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L’intervention des collectivités publiques dans le développement des hébergements marchands : les schémas directeurs de développement

En partenariat avec In Extenso Tourisme Culture & Hôtellerie

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L’intervention des collectivités locales dans l’organisation et la planification du développement hôtelier est restée très limitée jusqu’à l’orée des années 1990. Les décennies précédentes avaient vu une forte mutation de l’offre hôtelière en France, passant d’un parc essentiellement constitué d’une hôtellerie indépendante traditionnelle, à fin des années 1960, à l’intégration progressive d’une offre nouvelle, principalement impulsée par les chaînes hôtelières, et répondant à divers enjeux :

- développement et démocratisation du tourisme, croissance des voyages d’affaires, induisant des besoins de capacités d’hébergement supplémentaires ;
- évolutions des attentes du consommateur hôtelier, en termes de confort, d’équipements, de services ;
- évolution des centralités urbaines, avec le développement des périphéries de villes, adossées à de nouvelles zones économiques et commerciales et irriguées par de nouvelles voies d’accès (autoroutes, rocades…).

Dans ce contexte, le marché était nettement demandeur de nouvelles capacités hôtelières, naturellement absorbées par une croissance dynamique de la demande. L’expansion urbaine et économique des périphéries de villes procurait des opportunités foncières relativement abondantes, pour développer une offre nouvelle en dehors des centres-villes anciens (dont l’attractivité était alors en déclin).

Plusieurs vagues de développement se sont ainsi engagées de manière successive, partant du haut de gamme à la fin des années 1960 (Méridien, HiltonConcorde…) pour se décliner progressivement vers le milieu de gamme au début des années 1970 (NovotelMercure, Frantel…), puis vers l’hôtellerie économique à partir du milieu des années 1970 (IbisCampanile, Climat de France…) et la gamme super-économique à partir des années 1980 (Formule 1, Première ClasseBalladins…).

Dans ce marché demandeur d’offres nouvelles, et où la disponibilité foncière ne constituait pas un problème crucial, les quelques initiatives de planification de la part des collectivités locales étaient généralement liées à des projets de développement urbain d’envergure particulière, tels que :

- le développement des villes nouvelles, particulièrement en Ile-de-France : dans ces nouveaux concepts de ville « raisonnée », l’hôtellerie avait bien sûr vocation à s’insérer en tant que composante de la planification urbaine ;
- la création de Disneyland Paris, dont l’ampleur des flux de visiteurs anticipés imposait de planifier avec rigueur les capacités d’hébergement nécessaires, en termes de volume, de niveau de gamme et de localisation. Les premières études stratégiques de développement de l’hôtellerie seront réalisées à la fin des années 1980 et actualisées régulièrement par la suite par EpaMarne/EpaFrance sous la forme d’un véritable schéma directeur de développement des hébergements, en élargissant progressivement la zone d’étude du secteur de Val d’Europe (dans lequel s’insère Disneyland Paris) à l’ensemble de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et à ses abords.

Le début des années 1990 marque un tournant brutal et la fin d’une époque : la crise économique frappe durement la France et ses voisins européens à partir de 1992-1993, provoquant une chute de la fréquentation hôtelière. Surtout, cette crise agit également comme un révélateur de situations de surcapacité hôtelière dans de nombreuses agglomérations françaises, découlant de développements trop rapides, mal étudiés (absence d’étude de marché, prise en compte insuffisante de la concurrence présente et à venir…) et manquant souvent de professionnalisme (propriétaires et exploitants non formés au secteur, multiplication des marques hôtelières éphémères…). La situation est particulièrement tendue dans l’hôtellerie de chaîne économique et super-économique, et aboutira entre 1992 et 1997 à la liquidation ou la reprise d’un certain nombre d’établissements, ainsi qu’à la disparition d’enseignes (Confortel, Resthôtel-Primevère, Cottage…).

