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Gabrielle Millan, Mrics et Nicolas Tarnaud, Frics

La ville ubérisée

Depuis une vingtaine d’années, la mondialisation financière n’aurait pas pu se développer aussi rapidement sans l’arrivée des nouvelles technologies. La révolution numérique a donné naissance à une nouvelle économie qui modifie les règles du jeu sur l’échiquier international. Les acteurs économiques sont obligés de s’adapter à l’environnement pour éviter de disparaître. Le temps est compté.

Les Gafam et leurs concurrents transforment de nombreux secteurs traditionnels en utilisant des outils technologiques et financiers performants pour être leaders sur le marché mondial. Le différentiel entre la puissance financière de ces nouvelles entités (les Gafam étaient valorisées au Nasdaq à New-York 2 633 MdS€ le 14 avril 2017) et la croissance du PIB des pays industrialisés est bien réel. Face à la mutation du tissu industriel, au désengagement de l’État providence depuis la financiarisation de nos économies des années 80 et 90 et à la révolution technologique des années 2000, le phénomène d’ubérisation s’invite régulièrement dans le débat public.

En France, il concerne désormais, entre autres, le transport, la santé, la restauration, l'hôtellerie et le commerce. Aussi, l'ubérisation est en train de modifier le secteur de la transaction et de la gestion des villes avec l’arrivée des plateformes, des applications et de l’Internet haut débit. L’économie de la plate-forme n’est rien d’autre en réalité, que la place traditionnelle du marché au Moyen Âge où se rassemblaient les populations pour commercer et se rencontrer.

Aujourd’hui, Internet est devenu le premier marché mondial d’échanges commerciaux. L’arrivée du cloud a provoqué une révolution dans la gestion et le stockage des données et va continuer de se généraliser. Ainsi, en 1980, stocker 1 giga octet de données coûtait 100 000 $. Aujourd’hui, on peut stocker 15 gigas octets de données gratuitement chez Google. Les particuliers et les entreprises utilisent de plus en plus de mémoire virtuelle pour stocker des données personnelles et professionnelles. La bataille dans la gestion du stockage de données ne fait que commencer et va se développer à grande vitesse. Selon IBM, 90 % des données créées dans le monde l’ont été durant les deux dernières années. Les données stockées augmentent quatre fois plus vite que l’économie mondiale. Grâce à l’émergence du big data, des algorithmes et des progrès technologiques, ces nouveaux intermédiaires occupent une position privilégiée entre les consommateurs et les prestataires de services. Les outils de reconnaissance vocale, les bots et autres applications, ne sont qu’une infime part de ce que sera notre quotidien dans un futur proche. Sans les nouvelles technologies, l’ubérisation n’aurait pu se développer si rapidement. En effet, avec l’émergence de l’ubérisation, l’économie collaborative s’est parfaitement intégrée dans le paysage urbain et plus rien ne semble pouvoir l’arrêter. Selon un sondage d’Harris Interactive, 64 % des Français considèrent l’ubérisation comme une bonne chose en tant que consommateur et seulement 52 % des personnes exerçant une activité professionnelle manifestent un intérêt positif.

Un nouveau monde urbain

Synonyme de flexibilité croissante, de réduction de coûts pour les uns et de régression sociale pour les autres, l’ubérisation ne laisse aucun professionnel de l’immobilier et de la construction indifférent. Selon de nombreux économistes, l'ubérisation se résume à la une désintermédiation entre les acteurs historiques de l’économie et leurs utilisateurs. Les lieux de travail et de domicile ne seront pas épargnés par les conséquences de l’ubérisation. En effet, la conception et les techniques de construction d’un immeuble, d’une maison ou d’une ville ne cessent d’évoluer. Demain, ce seront les ordinateurs et les robots qui construiront un immeuble de bureaux ou d’habitation en présence d’un responsable de chantier, d’un gestionnaire de projet et d’un architecte. Ce pilotage s’effectuera sur site et à distance. Le coût technologique sera compensé par la réduction du délai de livraison. Plus ce dernier sera réduit, plus le coût de construction diminuera. L’industrialisation de ces nouveaux procédés permettra de réduire le coût de construction (hors foncier).

