de la stratégie foncière des 50 dernières années qui embourgeoise et vide Paris. Sur le long terme (mais où sommes-nous dans le cycle ?), ce que l’on appelle les "actions malthusiennes", c’est-à-dire celles dont la valeur ne repose que sur la rareté, finissent pas disparaître car elles nient l’innovation qu’elle soit technique ou liée au mode de vie.
- Privilégier des territoires nouveaux, géographiquement comme dans les modalités (résidences de services…) financièrement compatibles avec le pouvoir d’achat et répondant donc à la "demande effective (i.e. solvable)" de Keynes en investissant sur la capacité d’adaptation politique, juridique et économique de la France aux défis qui sont les siens.

Les éléments de réponse ne sont donc pas tant immobilier que juridique (démembrement, bail emphytéotique…), politique (gouvernance et stratégie de développement de la France) et économique.