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TVA et droits d'enregistrement - changement de logique, changement de régime ?

L'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2010 entré en vigueur le 11 mars dernier modifie les règles d'imposition à la TVA des biens immobiliers et de certains droits y attachés. Revenant sur des solutions mises en œuvre depuis 1963, elle remet en cause les réflexes, interpelle les opérateurs. Pour autant peut-on parler d'une révolution du régime fiscal des mutations immobilières ? Tel n'est pas l'objectif du Législateur selon Marc Wolf, Directeur Adjoint à la Direction de la Législation Fiscale, lors de la conférence tenue le 1er Avril 2010 dans les salons du Cercle Interalliés sous le double patronage de Business Immo et du cabinet d'avocats Baker McKenzie. Si l'objectif est de rénover le régime d'imposition à la TVA et de corriger ses non-conformités au regard du droit communautaire, il n'est pas de bouleverser les grands équilibres historiques entre TVA et droits d'enregistrement. Un ajustement technique donc mais dont il convient de bien comprendre les fondements.

Banalisation de la TVA appliquée aux biens immobiliers : la "TVA immobilière " est morte! Vive la TVA de droit commun !
Toute transaction portant sur un bien immobilier réalisée par un assujetti à la TVA, c'est-à-dire par une personne agissant dans le cadre de son activité économique est par principe assujettie à la TVA. De facto  toute opération réalisée par un non-assujetti, c'est-à-dire essentiellement un particulier agissant dans un cadre patrimonial échappe à l'impôt. Seule dérogation à cette règle: la revente d'un immeuble acquis en l'état futur d'achèvement par ce même particulier, qui par dérogation expresse est imposable. Ainsi par nature est imposable à la TVA la cession d'un terrain, d'un immeuble, de droits réels immobiliers, des droits relatifs aux promesses… Toutefois pour tenir compte de l'existence des droits d'enregistrement et de la taxe de publicité foncière (TPF) également applicables aux mutations immobilières, certaines de ces opérations échappent à l'imposition effective grâce au jeu d'exonérations spécifiques. Cela étant comme bénéficier d'une exonération de TVA n'étant pas sans conséquence sur le calcul de la TVA déductible, l'opérateur assujetti exonéré se voit accorder le droit d'opter pour le paiement de la TVA afin d'éviter de régulariser la taxe d'amont. Cette option vient ainsi compléter l'arsenal des mécanismes permettant d'assurer la neutralité de la TVA dans les opérations entre assujettis (transfert de 1/20ème" et dispense de taxation ou de régularisation en cas de cession d'une universalité de biens visée à  l'article 257 bis du CGI).

Exit les régimes catégoriels et la référence aux intentions de l'acquéreur ! Place à un régime de TVA objectif !

Dès lors qu'elles sont réalisées par un assujetti, sont imposables à la TVA de plein droit:
-          la cession d'un terrain à bâtir défini comme un terrain constructible inclus dans un plan local d'urbanisme (PLU) ou un document équivalent, que l'acquéreur ait ou non l'intention de construire sur le terrain en question;
-          la vente d'un immeuble neuf, c'est-à-dire un bâtiment construit ex nihilo ou ayant fait l'objet d'une rénovation lourde dès lors qu'elle intervient dans les 5 ans de l'achèvement ; point notable car véritable innovation : la TVA s'applique quel que soit le nombre de mutations ayant affecté l'immeuble dans ce délai et indépendamment du fait que l'acquéreur ait été un marchand de biens;
-          la livraison à soi-même (LASM) d'un immeuble neuf non vendu dans les 2 ans de son achèvement ; cette imposition quasi systématique de la LASM aligne la fiscalité de l'immeuble construit par l'opérateur sur celle d'un immeuble acquis auprès d'un tiers et permet une déduction intégrale de la TVA pendant la phase de construction en reportant le décompte de la TVA éventuellement non déductible à l'achèvement des constructions et ce, quel que soit le statut du bâtiment (stocks ou immobilisation) ou son affectation (usage professionnel ou habitation).
Sont exonérées et taxables sur option la cession d'un terrain qui ne respecte pas la définition du terrain à bâtir ci-dessus, la vente d'un immeuble de plus de 5 ans, la constitution d'un bail conférant un droit réel  (bail à construction ou emphytéotique).
Les droits afférents aux promesses, les droits réels immobiliers, les parts et actions de sociétés transparentes, et les droits au titre d'un contrat de fiducie représentatifs d'un bien immeuble sont soumis au même régime que le bien auquel ils se rapportent.
 