L’aménagement urbain est devenu stratégique pour améliorer et renforcer l’attractivité des villes. Les stratégies et les finalités économiques sont aussi bien locales que mondiales. En étant de véritables laboratoires technologiques, les villes-monde sont devenues des benchmarks internationaux avec des objectifs environnementaux ambitieux. Les habitants des villes augmentent tandis que ceux de la campagne diminuent. Ce phénomène s’est généralisé depuis plusieurs décennies. 80 % des Français vivent aujourd’hui dans des zones urbaines. Ce pourcentage augmente régulièrement depuis une trentaine d’années. 

Le 21e siècle sera urbain aussi bien en France qu’à l’étranger. Ainsi, en 2050, 75 % de la population mondiale évoluera en ville. Cette dernière sera dense, propre, connectée et produira son énergie. Les contrastes entre villes et campagnes continueront de disparaître. En effet, la nature regagnera les métropoles qui se développeront avec l’exode rural. Qu’ils soient individuels ou collectifs, de nouveaux moyens de transport autonomes permettront de diminuer les embouteillages, la pollution et d’améliorer le déplacement des citadins aux heures de pointe. Dans ces conditions, au sein de sociétés de plus en plus urbanisées, les acteurs de la ville sont d’ores et déjà soumis à la destruction paradoxalement créatrice autour du numérique.

Cette destruction qui concerne tous les systèmes traditionnels en place, n’épargne ni le secteur immobilier ni le secteur de la construction. Alors, comment les acteurs de la ville doivent-ils évoluer pour rester compétitifs et ne pas se faire ubériser par de nouveaux acteurs venus d’autres secteurs ? La réponse est multiple. En effet, les disrupteurs sont bels et bien déjà en train de s’installer dans nombre de métiers, anciens ou nouveaux ou encore transformés par le tout digital. Le sujet de la conception numérique de la ville est d’actualité. Le big data apparait ainsi comme un cerveau permettant de se souvenir de tout ce qui se passe en ville. La collecte d’informations sur le fonctionnement de la ville permet d’envisager une autre façon d’appréhender son évolution et ses conséquences économiques, sociétales et urbaines.

A partir des données collectées, des algorithmes spécifiques nous aident à prévoir ce qui va se passer et à adapter des réponses en vue d’améliorer la qualité de service et d’usage des espaces. 3,5 milliards d’individus ont aujourd’hui accès à Internet. Les usagers seront de plus en plus connectés aussi bien à l’intérieur des immeubles qu’à l’extérieur, dans les espaces publics et privés. Comme le rappelle Matthias Horx : « Les citoyens réinvestissent les espaces publics, comme l’ont montré les villes scandinaves avec leur culture du vélo, ce qui donne naissance à de nouvelles formes de logement et de vie, dans lesquelles le travail, la vie et la culture se rapprochent ».

Les nouveaux acteurs de la ville

Aujourd’hui, les données récupérables à des fins de programmation immobilière sont à la fois des datas d’usage au sein de la ville et des bâtiments, mais aussi des datas anonymisées sur les habitants d’un quartier afin de comprendre leurs habitudes et leurs besoins. Ainsi, les transports peuvent s’adapter et anticiper le nombre de rames nécessaires en fonction du nombre de voyageurs entrant et sortant des bouches de métro grâce aux études de sociétés comme Atkins. Ces études sont purement mathématiques et exploitent les données numériques pour en tirer des scénarios et des évolutions urbaines. Ces nouvelles entités ubérisent la manière dont nous allons faire évoluer nos espaces. Depuis toujours, pour concevoir une place publique ou la faire évoluer, nous lançons des concours auprès de concepteurs, architectes et urbanistes qui proposent leurs projets. Ces projets sont appréciés pour leurs qualités esthétiques et écologiques avant d’être sélectionnés puis mis en œuvre.

