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AIFMD - de nouvelles contraintes en perspective pour les fonds immobiliers

Une nouvelle directive européenne sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs est sur le point d’être votée par le Parlement Européen. Celle-ci instaure un régime d’agrément des gestionnaires et de surveillance destiné à contrôler la commercialisation des fonds d’investissement alternatifs auprès de la clientèle institutionnelle, au sein de l’Union Européenne. Cette réglementation risque d’impacter de manière significative les fonds immobiliers opérant sur le marché de l’Union Européenne.

Cet article n’engage pas KPMG et aucune décision ne peut être prise sur la base de cet article.

La directive « AIFM » (Alternative Investment Fund Managers) vise à établir un cadre réglementaire harmonisé permettant de superviser et contrôler les risques que font peser  les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs à l’ensemble de leurs parties prenantes, directes (investisseurs, contreparties) et indirectes (l’ensemble des acteurs opérant sur les marchés financiers).
Le projet de directive, initialement soumis par la Commission européenne le 30 avril 2009, puis largement remanié pour aboutir au texte du 20 octobre dernier, a été fortement discuté par les acteurs du secteur ainsi qu’au sein des institutions européennes, certains redoutant une baisse de compétitivité de l’espace européen. Après une série d’amendements, le Conseil des affaires économiques du Parlement a répondu à la proposition de la Commission en mai 2010. Depuis lors, plusieurs projets ont été publiés à l’issue du processus de trialogue entre le Parlement, la Commission et la Présidence de l’Union Européenne, dans le souci de parvenir au vote final de la directive avant la fin de l’année. Le dernier projet en date devrait permettre le vote de la directive par le Parlement de Strasbourg le 11 novembre 2010. Il est ici question de comprendre quels en sont les principales mesures et enjeux pour le secteur immobilier.
A l’heure actuelle, seuls les OPCVM, avec près de 5 000 Mdse d’actifs sous gestion, font l’objet d’une législation au niveau européen, les autres types de fonds n’étant réglementés, dans le meilleur des cas, qu’au niveau national. L’objet de la directive en cours est donc d’étendre la réglementation européenne aux gestionnaires de fonds alternatifs (AIFM), qui représentent près de 2 000 Mdse d’actifs. Les principaux fonds visés sont les hedge funds, les fonds de capital-investissement, ainsi que les fonds immobiliers, réglementés ou pas.

Champ d’application
La directive prévoit un régime d’agrément et de surveillance pour tous les AIFM domiciliés dans l’UE, indépendamment du domicile légal du fonds d’investissement alternatif, ainsi que pour les AIFM non domiciliés dans l’UE souhaitant gérer ou commercialiser des fonds d’investissement alternatifs dans l’UE.
Ce nouveau régime prévoit cependant quelques exemptions, dont les deux principales sont : les AIFM dont le portefeuille d’actifs sous gestion est  inférieur à 100 Me (ou 500 Me s’ils n’ont pas recours au levier financier et s’ils n’octroient aucun remboursement pendant cinq ans à compter de la date de constitution du fonds) ; les sociétés holdings poursuivant des stratégies distinctes de celles bien connues des fonds d’investissement, c’est-à-dire que ces holdings ne doivent pas rechercher un retour sur investissement à moyen terme via une stratégie de cession des actifs. 
Par ailleurs, il est à noter que cette directive inclut dans son champ d’application des gestionnaires, qui jusqu’alors ne faisaient pas l’objet d’une réglementation équivalente comme par exemple les « fonds » constitués sous forme de sociétés commerciales, dès lors qu’ils remplissent les définitions énoncées par la directive. En effet, un AIFM se définit comme le gestionnaire de tout fonds d’investissement alternatif. Un fonds d’investissement alternatif se caractérise par les critères suivants : une levée de ressources auprès d’investisseurs, une politique d’investissement définie et le but de réaliser des bénéfices. Ces fonds d’investissement alternatifs se distinguent des OPCVM régis par des textes différents. 

