Business Immo, le site de l'industrie immobilière
Point de vue de Dimitri Boulte, SFL

Pourquoi votre bureau est (de loin) votre meilleur réseau social

© s4svisuals / Adobe Stock

« Et si on se parlait ? » – c’est l’intitulé de notre enquête Paris Workplace 2019. Disons-le, elle occupe une place à part dans la série d’études que nous menons depuis maintenant cinq ans avec l’institut Ifop (12 000 salariés franciliens interrogés, 400 questions posées depuis 2014).

Cette année, nous explorons en effet quelque chose qui relève de notre condition humaine. L’étude nous livre une vérité essentielle – et rassérénante : l’homme est un animal social, qui exprime un besoin viscéral de contact avec ses semblables.

Sans doute pas une surprise pour quiconque lit ces lignes. Et pourtant… Pourtant, les entreprises l’ont-elles vraiment intégré dans leur mode de management et leur organisation spatiale ?

Aujourd’hui, 59 % des salariés déclarent ressentir une forme d’isolement dans leur entreprise. 26 % affirment même qu’ils se sentent « souvent isolés », alors même que se démultiplient les bureaux ouverts et/ou partagés, les mails, les messageries instantanées, les conf-calls et autres visio-conférences.

Connecté mais seul, ensemble mais seul… tristes paradoxes

Ces salariés « souvent isolés » sont moins heureux au travail, sont beaucoup plus nombreux à s’avouer être « souvent stressés par leur travail » et s’estiment aussi moins performants que leurs collègues.

Et les tendances du siècle ne vont pas nécessairement arranger les choses. Ainsi, le télétravail – auquel 41 % des Franciliens ont recours au moins une fois par semaine – multiplie par deux le risque d’isolement, mais aussi le stress… et même la crainte de se faire licencier.

La prolifération des mails et des messageries instantanées, loin d’améliorer la communication entre les équipes, multiplient les frictions. Au-delà de 20 interactions avec des personnes différentes par jour, la probabilité d’avoir des tensions entre collègues et avec sa hiérarchie augmente de 150 %. Et, comme dans les systèmes artériels ou électriques, cette surtension provoque des risques sérieux : les salariés soumis à une surdose d’échanges s’estiment aussi moins performants, ils sont plus susceptibles de quitter leur entreprise, voire carrément de « péter les plombs ».

Alors, l’heure est peut-être venue de faire redescendre la pression.

Pour ça, une solution simple et ancestrale existe. « Et si on se parlait ? » est en fait une réponse davantage qu’une question. Car les chiffres de l’Ifop permettent d’établir la corrélation entre le nombre d’échanges en face à face avec des collègues et le sentiment d’isolement. Quand on parle avec au moins trois personnes « en vrai » au cours d’une journée de travail, l’isolement est divisé par deux. Et sans surprise, les salariés préfèrent à une majorité écrasante les échanges en face à face (77 %) aux relations par mail (13 %) ou par téléphone (10 %).

Pour autant, ce constat n’est pas une invitation à l’inflation des échanges. Des interruptions trop fréquentes et une surdose d’échanges dans une même journée, fussent-ils en face à face, créent exactement les mêmes troubles que l’excès de mails.

Le rôle des managers et des organisations n’est pas de multiplier les interactions à l’infini mais, au contraire, de les limiter à une juste proportion afin de garantir des échanges de qualité. On y vient : le meilleur indicateur et déterminant de la performance et du bien-être en entreprise réside dans la qualité des relations entre collègues. Une évidence ? Sans doute. Mais la réalité statistique est tellement frappante qu’elle mérite que tous les managers s’y arrêtent un instant. Il existe une corrélation parfaite (et forte) entre qualité des relations avec les collègues et sentiment de performance au travail.

Alors concrètement, que peuvent faire les entreprises pour lutter contre l’isolement et créer des interactions de qualité ?

D’abord, elles doivent comprendre que le lieu de travail est de nos jours le premier – et le plus puissant – des réseaux sociaux. En France, le bureau est vécu comme un espace social d’abord, avant d’être un espace de travail : les salariés viennent au bureau d’abord pour « la vie sociale avec leurs collègues » à 42 % (première raison citée, devant le fait de « travailler plus efficacement »). Et les jeunes salariés, davantage encore que leurs aînés, sont sensibles à cette dimension relationnelle.

Les entreprises doivent (re)penser leur lieu de travail en conséquence.

Car les salariés qui entretiennent les meilleures relations avec leurs collègues disposent, plus souvent que la moyenne, d’espaces de convivialité dans leurs bureaux (84 % vs 66 %), et d’espaces destinés à travailler en mode collaboratif (62 % vs 47 %). Autant d’éléments qui ne sont pas neutres pour les entreprises, à l’heure où les mètres carrés sont si rares et si chers à Paris.

Mais ces choix sont payants. Au bout du compte, les entreprises qui parviennent à cultiver les meilleures relations en sont récompensées – les salariés qui jugent « très bonne » la qualité des relations dans l’entreprise jugent également très positivement la performance de leur entreprise dans son ensemble : 7,6/10 vs 5,9/10.

Voilà une conclusion réjouissante : la qualité des relations au travail se pense, se conçoit, se fabrique même… et ceux qui y travaillent le plus dur en récoltent les fruits : il y a une justice !

Business Immo