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Point de vue de Jean-Luc Charles, Samoa

[POINT DE VUE] Fonciers trop chers : ou comment l’arbre peut cacher la forêt

Réponse à l’article de Monsieur Jean-Michel Ciuch paru dans BUSINESS IMMO le 11 mai 2016. Cette rubrique vient en réponse à la parution de l’article de Monsieur Jean-Michel Ciuch sur les logements neufs trop chers. Par ses approximations et ses inexactitudes, cette tribune sans nuances mérite une réponse.

Adepte du « laissons faire, laissons passer », considérant dès lors que la puissance publique n’est pas la solution mais la source de tous les maux dont souffre l’économie de la construction, notre auteur manie la caricature à l’envie évoquant « la mainmise sur le foncier des autorités publiques », où les collectivités locales « monopolisent l’offre de terrain aménagé ». Bien entendu, cette pénurie foncière serait savamment orchestrée par les collectivités qui en tireraient les plus grands profits (?!). On n’est pas très loin de la théorie du complot, quand on connaît, au contraire, les efforts consentis par certaines collectivités pour produire du foncier. Le cas de Nantes, abondamment cité, est le parfait contre-exemple de ce qu’avance Monsieur Ciuch, avec notamment plus de 5 000 logements livrés chaque année à l’échelle de la métropole.

Première remarque : l’auteur passe sous silence le fait que, pour produire ce fameux foncier, il doit être « aménagé » et équipé. Constatons qu’ici – comme dans beaucoup de métropoles –  la construction a nettement ralenti dans le diffus, non pas du fait de la puissance publique mais des riverains qui, de plus en plus, multiplient des recours qui ne sont pas imputables aux collectivités. Pour autant, les besoins existent, et la production de logements se concentre principalement dans les opérations publiques encadrées (les ZAC), qui permettent, par leur taille et la présence d’un aménageur, de développer du logement en nombre, en qualité et en diversité.

Deuxième remarque : sur la question du renchérissement, l’exemple nantais vient encore une fois contredire les assertions de l’auteur : le prix moyen constaté de la charge foncière dans les opérations conduites par la Samoa sur l’île de Nantes est de 275 €/m² de SdP, alors qu’il est de 600, parfois 800 dans le secteur diffus. Pourquoi ? Parce qu’il y a une volonté politique manifeste de fabriquer une ville sobre durable, pour tous, avec un outil approprié pour le mettre en œuvre. Notons à ce titre que le prix du foncier pratiqué par la Samoa permet la programmation de logements sociaux et de logements abordables qui représentent 50 % des logements construits sur le foncier que nous maîtrisons.

Prendre comme cible la Samoa et le projet qu’elle porte n’est vraiment pas approprié à la tentative de démonstration, car cette opération est parfaitement exemplaire en ce que l’aménageur, appuyé sur un projet urbain dont la notoriété internationale n’est plus à prouver, est en capacité de peser sur les propriétaires fonciers privés pour précisément réguler le marché et ramener les prétentions des vendeurs au bénéfice des opérateurs privés qui fabriquent la ville à nos côtés. C’est un exercice souvent difficile mais gagnant-gagnant. Le « laisser-faire », prôné par l’auteur, conduirait pour le coup à une hausse généralisée du prix des logements dans le diffus.

