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Point de vue de Nicolas Buchoud, Cercle Grand Paris

Grand Paris. L’heure de la société civile

Souvenons-nous. En 1961 puis en 1967 à nouveau, Demain…Paris créait l’événement au Grand Palais, reflet urbain d’une société en pleine transformation, avide de changement et de modernité. Quarante ans plus tard en 2009, entre Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne et Métropole Post-Kyoto, la Cité de l’Architecture accueillait à son tour un large public. L’année suivante, le débat public sur le réseau de transport du Grand Paris a connu plus de succès encore. On allait changer d’époque ! Mais aujourd’hui, à quel extraordinaire voyage dans le futur sommes-nous encore conviés ?

L’actualité du Grand Paris est marquée la confusion et l’incertitude. La parution du décret relatif à la création de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris, maintes fois retardée, n’y change pas grand-chose. Ce n’est pas l’envie qui manque, mais peut-être a-t-on brûlé les étapes de l’intégration institutionnelle. Et c’est tout l’édifice collectivement bâti depuis 2007 qui tremble.

La loi sur le Grand Paris de 2010, Grand Paris Express et les Contrats de Développement Territorial ont franchi avec succès un changement de majorité présidentielle et au Parlement. A l’inverse, moins de trois mois après sa promulgation, la loi de décembre 2013 portant la création de la métropole du Grand Paris est remise en question par les nouveaux équilibres politiques franciliens issus des élections municipales.

La solution viendra-t-elle par le haut ? Une puissante réforme territoriale emportant régions et départements simplifierait le « mille-feuille territorial ». La fronde menée par les élus de Paris Métropole pour conféré un statut juridique aux grands territoires d’agglomération se résoudrait dans une région aux contours institutionnels redessinés. On aurait de nouveau un Secrétariat d’Etat dédié au Grand Paris. Mais rien n’est moins sûr.

Est-il encore temps pour le Grand Paris ?

En dépit des arbitrages rendus il y a un an à peine par le Premier ministre, le mot d’ordre est plus que jamais à l’économie.

Les Enfants du Grand Paris plaident avec conviction que les projets du Grand Paris rapporteront bien plus qu’ils ne coûteront. Mais c’est pour mieux mettre en lumière un nouveau gisement potentiel de 5 milliards d’euros d’économie dans les projets du Grand Paris Express.

Pour faire oublier le mur budgétaire et la rationalisation à marche forcée qu’il impose, le Grand Paris est plus que jamais à la mode. Quitte à en rajouter parfois un peu trop. Grand Paris alimente les petits déjeuners en ville et les stands des salons, comme à l’occasion de la dernière édition du Mipim où les grands territoires étaient soigneusement alignés, comme à la parade.

« Loi inapplicable », « situation bancale », contexte économique de rigueur, accumulations de rêves et de promesses, interrogations récurrentes des acteurs financiers, alertes trop vite oubliées comme le dernier rapport de l’ORIE, débats tronqués, les risques d’un éclatement de la bulle du Grand Paris sont là.

Si la déception devant le réel devait vraiment l’emporter, les prochaines années paraîtront bien mornes et désenchantées. Les risques sont d’autant plus grands que « l’envers du Grand Paris », sa réalité quotidienne, sont faits de ruptures sociales et territoriales très loin de s’atténuer. Est-ce que l’on vit mieux dans le Grand Paris de 2014 que dans celui de 2007 ?

Le temps du Grand Paris « méga-projet » est sans doute en train de passer.

Il est plus que temps de passer au Grand Paris de la demande et plus seulement à un Grand Paris de l’offre. C’est précisément ce Grand Paris de la vie des gens, reflet des nouvelles vies métropolitaines, qui a donné du souffle aux réflexions sur les infrastructures, les investissements, l’innovation… et suscité depuis 2007, l’intérêt d’un très large public et une réelle adhésion.

Le vrai risque serait de se voiler la face, par exemple pour faire bonne figure face aux « fonds souverains ». La réussite économique dans la compétition internationale nécessite certes de capitaliser sur la force de la marque Paris, comme le proposent invariablement la CCI Paris Ile-de-France ou les agences de développement. En y adjoignant « Grand », le message paraît plus audible. Dépourvu de réelle substance nouvelle, Grand Paris devient-il toutefois plus crédible ?

L’attractivité durable de notre agglomération, de notre région métropolitaine repose d’abord sur la force de l’ensemble de ses acteurs et parties prenantes, sur l’intérêt qu’y prennent et y trouvent entreprises, citoyens et usagers de la métropole. Est-ce que ce ne sont pas eux, au fond, les vrais souverains ? Chacun peut constater au quotidien à quel point citoyens et territoires bougent, se transforment, ou aspirent à le faire. C’est à cela que le Grand Paris doit répondre.

En réalité, pas de Grand Paris possible sans la promesse crédible et audible d’une qualité de vie en phase avec les nouvelles attentes et modes de vies métropolitains, véritables terreaux fertiles et vivants de l’innovation, de l’adaptation au changement. Et cela concerne tout le monde, les plus riches comme les plus modestes, les mieux interconnectés comme les plus isolés, les plus jeunes, comme les plus vieux…

Notre horizon urbain est métropolitain. Notre horizon métropolitain est local, national et global. C’est sur les femmes et les hommes des territoires métropolitains que repose la transformation des structures de l’agglomération parisienne.