L’aspect préoccupant de la situation n’échappe bien sûr pas aux collectivités locales, qui sont couramment confrontées à des défaillances d’entreprises hôtelières sur leur territoire et mesurent également de manière accrue le rôle stratégique que l’hôtellerie peut jouer dans le développement économique et touristique d’une destination. Dans le même temps, la densification progressive des zones périurbaines et entrées de ville commence à raréfier les fonciers de qualité, en termes de localisation, de visibilité et d’accessibilité, pour le développement de capacités hôtelières.

Dans ce contexte qui sensibilise de plus en plus les élus locaux aux vertus d’une réflexion stratégique sur le développement de l’hôtellerie sur leur territoire, survient la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (dite « loi Raffarin »), qui étend au secteur de l’hôtellerie l’obligation d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale . Au-delà d’une certaine capacité (50 chambres en Ile-de-France, 30 chambres en régions), les projets de développement ou d’extension doivent alors passer le filtre des commissions départementales d’équipement commercial (CDEC), pour pouvoir déposer un permis de construire. Dans cette nouvelle situation, les collectivités locales vont chercher les outils qui leur permettront d’arbitrer les projets de développement hôtelier soumis à la CDEC, en servant au mieux les objectifs de développement économique, touristique et urbain de la destination.

Le schéma directeur de développement hôtelier va rapidement devenir un de ces outils privilégiés. Lyon sera la première grande agglomération française à engager l’élaboration d’un tel schéma, dès 1997, à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon, et à procéder à sa mise à jour régulière (dernière actualisation : schéma de développement de l’hébergement touristique dans le Grand Lyon 2011-2015, piloté par le Grand Lyon). La plupart des autres grandes agglomérations ont suivi la même démarche générale dans les années 2000.

Qu’est-ce qu’un schéma directeur de développement hôtelier ? On peut le définir comme un document stratégique, visant à :

- effectuer une photographie précise de l’offre hôtelière en place au moment de l’étude (capacités, niveaux de gamme, créations/fermetures récentes, polarisations géographiques, principaux opérateurs…), des niveaux de performances commerciales réalisées (taux moyen d’occupation, prix moyen par chambre louée, RevPAR) et du profil de la clientèle (origine géographique, motif de visite…), en tenant compte des différents territoires/pôles éventuellement identifiés sur la destination et des problématiques spécifiques au marché hôtelier local ;
- analyser les dynamiques de développement sur le territoire, en termes d’accès/transports, d’économie, de tourisme (tant d’affaires que d’agrément), d’aménagement urbain…, pouvant induire de nouveaux besoins quantitatifs et qualitatifs en hébergement hôtelier ;
- estimer sur un horizon de moyen terme (en général 4 à 5 ans) les besoins induits en hôtellerie, en termes quantitatifs (nombre d’établissements, nombre de chambres) et qualitatifs (niveaux de gamme, localisations/pôles, types de produits…).

Il s’agit donc d’un document d’orientation pour le développement hôtelier d’une destination (ville, agglomération, département…), avec un objectif de croissance maîtrisée (préserver les équilibres offre-demande, éviter les situations de sur ou sous-capacité…), tout en intégrant les ambitions stratégiques de développement économique, culturel, touristique de la destination.

Pendant la période où la loi Raffarin a été en vigueur (début 1997 à fin 2008), le schéma directeur de développement hôtelier permettait notamment aux élus locaux de statuer, de manière réactive, sur les demandes d’autorisation qui étaient déposées auprès de la CDEC, afin d’évaluer si le projet s’inscrivait ou non dans la stratégie de développement hôtelier définie pour la destination. Il reste tout aussi utile, à présent que la procédure de CDEC a été abrogée pour l’hôtellerie, pour instruire dans ce même esprit les demandes de permis de construire hôteliers. Il permet également, de manière plus proactive, de définir pour la collectivité locale des objectifs de développement hôtelier en cohérence avec sa stratégie globale de destination (ex : favoriser l’implantation d’un hôtel 5 étoiles pour mieux positionner la destination sur les marchés internationaux, favoriser le développement hôtelier sur un nouveau pôle économique en émergence, revitaliser la fonction hôtelière du centre-ville…). Il peut ainsi aider la collectivité locale à définir une « feuille de route » pour lancer des appels à projets, et initier la dynamique de projet au lieu de simplement la subir.