S’ensuit une « charge » qui insinue que les sociétés d’aménagement « coûtent cher », en prenant l’exemple de la Samoa et en pointant deux arguments : « l’inflation des moyens humains » d’une part, et sur le système de rémunération « à l’intéressement » d’autre part, qui les conduiraient, là encore, à favoriser le renchérissement des prix du foncier. Sur ce premier point, l’auteur fait une nouvelle fois mauvaise pioche, car les chiffres qu’il cite pour notre SPL, par défaut d’information, sont faux : s’il est vrai qu’au démarrage de la société il y avait 6 personnes, le chiffre de 34 personnes pour l’exercice 2014 (soit 30 ETP) mérite une explication. La Samoa a évolué, puisqu’elle est passée du statut de société publique locale d’aménagement en simple société publique locale pour intégrer une équipe de 10 personnes dédiée exclusivement à l’animation et au développement économique du « Quartier de la création ». Cette activité est sans incidence sur le coût du foncier. L’équipe strictement dédiée à l’aménagement de l’île de Nantes est stable depuis son rythme de croisière, d’une vingtaine de personnes (ETP), pour un projet qui est passé de 800 000 m² de SdP à construire à 1 500 000. Ce qui place la Samoa exactement dans la moyenne des ratios usuels, sachant par ailleurs que le rythme annuel de production oscille entre 45 et 70 000 m² livrés par an, sans oublier notre intervention pour aménager l’espace public (plus de 50 ha livrés depuis 2003) ou encore l’activité de mandat qui rentrent dans les missions de la SPL.

Sur le mode de calcul de la rémunération (qui ne couvre que le pôle urbain), celui-ci n’est plus « à l’intéressement » mais, comme pour toute SPL « mono-projet », désormais au forfait, c'est-à-dire en transfert de charge, et ce depuis 2016.

Le plus surprenant dans les conclusions de l’article, concerne les propositions, car après une critique sévère de « l’interventionnisme des collectivités », l’auteur préconise une série de « solutions » qui sont pour certaines déjà très largement mises en œuvre, à Nantes comme ailleurs, (production de logements abordables), mais surtout qui relèvent de politiques qui ne peuvent qu’engager les collectivités sur un mode très interventionniste : « politique foncière locale envisagée sur le long terme », etc.

L’auteur va même jusqu’à proposer le « plafonnement des prix de sortie des logements neufs », qui pour le coup est une politique hautement interventionniste, (négociée il va sans dire dans le cadre de partenariat public/privé à grande échelle et sur des macros lots). Non encadrée par des clauses anti-spéculatives, une telle disposition n’aurait d’autre effet que de mobiliser des moyens (publics) permettant à des particuliers de faire de bonnes affaires à la revente, au détriment d’une charge foncière « marché », dont il faut quand même rappeler une nouvelle fois à l’auteur qu’elle ne va pas dans la poche de l’aménageur mais qu’elle permet juste de financer l’équipement des terrains et la réalisation des équipements publics !

Mettre en avant le rôle prétendument néfaste de la puissance publique pour expliquer le coût prohibitif du foncier dans nos villes et donc du logement neuf en France (hors situation très particulière de l’Île-de-France et surtout de Paris) tient au mieux d’une tentative de diversion ou pire, d’une mystification. C’est à n’en point douter ici l’illustration de « l’arbre qui cache la forêt ».

En creux se dessine ici une offensive orchestrée qui viserait à faire croire que les groupements privés seraient en capacité de prendre seuls le relais des collectivités, pour aménager la ville sur le long terme. L’image saisissante des quartiers espagnols vides et abandonnés à eux-mêmes, comme les effets dévastateurs de la crise des subprimes, semblent déjà oubliés. Il est vrai que la timide reprise d’un marché immobilier encore convalescent, comme la situation difficile rencontrée par les collectivités territoriales, aiguisent bien des appétits…

En conclusion, cette « charge » commode contre la puissance publique, outre ses relents un peu populistes, en se focalisant sur la question d’un supposé interventionnisme néfaste des collectivités et de ses aménageurs, obère une réflexion de fond à mener, avec toutes les parties intéressées, sur les surcoûts constatés dans la production de logements en France (au regard de nos voisins européens notamment). Son caractère outrancier masque le rôle essentiel des aménageurs au côté des promoteurs dont le métier ne cesse d’évoluer, précisément dans un rôle essentiel de régulation des intérêts publics et de mobilisation des acteurs privés ; en faveur de la fabrique d’une ville sobre et économe, une ville solidaire où l’absence de moyens nécessite tous les jours plus d’agilité et de créativité pour faire plus avec moins. Less is more ! 

Mots-clés : SAMOA, SDP, ZAC
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