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Club-deal, SCI, joint-venture, SAS… : les incidences de la transposition de Directive AIFM sur les véhicules immobiliers non réglementés

En dépit de l’adoption, cet été, des textes de transposition en droit interne et des efforts entrepris par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour guider les acteurs de l’industrie de la gestion d’actifs, il est toujours difficile, à ce jour, de mesurer clairement les incidences de la Directive 2011/61/UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (dite « Directive AIFM »).

Cette difficulté est particulièrement évidente s’agissant des véhicules d’investissement qui échappaient jusqu’ici à toute forme de contrôle du régulateur financier. Il s’agit là de l’une des innovations majeures apportées par la Directive AIFM, et touchant à son champ d’application. Celle-ci n’a en effet pas vocation à s’appliquer uniquement aux fonds d’investissement réglementés, dont la création et les modalités de fonctionnement sont étroitement encadrées par la réglementation financière (tels que, en France, les SCPI ou les OPCI), mais plus largement à l’ensemble des véhicules qui, indépendamment de leur forme juridique ou de la nature des actifs qu’ils détiennent (actifs financiers, immobiliers, créances…) répondent aux critères d’un « fonds d’investissement alternatif » (FIA). Or, ces critères sont définis et appréciés de manière très large.

L’émergence des FIA par objet

La notion de FIA couvre tous types de véhicules (régulés et non régulés) qui remplissent quatre conditions cumulatives fondamentales : (i) être un organisme de placement collectif, à savoir offrir à ses investisseurs une perspective de rendement financier, (ii) lever des capitaux auprès (iii) d’une pluralité d’investisseurs en vue (iv) de les investir conformément à une politique d’investissement. Toutes les formes de levée de fonds ayant pour objet de proposer un placement financier sont donc susceptibles de relever de cette catégorie de FIA. Selon les premières estimations de l’AMF, les structures aujourd’hui non régulées susceptibles de remplir les critères de définition d’un FIA pourraient se chiffrer par milliers. Les SCI et autres sociétés immobilières figurent, aux côtés des sociétés de capital-risque, au premier rang des exemples les plus fréquemment cités par l’AMF comme entrant dans la nouvelle catégorie de FIA.

Il existe, désormais, dans la nomenclature des fonds d’investissement français, d’une part, les fonds étroitement réglementés et dont le régime est prévu dans la loi, qui sont qualifiés par le Code monétaire et financier de « FIA par nature » et, d’autre part, les « autres FIA » ou « FIA par objet », qui sont les véhicules non régulés jusqu’à ce jour et qui remplissent les quatre critères susvisés, ces autres FIA se trouvant désormais soumis à un socle de règles communes.

Quels enjeux ?

Les enjeux de la qualification de FIA sont loin d’être neutres. Bien évidemment, l’introduction d’un statut de FIA va de pair avec un certain nombre d’obligations tenant notamment à l’agrément du gestionnaire du FIA par l’AMF (si ce dernier gère des véhicules fermés pour un montant total supérieur à 500 M€), à la désignation d’un dépositaire en charge de la garde des actifs, à l’encadrement de la rémunération du gestionnaire, aux modalités d’évaluation des actifs en portefeuille ou bien encore à l’information due à l’AMF et aux investisseurs. Ces contraintes ne vont pas sans quelques exemptions (les sociétés holdings et family offices) et allègements liés à l’importance des actifs sous gestion, au niveau du levier ou à la nature des investisseurs (professionnels ou non professionnels) susceptibles d’investir. La Directive AIFM est également porteuse d’un certain nombre d’avancées tenant par exemple, aux facilités offertes en matière de levée de capitaux au sein de l’Union à travers l’introduction d’un passeport. On conçoit donc que les critères de qualification revêtent une importance toute particulière.

