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Par Lahlou Khélifi, président de Génération Immobilier

Des bureaux à 2 €… par jour

Lahlou Khelifi © Business Immo

Quel rôle a l’innovation dans la détermination du prix d’un immeuble de bureau ? De nos jours, les ventes opposent des acteurs de plus en plus nombreux et au pouvoir d’achat croissant. Mais sont-ils tous identiques ?

Certaines ventes révèlent des outsiders qui ont une vision novatrice et décèlent de nouvelles potentialités, non pas en reproduisant linéairement le passé, mais en anticipant un avenir différent, fondé sur des règles nouvelles.

À cet égard on peut s’interroger sur les disruptions qui pourraient atteindre le secteur de la location de bureaux, aujourd’hui totalement conditionné par un corpus juridique remontant à 1953, et qui devrait être bouleversé dans les prochaines années.


La rigidité des baux commerciaux provient d’une volonté originelle de protéger le petit commerçant en lui assurant des baux longs et un droit au renouvellement. Aujourd’hui, les fondements de ce système demeurent et bailleurs et locataires s’engouffrent dans un tunnel, le bail, qui les préserve des variations du marché. Il faut attendre neuf ans pour voir le bout du tunnel, sauf si le locataire décide d’en sortir lors des ruptures triennales.

Ce bail long génère une stabilité des revenus locatifs mais au fil des ans, ceux–ci peuvent se retrouver déconnectés des réalités du marché. Dans une conjoncture atone, les propriétaires de locaux vides réfléchissent à deux fois avant de signer un engagement si long, craignant de louer mal au mauvais moment. L’absence de flexibilité est préjudiciable. 


Les baux dérogatoires de moins de trois ans répondent mal à ce besoin de flexibilité et sont peu utilisés. La masse locative des immeubles de bureau est assez monolithique et insensible aux péripéties du moment.

La structure des baux et la rigidité des locaux ne permettent pas de louer plus ou moins cher en fonction de la demande pour maximiser le revenu total. Les prix différenciés, les prix de surtension (surge pricing) propres à notre monde en phase d’uberisation n’ont pas encore vu le jour.


C’est le bail 3-6-9 et une conception surannée de l’usage des bureaux qui sont attaqués

Pourtant, les outils d’analyse existent. Dans l’hôtellerie, la gestion de la rente locative est plus fine. D’une part, comme dans une cabine d’avion, les prix sont différenciés en temps réel, permettant de maximiser le remplissage et le revenu global. D’autre part, l’analyse de la performance se fait à la journée et prend en compte l’impact de la vacance sur le revenu moyen global.

Un hôtel s’analyse en fonction de son prix moyen journalier par chambre, de son taux 
d’occupation et, in fine, de son « RevPar » (Revenu par chambre). Le prix moyen par chambre est l’équivalent du ratio locatif des bureaux ramené à la journée. Le taux d’occupation n’est pas instantané, mais prorata temporis. Le RevPar est le produit des deux. Si sur un mois, sur 100 chambres, 50 sont louées à 100 € par jour, le prix moyen sera de 100 €, le taux d’occupation de 50 % et le RevPar de 50 €.


Cette façon de voir est très pertinente pour comprendre la performance du « speciality leasing », la location temporaire de petits espaces de vente, situés notamment dans les allées des centres commerciaux. Ils se louent, à la semaine, pour des loyers nominaux peu chers.

Mais, rapportés à l’année et au mètre carré, ils sont souvent dix fois plus chers que les boutiques les mieux situées. L’enjeu est donc de maintenir le prix à la semaine de ces pépites, en le différenciant, et de maximiser l’occupation. 


Si l’on applique au bureau ce mode de mesure de la performance, une vision différente se fait jour.
Par exemple, un loyer annuel « prime » par mètre carré de 730 € 
correspond à 2 €... par jour !

À ce prix-là, nous pouvons tous nous payer une journée dans un « 10 m² sur les Champs ». Une demande émerge pour un tel produit, morcelant l’offre de bureau dans l’espace et le temps. Il y a plusieurs décennies, des acteurs comme Regus se sont positionnés sur le secteur de l’hospitalité tertiaire en offrant des bureaux et des services sur des durées courtes. Mais les bureaux restaient les mêmes, étant juste un peu plus sécables pour des utilisations disjointes, du chacun chez soi. 


Aujourd’hui, les nouveaux espaces de coworking poussent l’effort d’adaptation plus loin, et ce n’est pas qu’une affaire de design. La densité, le partage d’espace et de ressources, sont complètement repensés. Nul doute que la réflexion va migrer vers le champ réglementaire pour contourner les contraintes juridiques et aller au-delà des substituts actuels qui donnent accès à des locaux via des contrats de prestations de services.


Toute uberisation remet d’abord en cause un ordre établi. Ici, c’est le bail 3-6-9 et une conception surannée de l’usage des bureaux qui sont attaqués. La fronde n’est pas menée par des bailleurs, ou des occupants, mais par de nouveaux entrants. À ce jour, WeWork fait figure de leader. Il a commencé par prendre à bail pour offrir ses espaces à ses clients finaux. Il songe désormais à acquérir des immeubles. À quel prix ?

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