A présent, le data mining permet de développer des algorithmes qui rationalisent les approches historiques de l’acte et même de concevoir et de construire. L’intelligence artificielle va croiser des données et proposer des scénarios d’évolution fondés sur des chiffres. Ainsi, à Oxford Circus, un carrefour traversé par 40 000 personnes par heure a augmenté son débit de piétons et adapté ses plans de circulation grâce aux scénarios des algorithmes. En effet, les sociétés de modélisation urbaine peuvent prendre le pas sur des architectes et urbanistes dont les réflexions manquent souvent de rationalité et de transversalité. Cependant, il faut être vigilant à cette première forme d’ubérisation de l’architecture.

D’autres acteurs, tels que HBS Research, travaillent à récupérer des datas sur les zones de chalandises, les enseignes en développement, les entreprises en croissance et en décroissance et les développements de grands projets structurants pour créer des plateformes d’études foncières. Aujourd’hui, ces plateformes permettent de créer des études plus fiables qui se basent sur davantage de données urbaines et sur des informations plus récentes que celles de l’Insee, par exemple. 

Là encore ces plateformes d’informations ubérisent les études commerciales que nous connaissons. Les brokers doivent se réinventer pour adopter de nouvelles solutions digitales et immédiates. Ces dernières permettront ainsi d’améliorer la communication interactive avec les partenaires et la clientèle corporate. Par ailleurs, l’écosystème de la foncière numérique à l’initiative de Foundation Ilb cherche à centraliser toutes les datas de chaque foncière afin de leur permettre de gérer numériquement leur patrimoine. Aussi, les foncières et les gestionnaires traditionnels devront s’adapter à des modes de gestion automatisés proposés par ces nouveaux acteurs. Ce sujet est en lien avec celui du BIM et de la maquette numérique qui permet de concentrer toutes les contraintes d’un projet urbain avant sa réalisation.

Ainsi, il existe un avatar virtuel de morceaux de villes contenant une mine d’or de datas modélisées en plusieurs dimensions, de la 3D à la 7D afin de réaliser toutes les requêtes possibles. Ces maquettes numériques ouvrent la porte à la réalité augmentée et à l’immersion, qui offrent une nouvelle dynamique à l’acquisition foncière et aux dispositifs de commercialisation d’espaces directement en ligne. Les agences immobilières doivent s’adapter à cette profusion de contenus en ligne, remettant en cause leur présence physique dans nos rues et nos quartiers. Demain, des bornes interactives diffuseront des annonces immobilières dynamiques permettant de communiquer avec un avatar. Des prises de rendez-vous électroniques s’effectueront pour visiter le bien immobilier sélectionné. Par ailleurs, la géolocalisation permettra aux citadins se déplaçant en ville de recevoir, s’ils le désirent, des alertes automatiques à proximité des biens disponibles à l’achat comme à la location.

Ceci est un aperçu des possibilités infinies permises par les données numériques collectables partout en ville. Cette nouvelle appréhension de la ville et de son évolution conduit les professions identifiées comme les agents immobiliers, les géomètres et les experts à se transformer afin de ne pas se faire ubériser par de nouveaux entrants. L’ubérisation de la ville passe d’abord par l’ubérisation des métiers des acteurs de la ville. Il convient d’accompagner la transformation digitale de notre secteur d’activité sans laisser trop de place aux nouveaux acteurs venus des secteurs d’activités voisins tels que l’informatique. Cependant, la ville intelligente est bien constituée de smartgrid et de bâtiments connectés les uns aux autres grâce aux usagers en connexion permanente. Il est difficile de ne pas imaginer la ville ubérisée par ces acteurs de l’informatique et du numérique qui prendront nécessairement une place prépondérante dans son évolution devant les acteurs traditionnels orientés purement immobilier. Les pure players de cette industrie devront réagir avec des offres technologiques adaptées au monde d’aujourd’hui et de demain.

Avec la tertiarisation de l’économie et la transition numérique, la ville du 21e siècle devra donc relever de nombreux défis pour aboutir à une multiplicité d’offres et de services toujours plus diversifiés. 

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