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Durcissement des règles d'imputation des déficits : quel impact pour les professionnels de l'immobilier ?

La deuxième loi de finances rectificative pour 2011, entrée en vigueur voilà quelques semaines, intègre une partie des mesures fiscales de réduction des déficits publics annoncées par le gouvernement au cours de l’été. Si l’on a beaucoup commenté les dispositions de cette loi relatives aux plus-values immobilières des particuliers, un autre dispositif de cette même loi n’a pas connu le même succès d’audience. Or, le brutal durcissement des règles de report des déficits des sociétés soumises à l’IS, que la loi organise, affectera durement les professionnels de l’immobilier.

Rappel de l’ancien régime et présentation de la réforme

Depuis 2004, les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés avaient la possibilité de procéder, sans limitation de montant ni de durée, au report « en avant » de leurs déficits fiscaux sur les bénéfices des exercices ultérieurs (le report pouvant également être opéré « en arrière », sur les bénéfices des trois exercices précédents). La loi de finances rectificative pour 2011 (a) introduit une limitation de montant au report en avant et (b) supprime quasiment la possibilité de procéder à un report en arrière des déficits (celui-ci ne pouvant désormais être effectué que sur l’exercice précédent, et ce dans la limite d’1 M€). Ce nouveau dispositif est applicable aux exercices clos à compter du 21 septembre 2011.

Le texte prévoit que le montant des déficits reportables qu’une société peut imputer sur le bénéfice d’un exercice donné est limité à 60 % du bénéfice imposable de cet exercice. Cette limitation ne s’appliquera cependant qu’à la fraction du bénéfice excédant 1 million d’euros (afin de préserver les PME). La fraction des déficits reportables qui n’aurait pas pu être imputée au titre d’un exercice en raison de cette limitation est reportable sur les exercices suivants dans les mêmes conditions.

En pratique, les déficits qu’une société réalise au titre d’un exercice donné ne pourront plus avoir pour effet d’effacer totalement le bénéfice d’un quelconque exercice ultérieur de cette société. Est ainsi instaurée une forme d’imposition minimum des entreprises.

Cette réforme des règles de report des déficits aura également pour effet de limiter les possibilités d’utilisation des déficits au sein de groupes d’intégration fiscale dans le cadre des règles propres au régime de l’intégration.

Impact de la réforme pour les professionnels de l’immobilier

Pour la généralité des entreprises, la réforme devrait avoir un simple effet de trésorerie, en décalant dans le temps la déduction des déficits. La situation pourrait cependant être différente pour les professionnels de l’immobilier, pénalisés en raison des caractéristiques et de la nature même de leur activité.

En effet, un cycle d’activité immobilière se caractérise par un profil de résultat évolutif, avec :

- une première phase de réalisation d’investissements importants (acquisition immobilière, travaux de rénovation et/ou de réhabilitation, prospection commerciale, etc.), souvent financés par un emprunt bancaire, qui est génératrice de déficits importants ; suivie

- d’une période d’exploitation locative de l’immeuble sur le moyen terme (dont la durée est souvent moins longue que les durées d’exploitation d’un actif ou d’une activité constatées traditionnellement dans les secteurs industriels ou commerciaux), au cours de laquelle les charges d’intérêts et les amortissements viennent réduire le résultat imposable tiré des loyers ; puis

- lors de l’arbitrage d’actifs devenus matures, une cessation (totale ou partielle) de l’activité se matérialisant généralement par la réalisation d’une plus-value taxable importante.

Sous l’ancien régime, les déficits accumulés lors de la phase d’investissement pouvaient, en principe, être intégralement imputés sur les résultats réalisés au cours de la phase d’exploitation ou, en tout état de cause, pour le solde, sur la plus-value taxable constatée à la sortie.

Dans le cadre du nouveau dispositif, la limitation de la déductibilité des déficits supportés lors de la phase d’investissement sur les résultats de la phase d’exploitation, à 60 % du montant de ces résultats, aura pour effet de générer, pendant la phase d’exploitation, une charge d’impôt sur les sociétés plus importante que sous le régime actuel, créant ainsi un coût de trésorerie.

De plus, dans nombre de cas, les nouvelles règles auront pour effet d’augmenter le montant des déficits en report disponibles au moment de la cession de l’immeuble. Or, dans les cas où la cession de l’immeuble correspond également à la fin de l’activité de la société (cas des entités constituées pour les besoins d’une opération), si la société ne peut imputer, sur la plus-value de sortie, la totalité du montant de ses déficits fiscaux en report (du fait du plafonnement de l’imputation à 60 % de son bénéfice fiscal), le nouveau régime aura conduit à interdire de facto la déduction des déficits résiduels, et non simplement à la décaler dans le temps.