Paris tient encore sa place parmi les grandes métropoles attractives. Son capital intellectuel comme sa vitalité culturelle sont des atouts. Mais les classements annuels, de Cities of Opportunity au Global Power City Index mettent en lumière des fragilités internes croissantes.

Il faut reprendre les termes du débat. Nous avons besoin d’agilité, de perspicacité et de solidarité. N’attendons pas la puissance publique. Accompagnons-la, précédons la, sollicitons-la. N’attendons pas tout des budgets publics. Ouvrons la porte à de nouvelles solutions de financement de l’aménagement ou des infrastructures de transport. Arrêtons d’opposer d’un côté « la finance » et de l’autre « les territoires ». Continuer à alimenter l’incompréhension mutuelle ou à s’arc-bouter sur des frontières public/privé anciennes, c’est nourrir la caricature. C’est négliger de précieuses ressources au lieu de bâtir des politiques urbaines et sociales locales mieux adaptées aux contraintes d’un environnement urbain global.

Il faut repartir des besoins, revenir à la seule mesure valable, celle du changement des situations vécues. La métropole se transforme déjà, rapidement, et c’est là notre atout. Rapport au travail. Commerce électronique. Usages de la mobilité. Ouverture à l’Europe et aux flux internationaux, etc… Nous suivons les auteurs de la Révolution Métropolitaine, lorsqu’ils plaident pour le développement de partenariats économiques et sociaux privé-public. La responsabilité est celle de chacun.

Les marges de progrès sont réelles. Nombre de solutions sont à portée de main. Ainsi depuis 2013 les entreprises françaises (CAC 40, SBF 120) ont pour obligation de publier des informations précises sur leur performance sociale, environnementale et sociétale. C’est une nouvelle étape permettant de mesurer la contribution effective des entreprises et de leurs salariés au développement territorial.

Eco-mobilité, accessibilité financière et physique aux services et au logement, efficacité énergétique, applications numériques, e-commerce… font désormais partie de la vie quotidienne de plus de la moitié des entreprises du CAC 40 et de leurs salariés, voire de leurs partenaires économiques et de leurs sous-traitants. Ces engagements concrets définissent les contours d’une économie solidaire des territoires, au service de la transformation de la métropole.

Depuis sa création en 2011, le Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable promeut les dynamiques du Grand Paris comme un gisement de croissance. Les échanges et rencontres réguliers avec de nombreux think-tanks en Europe, au Japon, aux Etats Unis montrent qu’un nouvel agenda métropolitain est possible, croisant investissements et changement social et sociétal.

Bâtir un nouveau contrat social et économique du Grand Paris est indispensable au développement de grands projets. Nous lançons les pistes de travail et les propositions suivantes :

- Dégager un large accord sur les infrastructures dont l’impact social immédiat sera le plus important : lignes de Grand Paris Express à l’est et du nord vers l’ouest, révision en conséquence du développement des réseaux de tramways et bus en site propre, modernisation du réseau routier, gares TGV hors Paris intra-muros.

- Connecter précisément l’engagement au titre de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises avec le développement durable et l’aménagement des territoires.

- Concentrer les efforts publics et les efforts privés, solidairement, sur les ressorts essentiels du développement, une CECA métropolitaine en quelque sorte, dont le « charbon » et « l’acier » seraient l’innovation et l’apprentissage, la valorisation des implications sociales des nouvelles technologies, le croisement de l’industrie immobilière et des mobilités…et la mise en avant des potentiels locaux dans une perspective européenne et globale.

- Rassembler, parallèlement aux ajustements institutionnels indispensables, les forces de la société civile. A l’image du Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable, nombre de clubs et associations rassemblent des acteurs privés et publics convaincus de la valeur d’une ambition métropolitaine commune et de la dynamique durable du Grand Paris. Il y a là une richesse humaine singulière, celle de plusieurs centaines de professionnels et citoyens engagés, volontaires, qu’il serait vraiment regrettable de continuer à négliger. Nous proposons à Paris Métropole, au gouvernement, de rassembler d’ici à la fin de l’année 2014, un forum économique et social du Grand Paris, qui devra faire des propositions concrètes.

- Revoir, à très court terme, les relations de coopération de ville à ville. La société civile métropolitaine est largement connectée (réseaux sociaux, migrations, tourisme…), mais les pièces du puzzle sont trop petites. Les coopérations bilatérales trop institutionnelles ou trop spécialisées. Paris-New York, Paris-Londres, etc… tout cela n’a plus de sens si la coopération entre les mairies ne s’inscrit pas dans un agenda économique largement partagé, au service du développement des territoires. Les relations entre Paris et Londres par exemple, pourraient être considérablement enrichies en faisant émerger les profondes complémentarités entre les deux territoires métropolitains. Une nouvelle entente cordiale, métropolitaine et urbaine signerait le rapprochement pragmatique des atouts des deux agglomérations. La même approche serait plus fructueuse encore avec les métropoles de pays émergents.

Un dernier mot, peut-être. L’effervescence urbaine et sociale de la fin des années 1960 n’a pas seulement contribué au succès de grandes expositions sur la ville. Après mai 1968, le Général de Gaulle a annoncé puis plusieurs fois repoussé un référendum sur la modernisation universitaire, économique et sociale du pays. C’est finalement en 1969 que la consultation a eu lieu, autour de la réforme du Sénat…et de la régionalisation. Les résultats sont connus. Ses conséquences politiques aussi. Il n’est pas trop tard pour redonner du souffle au Grand Paris.