De notre expérience, la réussite d’un schéma directeur de développement hôtelier, dans sa période d’élaboration et sa phase de vie, passe généralement par les points clés suivants :

- une mobilisation de tous les acteurs locaux, tant publics que privés (hôteliers), permettant une prise en compte de toutes les problématiques et des enjeux locaux, et une appropriation efficace des recommandations stratégiques du schéma. L’externalisation de la réalisation du schéma, en la confiant à un consultant indépendant spécialiste du secteur, constitue généralement un atout pour fédérer ces différents acteurs autour d’une démarche commune, dans un esprit d’impartialité et d’objectivité ;
- un diagnostic Offre/Demande le plus précis possible, afin de bien appréhender la situation actuelle, et les problématiques qui y sont associées. Si cette recommandation tombe sous le sens, sa mise en œuvre peut se révéler plus complexe que prévue : même au niveau initial du recensement de l’offre existante (nombre d’établissements, nombre de chambres), les diverses sources disponibles peuvent être discordantes (actualisations plus ou moins récentes, méthodes de comptage différentes…), et nécessiter des arbitrages. Il en est de même pour le recueil et l’analyse des performances de marché, pour lesquelles différentes sources peuvent être disponibles (Insee, observatoires locaux, clubs hôteliers…), avec des écarts plus ou moins significatifs. Ici encore, l’intervention d’un consultant indépendant spécialisé peut être gage d’un arbitrage indépendant, appuyé sur des guides méthodologiques éprouvés, et permettre d’éviter qu’une faille, même minime, sur le diagnostic Offre/Demande initial n’ouvre une brèche dans la pertinence et la cohérence des analyses et recommandations finales du schéma.
- la mise en place d’outils de suivi pendant la durée de vie du schéma, au niveau de l’offre (suivi des projets, en cours ou à l’étude), mais aussi et surtout au niveau de la fréquentation. En effet, le schéma directeur de développement hôtelier est établi à un instant T, avec un horizon de vision de 4 à 5 ans dans la plupart des cas observés. Quels que soient la qualité et le sérieux des prospectives établies, l’évolution réelle du marché reste sujette à de multiples aléas et peut donc se révéler sensiblement différente. La mise en place d’un observatoire statistique hôtelier sur le territoire concerné, avec un suivi mensuel et éventuellement une structuration par pôle géographique cohérente avec celle du schéma (sous réserve de panels suffisants), permettra d’avoir ce suivi conjoncturel régulier tout au long du cycle de vie du schéma. Il offrira également l’avantage de faciliter l’actualisation ultérieure du schéma, par ses données historiques. Cet outil est souvent géré, voire mis en place par le consultant ayant réalisé le schéma hôtelier, assurant ainsi une cohérence maximale en termes de méthodologie et de qualité de suivi.

Au-delà de ces principes généraux, chaque schéma directeur de développement hôtelier est un travail sur mesure, qui nécessite une compréhension fine et en profondeur du territoire et de ses acteurs. C’est également une démarche qui évolue et s’adapte en fonction des mutations du marché. Ainsi, ces dernières années, certaines tendances ont pu être observées :