Les premiers éclaircissements apportés par l’AMF et l’ESMA

L’AMF a déjà publié des premières orientations qui permettent de préfigurer quelle sera l’approche du régulateur. L’autorité tend à privilégier une approche économique consistant à déterminer si le véhicule est un véhicule d’investissement / de placement, ou si, au contraire le véhicule n’est qu’une enveloppe destinée à faciliter l’exploitation en commun d’un ou de plusieurs actifs détenus collectivement. Dans le premier cas, le véhicule pourra être qualifié de FIA. Dans le second cas, il échappera à cette qualification. Cette approche, convaincante sur la forme, peut s’avérer néanmoins en pratique difficile à manier, la frontière entre l’exploitation et le placement étant parfois difficile à tracer, tout particulièrement dans le domaine de l’immobilier.

L’autorité européenne des marchés financiers (« AEMF » ou « ESMA » en anglais) a également apporté une importante contribution à la définition des FIA à travers la publication de « key concepts » qui devraient, selon toute vraisemblance, être repris dans une position de l’AMF. Ces « key concepts » développent chacun des critères définition du FIA.

S’agissant du premier d’entre eux, la notion d’organisme de placement collectif, l’ESMA reprend l’idée qu’un fonds d’investissement ne poursuit pas un objet commercial ou industriel, mais tend à offrir un rendement collectif à travers la mutualisation des capitaux levés. La notion de fonds d’investissement suppose, par ailleurs, qu’un investisseur accepte de confier à un tiers le soin d’investir des capitaux pour son compte, ce qui postule que les investisseurs n’exercent pas de pouvoir discrétionnaire sur les opérations courantes. Les critères liés à l’existence d’une pluralité d’investisseurs et d’une politique d’investissement sont également très largement entendus. La présence d’un investisseur unique ne fait ainsi pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d’un FIA, dès lors qu’il n’existe aucune disposition juridique s’opposant à ce que de nouveaux investisseurs entrent dans le fonds. La politique d’investissement doit, pour être retenue comme critère pertinent, être en principe formalisée et revêtir un caractère contraignant pour le gestionnaire.

Quelques illustrations en matière immobilière

Si l’on se réfère aux positions de l’AMF, une joint-venture immobilière où deux investisseurs gardent le contrôle des actifs immobiliers n’est pas un FIA car elle ne vérifie pas la définition de fonds d’investissement selon laquelle les investisseurs ne doivent pas garder le contrôle sur les opérations courantes relatives aux actifs. L’AMF ne s’est pas, en revanche, prononcée sur ce qu’il fallait entendre par « opérations courantes » en matière immobilière. S’agit-il des décisions d’investissement ou de désinvestissement, de l’asset management, du property ?

Une autre illustration mise en avant par l’AMF concerne un club-deal immobilier où plusieurs investisseurs investissent ensemble dans une SCI, dont ils confient la gestion à un tiers et ne gardent pas la prise de décision d’investissement ou de désinvestissement sur les actifs immobiliers. Selon l’AMF, un tel véhicule est constitutif d’un FIA.

Peut-on en déduire qu’à partir du moment où, comme c’est le cas dans la plupart des opérations immobilières, les investisseurs sont associés avec un opérateur (qu’il soit promoteur, marchand de biens ou simplement asset manager) autour d’une opération unique identifiée, la qualification de FIA peut être écartée ? A ce jour, nous ne pouvons l’affirmer... Les enjeux de la définition du FIA par objet sont donc très significatifs pour l’industrie immobilière traditionnelle.

Un an pour faire son analyse

On constate qu’il sera difficile d’avoir une grille d’analyse préconçue et de mettre en œuvre une approche « tick-the-box ». Le travail de qualification de FIA devra donc porter sur chaque structure non régulée et être effectuée au regard de ses documents constitutifs et commerciaux. Les conséquences d’une telle qualification sont importantes, l’absence de mise en conformité avec la réglementation étant susceptible d’entrainer des conséquences disciplinaires, mais également civiles et même pénales dans certaines circonstances.

Il est nécessaire d’œuvrer pour qu’une doctrine émane progressivement du dialogue entre l’AMF et les praticiens. Il serait souhaitable qu’elle puisse émerger rapidement dans la mesure où les FIA et leurs gestionnaires disposent d’un délai expirant le 22 juillet 2014 pour se mettre en conformité avec les obligations découlant de la Directive AIFM.

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