Une communication renforcée
Afin d’obtenir un agrément auprès de leur Etat membre d’origine, les AIFM devront fournir un certain nombre d’informations aux autorités de surveillance, notamment sur leurs compétences dans la gestion de tels fonds, leur politique de gestion, l’identité et les caractéristiques des fonds qu’ils gèrent, les méthodes d’évaluation et de conservation des actifs, ainsi que la gouvernance mise en place. Par la suite, les gestionnaires devront fournir une information régulière aux autorités de surveillance sur les marchés où ils opèrent, les instruments qu’ils négocient, leurs principales expositions, et leurs performances.
L’information aux investisseurs est également renforcée. Les gestionnaires devront fournir une description détaillée de la politique d’investissement (types d’actifs, recours au levier financier), des frais et commissions appliqués, des modalités de remboursement,  des modes d’évaluation, de conservation des actifs et de gestion des risques.
Des informations complémentaires devront également être fournies par les AIFM ayant recours au levier financier (levier global et par fonds, type de levier, …). Les AIFM fixeront eux-mêmes leurs limites, sous réserve que celles-ci soient contrôlées et autorisées par les autorités de surveillance. Seul le levier financier utilisé au niveau du fonds lui-même sera soumis à supervision, quelle que soit sa forme. Le levier présent au niveau des sociétés formant le portefeuille d’investissement serait quant à lui exclu de cette supervision. A ce titre, les gestionnaires de fonds immobiliers craignent de devoir dévoiler une partie significative de leur stratégie.

Commercialisation
Grâce à leur agrément, les gestionnaires de fonds alternatifs pourront commercialiser leurs fonds auprès d’investisseurs institutionnels dans toute l’UE, sans qu’aucun Etat membre ne puisse imposer de règles complémentaires à respecter, moyennant des procédures allégées de notification auprès des autorités des Etats membres concernés (régime du passeport européen).
Ils pourront également commercialiser leurs fonds auprès des particuliers, dans la mesure où l’Etat membre concerné aura autorisé cette commercialisation et dans le cas où des mesures nationales auront été prises pour ce faire. Les fonds d’investissement alternatifs n’ont pas pour principal objet de s’adresser au grand public, domaine préférablement réservé aux OPCVM.
Enfin, durant une période transitoire, un AIFM agréé dans l’UE pourra obtenir un passeport européen pour commercialiser un fonds de pays tiers sous certaines conditions, telles que l’existence d’accords de coopération et d’échange d’informations entre l’UE et le pays tiers. Il obtiendra ainsi un équivalent au passeport européen sous réserve d’une bonne conduite de la part du pays tiers.
A l’issue d’une période transitoire de trois ans, la Commission procèdera à l’évaluation des résultats de ces mesures envers les pays tiers et proposera le cas échéant de les réformer. 

Délégation
Une liste de services autorisés pour les AIFM, certains obligatoires et d’autres facultatifs moyennant conditions, est présentée en annexe du projet de directive. Au minimum, un AIFM doit fournir les services obligatoires suivants, lorsqu’il gère un fonds d’investissement alternatif : la gestion du portefeuille et la gestion des risques (risk management). Il peut aussi prendre en charge l’administration du fonds, sa commercialisation et toute autre activité liée à la gestion des actifs du fonds, en complément des services obligatoires mentionnés précédemment.
Ces services peuvent faire l’objet d’une délégation à des tiers moyennant notification aux autorités compétentes, ainsi que le respect de certaines conditions. L’AIFM ne peut se décharger de ses responsabilités envers le fonds et ses investisseurs par le biais de contrats de sous-traitance.

Une incertitude demeure sur les effets économiques de cette directive pour le marché européen, notamment en termes de coût de ces nouvelles règles et de barrières réglementaires à l’entrée

