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Point de vue de Céline Bouvier, Lobjoy & Bouvier

Organisons la révolution du logement !

Céline Bouvier, architecte de l’agence Lobjoy & Bouvier, estime que la crise du logement est d’abord une crise de la République.

La crise du logement que nous traversons actuellement porte en elle les germes d’une crise républicaine. Loin de céder au pessimisme, nous voulons croire que nous sont offertes les conditions d’une nouvelle donne.

Ou sont les blocages ? Nous en dénonçons deux : une financiarisation des métiers de l’immobilier, qui exerce une forte pression sur les prix de sortie des opérations ; des obstacles purement politiques, qui entraînent la saturation des fonciers disponibles. La pénurie n’est pas récente : elle s’est organisée pendant les Trente Glorieuses, le premier choc pétrolier étant le moment du basculement. Depuis 1973, le nombre de mises en chantier de logements décroît constamment. Cette crise du logement laisse des milliers de personnes mal-logées, précarisées, voire exclues. Autant de situations humainement insupportables, dont le citoyen-architecte souffre.

Ces logements manquants sont le résultat d’un système bloqué, mettant en jeu des acteurs malgré eux mis face à face : un système qui rend les maires frileux, des propriétaires fonciers figés, un Etat pris dans une logique de spéculation. Nous attendons de l’action et davantage de courage de la part de nos politiques. Nous préférons au terme de choc foncier, par ailleurs jamais réalisé, celui de nouvelle donne. Un choc est nécessairement brutal et obsolète face à une réalité socioéconomique par définition lente et progressive, tandis que la « nouvelle donne » s’ancre dans le réel. Nous demandons la mise en place d’une nouvelle gouvernance, capable d’agir efficacement sur le foncier et la finance.

La crise républicaine a des répercussions qui vont bien au-delà de la question du logement, avec des conséquences économiques graves pour notre pays et d’importantes répercussions sociales, en témoignent le solde migratoire négatif de la Métropole, l’importance donnée à ce sujet par le gouvernement, autant que par les citoyens et les médias !

Beaucoup de solutions ont déjà été avancées pour répondre à cette crise du logement. Nous ne croyons pas à des formes de réponse ponctuelles et locales, qui seraient loin d’appréhender tous les aspects du problème. Loin de proposer un antidote miracle, nous croyons qu’une remise à plat est nécessaire.

Il nous faut repenser complètement la manière dont nous concevons et produisons le logement, il nous faut organiser une véritable révolution du logement. Face à cette crise républicaine, pourquoi ne pas aborder cette question du logement à travers les valeurs qui fondent notre République ?

La crise nous prive avant tout de notre liberté de choix : celle de vivre où l’on veut, comme on le souhaite. Nous, architectes, devons imaginer et promouvoir les nouveaux modes d’habiter. Etre libre, c’est pouvoir vivre dans un logement qui convienne à sa situation familiale, adapté à chaque séquence de la vie. Etre libre, c’est pouvoir choisir de se déplacer sans voiture, de se rapprocher de ses enfants, de vivre à proximité de son lieu de travail, des écoles, des différents équipements. Etre libre, c’est pouvoir faire le choix de la Ville.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Le sont-ils sur la question du logement ? L’égalité doit se reconnaître avant tout comme une prise en compte de nos différences. Bien que le droit au logement soit, au même égard que le droit à l’éducation, d’une importance capitale au développement de chacun, les conditions de l’égalité ne sont toujours pas réunies. Nous dénonçons des logements trop petits, trop chers à acquérir, inadaptés à leur usage. Ne sacrifions pas la qualité sur l’autel du quantitatif. Faisons le choix de grands logements lumineux, vertueux pour l’environnement et fonctionnels : chacun a le droit à un logement qu’il puisse désirer.

Si l’égalité et la liberté sont des droits, la fraternité est un devoir. La révolution urbaine en marche, la mise en place de nouveaux réseaux métropolitains ainsi que la polycentralité assumée nous donnent les clefs pour repenser positivement la densité, les justes mixités et l’organisation d’un collectif fraternel. Ces valeurs fondatrices de notre République développées à travers le prisme du logement sont-elles suffisantes ? Loin de les remplacer, nous en avons cherché d’autres, que nous jugeons nécessaires pour refonder le logement.

Nous défendons l’idée que le logement de demain sera métropolitain ou ne sera pas. Contre une sédentarité imposée par le logement tel qu’il est aujourd’hui, à l’encontre des exigences de la Métropole, il faut permettre davantage de mobilité et imaginer des infrastructures la facilitant. L’économiste Jeremy Rifkin en parle ainsi dans son ouvrage « l’Age de l’accès » : l’usage prime désormais sur la propriété ; l’avenir est définitivement placé sous le signe d’une mobilité accrue. Pour atteindre cet idéal de mobilité et densité, les solutions à mettre en oeuvre ne sauraient être seulement ponctuelles ou locales. Elles se feront nécessairement à l’échelle même de la métropole.

Nous défendons une nouvelle relation au monde extérieur, que le logement rendra sensible : voir le ciel, sentir la chaleur du soleil, retrouver la nature, autant de plaisirs sensuels, simples, essentiels, ignorés par le logement. Dans cette quête de vérité, l’architecte doit aussi concevoir des logements adaptés aux différents usages possibles, en phase avec l’actuelle évolution des structures sociales. Etudiants, jeunes actifs, familles recomposées, personnes âgées dépendantes ou non, nous devons tous pouvoir nous approprier les lieux de notre vie.

Cessons de nous penser en crise : mettons nous dans le mouvement de cette mutation qui bouleverse actuellement la société. Reconsidérons les valeurs essentielles de l’habiter. Réinventons le bonheur au sein du logement et dans la ville. Les architectes en sont les alchimistes, seuls capables de réaliser ce dosage millimétré : celui d’une ville à la fois dense, fonctionnelle et diversifiée. Dans une ville heureuse et intense, des logements où l’on puisse grandir, s’épanouir, vieillir. Un mode d’habiter qui saurait rassembler les individus sans pour autant dénier leur intimité.

Dans la conception du logement, l’architecte touche immanquablement à l’intime. Avec humilité, il doit créer les conditions du bonheur chez soi, sans pour autant chercher à surinvestir l’intimité propre au logement. Nous voulons proposer une nouvelle forme d’humanisme architectural, parce que nous croyons qu’il appartient à l’habitant, et à lui seul, d’organiser son intimité.

Laisser s’exprimer librement l’intime, pour mieux refonder le collectif : c’est la tâche et la responsabilité de l’architecte. Il lui faut créer les conditions d’un collectif heureux, maîtrisé, à la bonne échelle, qui respecterait l’ensemble des intimes possibles. Depuis les Trente Glorieuses et ses grands ensembles, le collectif fait peur : faisons en au contraire une valeur positive, et non subie. Dans notre société en mutation, les valeurs du partage prennent tout leur sens pour un collectif réinventé. Le logement offre d’autant plus d’opportunités de partage que les conditions de densité se sont transformées. Penser à l’échelle du collectif, c’est permettre le partage, et trouver les qualités indispensables à l’habiter de demain.

Trouver la voie vers une mutation du logement, organiser la révolution du logement : le défi est de taille. Ne nous posons pas en victimes, la solution est à portée de main. Il s’agit de fédérer les bonnes volontés, en associant à notre démarche les différents acteurs du logement, qui partagent nos valeurs Humanistes et Républicaines. Les mutations actuelles nous obligent à prendre à bras le corps cette crise du logement. Elles nous donnent les clefs d’une nouvelle donne. Saisissons cette chance pour nous réinventer.