De surcroît, le cycle d’activité immobilière étant répétitif, le phénomène décrit ci-dessus pourrait avoir vocation à se répéter régulièrement. Il en va notamment ainsi des promoteurs-constructeurs immobiliers, ou des professionnels acquérant des immeubles en Vefa, qui supportent, en début d’activité, de lourdes charges liées aux coûts de construction ou d’acquisition et de commercialisation, qui ne sont pas immédiatement compensées par des revenus locatifs (ceux-ci étant d’abord inexistants, puis limités en raison des franchises de loyer accordées aux preneurs en début de bail), entraînant ainsi l’accumulation de déficits importants dont le report sur les futurs exercices bénéficiaires sera restreint par les nouvelles règles.

Le tableau ci-dessus illustre ce phénomène en décrivant la situation, avant et après la réforme, d’une société immobilière réalisant un investissement immobilier locatif à long terme et arbitrant son actif à l’issue d’une détention de 5 ans.

Mesures d’adaptation aux nouvelles règles pour les professionnels de l’immobilier

Même si les nouvelles règles sont d’application immédiate et générale, certaines mesures devraient pouvoir en atténuer l’impact, en optimisant la constatation fiscale des charges afin de la rendre, dans la mesure du possible, concomitante à la réalisation du profit (l’enjeu étant de limiter la constatation d’un déficit reportable trop important et, par conséquent, le risque de perdre la possibilité de déduire fiscalement des charges pourtant décaissées).

Les professionnels de l’immobilier auront ainsi particulièrement intérêt à examiner, en fonction de leur situation propre, toutes les options légalement ouvertes leur permettant de lisser leur résultat fiscal, telles que la renonciation à différents outils fiscaux qui, jusqu’à la réforme, permettaient justement de générer des déficits importants en début d’activité. Ainsi, la renonciation au mode d’amortissement dérogatoire, ou le choix d’une incorporation au prix de revient de l’immeuble des frais d’acquisition (vs. une déduction immédiate de ces frais), peuvent permettre à une société immobilière de lisser son résultat en limitant la constatation, en début d’activité, de charges trop importantes dont la déductibilité fiscale ne serait pas assurée. De même, le recours à des prêts participatifs dont l’essentiel des intérêts serait décaissé (et déductible fiscalement) en fin de cycle permettrait d’atteindre cet objectif de lissage du résultat.

Par ailleurs, le délai fiscal de revente des marchands de biens (5 ans) se rapprochant désormais d’un cycle de « respiration » des foncières, le choix d’acquérir un actif en « marchand de biens » (désormais ouvert aux sociétés foncières) peut s’avérer stratégique, en ce qu’il permet de ne pas constater d’amortissements sur les actifs immobiliers inscrits en stock, ce qui a pour effet (i) de limiter la constatation de déficits pendant la phase d’exploitation de l’immeuble, et (ii) de réduire la plus-value taxable de sortie (limitant ainsi l’effet négatif de la limite de 60 % sur le montant d’impôt dû sur la plus-value).

Enfin, et de manière plus structurante encore, ces nouvelles règles pourraient encourager les professionnels de l’immobilier à avoir recours à des entités exonérées d’impôt sur les sociétés, telles que les OPCI, autant pour des investissements futurs que pour les actifs d’ores et déjà détenus en portefeuille.

Possible nouveau durcissement des règles de déduction des intérêts

Profitant des débats parlementaires préalables à l’adoption de la loi de finances rectificative, le gouvernement a annoncé qu’il envisageait de durcir à bref délai les règles de déduction des intérêts, en s’inspirant de régimes de certains de nos voisins (allemands ou anglais).

Les professionnels de l’immobilier devront donc demeurer mobilisés sur l’actualité fiscale des prochains mois.


Le coin du spécialiste

Les plus-values immobilières éligibles au taux réduit prévu à l’article 210 E du CGI (soit 19 % , hors contribution additionnelle) en cas de cession à une SIIC / OPCI, sont-elles soumises aux nouvelles règles d’imputation des déficits fiscaux ? Sur le plan des principes, on peut le penser (ces plus-values, bien que soumises à un taux réduit d’imposition, ne constituent pas pour autant des plus-values éligibles au régime du long terme qui, elles, échappent aux nouvelles mesures). On attendra cependant avec intérêt la position de l’administration sur ce point. L’imputation, sur une plus-value taxable à un taux réduit, d’un déficit qui pourrait, en d’autres circonstances, être imputé sur un bénéfice taxable à un taux plein, constitue en effet une forme de « sacrifice » pour le contribuable (qui n’y trouve qu’un intérêt de trésorerie, en l’absence de bénéfice immédiatement taxable au taux plein). L’intérêt bien compris du Trésor, qui a l’éternité pour horizon, devrait donc conduire l’administration à faire preuve de tolérance en la matière.

Et à supposer que ces plus-values taxables à taux réduit soient traitées comme des bénéfices de droit commun pour les besoins de l’imputation des déficits (augmentant l’assiette de calcul des 60 % imputables), se poserait alors la délicate question de l’ordre d’imputation des déficits sur ces différents produits, taxés à des taux fort distincts...


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Mots-clés : CGI, Magazine 77, OPCI, Siic