A la lecture de ces différents cas, on constate donc l'absence de toute référence au statut de l'opérateur ou à ses intentions. Tout assujetti réalisant une opération portant sur un bien immobilier qu'il soit un professionnel de la construction, un marchand de biens ou un opérateur économique réalisant ponctuellement une opération immobilière est donc soumis à la TVA dans les mêmes conditions. Cette objectivité règne de la même manière sur le calcul de l'assiette imposable à la TVA. Par principe la taxe due (de plein droit ou sur option) par le vendeur est assise sur le prix total de cession. Lorsqu'il est fait dérogation à cette règle, et que la taxe est assise sur la marge réalisée par l'opérateur, c'est uniquement pour des biens déterminés (terrains à bâtir cédés en TVA de plein droit et immeubles de plus de 5 ans taxables sur option) et uniquement dans le cas où le vendeur n'a pas déduit la TVA grevant l'acquisition du bien revendu. L'imposition sur la marge n'est plus l'apanage du marchand de biens ou du lotisseur. Certes ces derniers acquitteront encore la TVA sur marge dans des conditions souvent similaires à celles qui existaient mais dorénavant d'autres opérateurs seront également passibles de ce mécanisme d'imposition.

Droits d'enregistrement et TVA : des régimes indépendants qui veulent fonctionner en symbiose
Corollaire inéluctable des principes précédents, la TVA prend son indépendance vis-à-vis des droits d'enregistrement. Le traitement de l'opération au regard de ces droits n'influence donc plus son régime en matière de TVA. Sur le plan théorique il existe de ce fait de possibles doubles impositions ou exonérations. Toutefois et comme on l'a dit, la rénovation du régime TVA entreprise n'a pas pour effet de modifier les grands équilibres. Force est de constater que malgré leur indépendance, les deux systèmes devraient fonctionner de façon à éviter ou minimiser les effets pénalisant du cumul d'impôts. Il en est ainsi grâce au jeu des exonérations de TVA (cf. ci-dessus) ou de droits (exonération en cas d'engagement de construire dans les 4 ans ou de revente dans le délai désormais porté à 5 ans), du droit conférer à l'opérateur de ne pas opter pour le paiement de la TVA, de la réduction de l'assiette imposable à cette taxe à la seule marge... Par ailleurs on rappellera que la TVA étant déductible par nombre d'opérateurs, la charge fiscale finale supportée devrait demeurer sinon identique du moins proche de celle constatée dans le régime ancien.

A titre complémentaire on relève que la réforme légalise les facultés déjà connues de substitutions entre les régimes d'exonération de droits d'enregistrement (exonération de droits de mutation sous condition d'engagement de construire dans les 4ans ou de revente dans les 5 ans) dont l'articulation offre des possibilités de maintien des exonérations sur des durées allant bien au-delà des 4 et 5 ans initiaux. En outre elle ouvre le bénéfice de l'exonération sous engagement de revente à tout assujetti qui, même s'il n'est pas marchand de biens, entend revendre l'immeuble dans les 5 ans. De facto  on voit que le régime propre aux marchands de biens disparaît tant en matière de TVA que de droits de mutation.

Réforme oui, révolution non mais gageons qu'il faudra encore quelques temps aux opérateurs  pour se familiariser avec la nouvelle articulation des taxes applicables aux biens immobiliers…


Biens cédés

Régime TVA

Régime DMTO

TAB

Taxable de plein droit

Sur prix total

Sans engagement de construire dans les 4 ans  TPF  (0,715 %)

Avec engagement  de construire dans les 4 ans  125 €

Sur marge

Sans engagement de construire dans les 4 ans  DMTO (5,09 %)

Avec engagement  de construire dans les 4 ans  125 €

TNAB

Exonéré ou TVA sur prix total en cas d'option

Sans engagement de construire dans les 4 ans ou de revente dans les 5 ans DMTO (5,09 %)

Avec engagement  de construire dans les 4 ans  125 € ou de revente dans les 5 ans TPF (0,715 %)

Immeuble - 5 ans

Taxable de plein droit  (sur le prix total)

TPF (0,715 %)

Immeuble de + 5 ans

Exonéré

Sans engagement de construire dans les 4 ans   ni de revente dans les 5 ans DMTO (5,09 %)

Taxable sur option (prix total)

Taxable sur option (TVA sur marge)

Exonéré

Avec engagement de construire dans les 4 ans 125 €   ou de revente dans les 5 ans TPF (0,715 %)

Taxable sur option (prix total)

Taxable sur option (TVA sur marge)