Dépositaire
Dans la proposition de directive, chaque fonds d’investissement alternatif doit disposer d’un dépositaire.
Le dépositaire doit être établi dans l’Etat membre du fonds pour les fonds européens ou dans un pays tiers pour les fonds non européens, sous réserve que ce pays tiers ait signé des accords de coopération avec l’UE (ou dans l’Etat membre de référence du fonds opérant dans l’UE).
Le projet de directive offre la possibilité, pour le dépositaire, de déléguer sa fonction à un sous-dépositaire, et sans toutefois dégager entièrement le dépositaire de sa responsabilité professionnelle en cas de perte des actifs.
Dans le projet du 20 octobre 2010, un assouplissement de la règle du dépositaire est prévu pour le cas particulier des fonds qui ne permettent pas de sortie pendant les cinq années suivant les mises de fonds initiales, et qui selon leur politique d’investissement, investissent dans des actifs dont la conservation par un dépositaire n’est pas évidente (comme les actifs immobiliers). La fonction de dépositaire pourrait alors être confiée à des professionnels tels que des avocats ou notaires, dont la profession est réglementée et qui produisent la surface financière suffisante pour donner les garanties nécessaires à la réalisation des fonctions de dépositaire. Cette nouvelle disposition pourrait être largement retenue par les fonds immobiliers.

Evaluation des fonds
Alors que la Commission préconisait initialement le recours systématique à un évaluateur externe, le nouveau projet de directive prévoit plutôt que le gestionnaire s’assure de l’indépendance du processus d’évaluation (principe de « la muraille de Chine »). Sur ce point, la plupart des fonds immobiliers ayant recours à des évaluateurs externes, ils devraient donc pouvoir se conformer à cette nouvelle obligation sans trop de difficultés.
Par ailleurs, une évaluation de l’actif net du fonds devra être réalisée au moins une fois par an, selon les méthodes prescrites par la loi de l’Etat membre du fonds ainsi que, le cas échéant, selon les méthodes prévues dans le prospectus ou les statuts du fonds.

Exigence de fonds propres
Les AIFM pourraient se voir imposer un niveau minimum de capital de 125 000 e ou 300 000 e pour les fonds autogérés ainsi qu’un complément de 0.02 % de la valeur des actifs sous gestion excédant 250 Me (dans la limite d’un capital maximum de 10 Me). Les AIFM devront, de plus, respecter un ratio d’adéquation de fonds propres inspiré du cadre réglementaire bancaire. Ces fonds propres devront représenter à tout instant au minimum 25 % des frais généraux fixes de l’exercice précédent. Ces fonds propres devront, de plus, être investis en valeurs liquides ou équivalents.

Nouvelles règles de gouvernance
Au-delà des points évoqués ci-dessus reprenant les principales innovations du projet de directive pour les AIFM, ce projet de directive impose aux AIFM des règles strictes en matière de gouvernance et d’organisation interne. Ces règles comprennent entre autres la mise en place d’une fonction de risk-management, séparée des opérations, une politique de rémunération proche de celle retenue dans les banques.
 
De nouveaux enjeux à appréhender
L’accord obtenu entre les Ministres de Finances de l’UE sous la Présidence belge le 19 octobre dernier laisse présager l’imminence d’un vote si souvent reporté. Le dernier projet de directive disponible permet d’en esquisser largement les contours. Si ce vote devait avoir lieu le 11 novembre 2010, les Etats membres auraient jusqu’à décembre 2012 pour transposer la Directive au niveau national.
Avec leurs politiques d’investissement actives et leurs outils innovants, les fonds d’investissement alternatifs ont apporté une nouvelle dynamique au secteur immobilier. Ils se sont jusqu’à présent démarqués de la gestion traditionnelle consistant à suivre la performance d’un indice de référence par la recherche d’investissements innovants capables de « surperformer » le marché. Leur performance est également due aux outils qu’ils ont su développer tels que la vente à découvert et le recours au levier financier. Il est important que les intervenants du secteur anticipent de tels changements et leur incidence sur leur compétitivité.
Une incertitude demeure sur les effets économiques de cette directive pour le marché européen, notamment en termes de coût de ces nouvelles règles et de barrière réglementaire à l’entrée. Ce risque est loin d’être sous-évalué par les instances européennes elles-mêmes, qui ont prévu trois ans après la transposition de la directive, la revue du régime applicable aux pays tiers, puis la revue de sa mise en œuvre dirigée par la Commission. Aujourd’hui, il est difficile de prévoir ces effets, mais l’urgence politique de réglementer les « hedge funds » ainsi que les autres fonds d’investissement alternatifs dont les fonds immobiliers, a eu raison de ces hésitations.

Par Régis Chemouny, FRICS, associé KPMG Audit

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