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Point de vue de Marc Gedoux, Pierre Etoile

10 000 logements neufs à Paris : la voie étroite

Marc Gedoux, président de Pierre Etoile, critique la politique du logement qu’Anne Hidalgo entend mener dans la capitale.

Anne-Hidalgo vient de présider son premier Conseil de Paris. Outre une opposition municipale sérieusement renforcée après les élections, avec 71 sièges actuellement contre 51 naguère, une promesse de campagne sera sans nul doute une pomme de discorde bien amère : Anne Hidalgo s'est engagée à ce qu'il soit produit chaque année, au cours de sa mandature, 10 000 logements neufs, dont 7 000 logements sociaux. L'adjoint portant la délégation du logement, l'élu communiste Ian Brossat, a loyalement assumé l'objectif de son héraut.

Dès ses premières déclarations publiques, il a fait preuve d'un grand volontarisme, parlant de mobilisation des acteurs - la carotte - et brandissant le droit de préemption - le bâton -. Au demeurant, le choix de Monsieur Brossat à cette responsabilité a sonné comme une provocation aux oreilles des promoteurs privés, sans considération de la compétence de l'élu que l’on dit incontestable. Son idéologie fait craindre plus de dureté dictatoriale que de capacité à dialoguer...

Pourtant, c'est de dialogue et de coopération entre la municipalité et les opérateurs dont Paris a besoin. Sans quoi, l'objectif des 10 000 logements ne sera jamais atteint. Il faut se rappeler d'où l'on part pour mesurer le chemin à parcourir ! Il se construit aujourd'hui, selon les chiffres officiels, moins de 4 000 logements par an, en vitesse de croisière depuis dix ans (36 500 logements terminés entre 2002 et 2012). Au cours de la campagne municipale, on a entendu une mise en cause de ces statistiques de la part de la principale compétitrice de Madame Hidalgo. Sans entrer dans cette polémique, et en se fondant sur les chiffres du ministère du Logement, on voit que l'objectif correspond à une multiplication par 2,5 au bas mot ! Est-ce possible ? Oui, au prix de plusieurs conditions,… à ce jour loin d'être réunies.

Certes, on peut penser que les organismes publics ou para-publics, c'est-à-dire les sociétés ou les offices HLM, contribueront pour une part majeure à la performance, et qu'il suffira de leur ordonner de produire pour qu'ils le fassent… mais c’est déjà faux. La raison principale, qui pénalise également les promoteurs privés, est la rareté foncière, qui culmine dans la capitale. Il est urgent de sortir de l'incantation en matière de mise à disposition des terrains de l'État et des collectivités.

Alors que Cécile Duflot a fait voter une loi exigeante sur ce sujet, on ne voit rien venir : ni sanction, ni réaction du gouvernement. Quand le recensement du foncier public inemployé ou des immeubles bâtis devenus inutiles sera-t-il fait ? En particulier sur le territoire de Paris, qui abrite l'essentiel des services publics et des quelque 550 opérateurs de l'État… Pour autant que les appels d’offres ne désignent pas systématiquement comme lauréats les candidats à l’acquisition les plus offrants !

Il est difficile d’y résister, et on peut être septique, dans cette période où l’Etat et les collectivités doivent faire des économies à tout prix…. Il n'est que grand temps que le gouvernement, qui s'est déjà fait sanctionner par le Conseil constitutionnel, trouve comment modifier la taxation des plus-values applicable aux propriétaires privés de terrains, pour qu'elle devienne incitative à la cession plutôt qu'à la stérilisation durable et à la thésaurisation. On sait notamment que nombre de congrégations et de familles sont historiquement à la tête d'un portefeuille foncier considérable.

Un autre paramètre risque d’embarrasser la municipalité : les contraintes de pourcentage de logements sociaux dans chaque programme. La loi a porté le ratio de 20 à 25 %, et il ne saurait être question pour Paris de ne pas respecter une disposition que Monsieur Delanoë et Madame Hidalgo ont appelée de leurs vœux. Il serait simplement bon de ne pas renchérir...

Or, on sent bien que la pente de Ian Brossat serait celle-là. D'ailleurs, par le passé, il n'a pas été rare que l'obtention d'un permis de construire soit subordonnée à des ratios supérieurs aux 20 % alors légaux. Certains promoteurs ont dû en passer par de sévères fourches caudines, allant jusqu'à 30 %. Pourquoi une contrainte renforcée serait-elle insupportable? Parce qu'un bilan de promoteur s'équilibre, comme tout bilan avec les produits et les charges.

Si, à l'intérieur du poste des produits, on baisse le prix de certains logements, le prix des autres doit être mécaniquement majoré. Or, la solvabilité des accédants et des investisseurs est éprouvée à son maximum, et toute augmentation de prix compromettrait la réussite commerciale d'une opération. Aucun promoteur ne s'y risquera. Le préjudice ? Il sera double : les 3 000 logements privés ne sortiront pas de terre, et l'objectif des 7 000 HLM sera également compromis. En effet, il ne peut être atteint sans les 25 % de logements sociaux dans chaque programme, que les bailleurs sont censés racheter aux promoteurs.

Une autre condition est impérative : il faut que la machine administrative dédiée à l'instruction des demandes d'autorisations soit plus efficace et plus fluide, ce qui ne sera pas évident si Madame Hidalgo allège les effectifs de la lourde administration parisienne ! Enfin, il faudra une conversion des esprits, tant de ceux des élus que de ceux des administrés, sur la question majeure de la densité. Paris a des allures de ville-musée, et sans doute avons-nous l'une des plus belles capitales du monde. Elle est juste un peu figée dans ses formes urbaines, et par trop conservatrice.

Il est vital d'accepter des immeubles plus hauts, qu'ils soient neufs, ou qu'il s'agisse de surélévation d’immeubles existants. On rappellera d’ailleurs que la récente loi Alur comporte un abaissement des majorités de vote en copropriété pour faciliter les décisions de surélévation. L'objectif de production de 10 000 logements dans Paris intra-muros, pour ambitieux qu'il soit, n'est pas inatteignable.

On peut même penser que la capitale était un tel mauvais élève jusqu'alors qu'elle ne peut que "mieux faire" (pour reprendre une mention habituelle des carnets de notes). Ce résultat ne sera pas obtenu par des discours vigoureux et des promesses réitérées, mais bien par la réunion des conditions. Cet effort doit désormais obséder l'action de l'équipe municipale.

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