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François Gagnon, Era

Dédoublement de personnalité

François Gagnon, président d’Era Europe et Era France, critique les dernières mesures du gouvernement dans le domaine du logement.

Ce qui se passe est effrayant. L'effroi est d'autant plus grand que cela se passe au sommet de l'Etat et que le préjudice est porté à l'un des secteurs d'activité clé de notre pays, l'immobilier. Le tableau d'abord, pour que chacun mesure les enjeux : une année 2014 qui va se terminer avec une production de logements inférieure de moitié aux besoins des ménages, un nombre de transactions en retrait de 25 % par rapport au niveau souhaitable, et quelque 60 000 licenciements depuis 2012 dans toute la filière, des entreprises en bâtiment aux agences immobilières.

Face à cette situation noire, qui obère non seulement la croissance mais aussi la paix sociale, Manuel Valls concocte en urgence à la rentrée un plan de relance. Aux yeux de la communauté professionnelle comme des familles, la preuve semble faite que l'exécutif est conscient de la gravité de la situation. Les jours qui viennent de s'écouler et l'examen du projet de loi de finances initial pour 2015 nous ont sèchement prouvé l'inverse. Pas moins de quatre mesures hostiles ont été introduites dans le texte par le gouvernement, souvent avec la bénédiction des députés de la majorité.

Ce sont d'abord les aides à l'accession qui ont été menacées, appelées à disparaître à partir du 1er janvier 2015 pour tous les ménages. Finalement, un moratoire d'une année a été remporté de haute lutte, mais le mal est fait. On sent bien que l'heure est à l'économie aveugle, dût-on sacrifier 50 000 familles allocataires par an, et presque autant d'opérations d'acquisition de la résidence principale. Oui, les APL ne sont pas un luxe, mais bien la condition de l'accession pour l'essentiel de ceux qui la reçoivent, parmi les plus modestes d'ailleurs.

Ce sont ensuite les résidences secondaires qui ont fait les frais de cette recherche d'économies à courte vue. Les mairies en zone tendue seront habilitées à augmenter de 20 % la taxe d'habitation exigée des propriétaires de ces villégiatures. La raison ? Faire une bonne manière aux collectivités, dont l'Etat supprime tour à tour toutes les dotations, en alourdissant leurs missions dans le même temps... au moment où il va falloir qu'elles regardent le gouvernement et le parlement avec bienveillance pour que la réforme territoriale voie le jour.

Dans la même logique, la faculté offerte il y a quelques mois aux départements de hausser de près de 20% leur part des droits de mutation à titre onéreux - utilisée évidemment séance tenante par la plupart d'entre eux -, à l'origine valable deux ans, est pérennisée. En clair, il est dit que les frais de mutation en France sont définitivement, à près de 7% de la valeur du bien acheté, les plus élevés du monde.

Enfin, sachant que l'examen du budget durera encore deux mois et que tout peut arriver, sans doute pour que toutes les catégories de propriétaires ou de candidats à la propriété soient touchées par les gestes malveillants, le dispositif Pinel pour les investisseurs dans le neuf est en passe d'être modifié en sorte que la location aux ascendants et descendants ne soit pas possible. Pourtant, le Premier ministre lui-même s'était engagé, et avait fait taire les idéologues, qui soutenaient que c'était un cadeau aux riches - qui sont évidemment les seuls à avoir des parents âgés ou des enfants étudiants à loger.

La barque est chargée. Rien ne va plus. Il n'y a plus aucune ligne directrice dans l'action publique, plus de politique du logement. A sa place, une approche étroitement comptable. On ne voudrait pas être à la place d'une ministre du Logement devant défendre devant les Français des choix incohérents et absurdes. Pour épargner à l'Etat une dépense budgétaire de quelques millions, Bercy, dont Matignon n'arrête pas le bras, est aujourd'hui prêt à détruire des milliers d'emplois dans la filière et à faire le malheur des ménages. On vante partout la grande intelligence d'Emmanuel Macron et l'on n'a jamais autant admiré à cet égard le corps d'élite de l'inspection des finances. Il ferait presque de l'ombre dans certains articles sur notre jeune ministre de l'économie à l'institution du Prix Nobel. Qu'est cette intelligence qui discerne si mal les priorités?

Et puis il y a la méthode, condamnable au plus haut point : aucune information préalable, a fortiori aucune consultation des organisations professionnelles, humiliées, méprisées. Aucune étude d'impact. Il faut que telle banque, tel réseau, telle fédération publie des simulations alarmantes pour que l'Assemblée nationale comprenne qu'elle a voté à tort. Aberrant. Amateur. Le pire est peut-être néanmoins ailleurs, au plus haut de l'Etat : le Président de la République nous a promis qu'il serait normal, et à l'inverse il paraît d'une complexité qui confine au dédoublement de personnalité.

A la rentrée, il prend lui-même la parole et délègue aussi Manuel Valls et Sylvia Pinel pour dire que le logement est l'obsession de l'exécutif, quitte à désavouer l'ex-ministre en charge du dossier, Cécile Duflot. Il y a quelques jours, il parle longuement aux Français sur les maux du pays et leurs remèdes sans même évoquer le logement. Au demeurant, le projet de budget prouve qu'il dédaigne ce secteur plutôt qu'il y est attentif.

Les acteurs de la filière du logement, face à cette terrible inconséquence du pouvoir, prennent, eux, leurs responsabilités : des taux d'intérêt bas, des prix de l'ancien assagis, des prix du neuf en baisse continue depuis quatre ans, des professionnels qui ont accepté d'être encore plus transparents et encadrés pour rassurer les ménages. Si seulement l'Etat pouvait s'en inspirer, avant que les Français ne désespèrent à jamais de leurs gouvernants.

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