- Une extension du champ d’analyse : les années 2000 ont vu le développement soutenu de l’offre de résidences de tourisme, en particulier en milieu urbain et périurbain. Répondant initialement à une demande latente d’hébergements plus souples (plus d’espace et d’autonomie, moins de services) pour des séjours essentiellement de moyenne à longue durée, ces produits se sont également positionnés assez fortement sur les marchés de court séjour (1 à 3-4 nuits), domaine traditionnel de l’hôtellerie. Compte tenu de cette proximité de marché, voire des interférences observées localement, l’exercice prospectif prend de plus en plus couramment la forme d’un « schéma directeur de développement hôtelier et parahôtelier », intégrant ainsi l’offre de résidences dans la réflexion globale. Sur certains territoires où des problématiques et enjeux particuliers s’étendent aux chambres d’hôtes, aux meublés touristiques ou à l’hôtellerie de plein air (stations touristiques, territoires départementaux…), le périmètre du schéma tend même à se développer à l’ensemble de l’hébergement marchand, débordant ainsi largement la seule problématique de l’hôtellerie.
- Un élargissement du champ de réflexion et d’action, d’une problématique de création pure à des préoccupations d’amélioration et de préservation du parc existant. Autant que le développement de capacités additionnelles à terme, il s’agit ainsi de plus en plus : d’éviter la fermeture d’établissements existants, fragilisés par divers facteurs : difficultés de transmission des petites exploitations familiales, problématique de mise aux normes de bâtiments hôteliers anciens (sécurité incendie, accessibilité PMR), pression immobilière sur l’hôtellerie de centre-ville ou de centre de station (mutation en logement ou bureau)…; et de favoriser la rénovation, voire l’amélioration (montée en gamme, enrichissement de la gamme d’équipements et de services…) de l’hôtellerie existante, en particulier les petits établissements familiaux, afin de les adapter à l’évolution des attentes de la clientèle.

Ces préoccupations de sauvegarde et de relance ont notamment pris une importance particulière ces dernières années avec le regain d’intérêt pour les centres-villes, délaissés au profit de la périphérie urbaine pendant plusieurs décennies et dont l’équipement hôtelier s’était souvent réduit quantitativement et/ou dégradé qualitativement.

Si les vertus du schéma directeur de développement, qu’il soit hôtelier, parahôtelier ou des hébergements marchands, paraissent avérées, par la réflexion prospective qu’il induit et la mobilisation des acteurs locaux autour d’une vision commune, il convient toutefois de rester vigilant sur les limites de l’exercice :

- Le schéma directeur est un document d’orientation, un exercice de prospective, il ne constitue pas des « Tables de la loi » gravées dans le marbre : il doit rester dans une certaine mesure ouvert et ajustable aux évolutions du marché sur sa période de vie, ainsi qu’aux opportunités qui peuvent se présenter (produits hôteliers innovants, nouveaux opérateurs, investisseurs stratégiques…).
- Une planification trop contraignante peut avoir des effets contre-productifs. Ce risque s’est déjà concrétisé lors de l’élaboration ou de la révision de certains plans locaux d’urbanisme (PLU), comme par exemple à Chamonix : par souci de préservation de son hôtellerie de centre-ville, menacée notamment par une pression immobilière croissante, la station a créé lors de la révision de son PLU en 2005 une zone H, interdisant toute activité autre que l’hébergement hôtelier pour les établissements présentant une capacité strictement supérieure à 20 chambres. Si cette mesure a eu des effets vertueux en ralentissant l’érosion des capacités d’accueil hôtelières en centre-ville, elle a eu aussi des effets pervers, en mettant en situation d’impasse certains établissements en déshérence qui n’arrivent pas à trouver de repreneur hôtelier, et n’ont aucune solution alternative de reconversion. Il convient donc d’être vigilant à ce que le schéma directeur de développement hôtelier ne pousse pas trop loin la « sanctuarisation » selon ce modèle.

Ainsi, le schéma directeur de développement de l’hôtellerie, ou des hébergements marchands, ne constitue ni une boule de cristal, ni une vérité gravée dans le marbre pour l’éternité. Mais bien utilisé et correctement mis en œuvre dans sa réalisation et son suivi, il constitue un outil de réflexion et d’orientation stratégique, permettant aux collectivités locales et aux professionnels de se rassembler sur une vision et un projet communs en termes d’hébergement, en cohérence avec les autres dynamiques, économiques, touristiques et urbaines qui s’expriment sur le territoire.