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Matthias Navarro, Redman

Les verrous à faire sauter pour densifier la ville

En application de l’oukase « développement durable » proclamé il y a une quinzaine d’années, le développement urbain a dû s’adapter et mettre au cœur de son processus le ralentissement de l’étalement urbain au profit de la reconstruction de la ville sur la ville.
Cette technique, bien plus complexe que le simple déroulement de béton sur des terres disponibles, a nécessité la mise au point d’un écosystème favorable : écosystème qu’il faudrait aujourd’hui compléter d’un volet fiscal puisque les volets juridiques et techniques ont d’ores et déjà été mis au point.


Sur le plan juridique, bien que la loi SRU constitue un demi-échec, en ce qu’elle n’a pas atteint l’ensemble des objectifs qu’elle s’était fixée, la pluie de réglementations qui en a découlé (Grenelle I puis II, Loi ALUR, ….) est parvenue à constituer un cadre favorable aux opérations de restructuration.

Un urbanisme de projets remplace peu à peu un urbanisme globalisé. Et cette évolution se poursuit malgré l’alternance politique.

Lorsque l’actuelle majorité de gauche retire le principe fixé par l’ancien président Nicolas Sarkozy de déplafonner le COS de 30 % de manière générale, c’est pour remplacer cette mesure globale par une disposition similaire mais plus ciblée, à savoir le principe de remplissage des dents creuses urbaines. L’ordonnance du 2 octobre 2013 permet ainsi dans les zones tendues de déroger au PLU local afin de remplir les dents creuses à une hauteur identique à celle des bâtiments voisins.

Dans le même ordre d’idée, vient d’être adopté l’allègement de l’obligation de créer des aires de stationnement pour les logements dès lors que le projet est situé à proximité des transports collectifs.

Mais beaucoup reste à faire comme, par exemple, le décloisonnement du dogme sur les limitations de hauteur des immeubles ou l’adaptation de la réglementation inutilement globale relative à l’accessibilité aux PMR…

Les chantiers ne manquent pas. Mais constatons que le juridique a su s’adapter.

Côté technique, la probité environnementale s’est principalement traduite par un durcissement régulier et spectaculaire de la réglementation thermique. De la RT 2005 à la future RT 2020 (BEPOS), les promoteurs immobiliers ont du faire évoluer leurs techniques de construction afin d’y répondre favorablement. Sans entrer dans le débat de la pertinence de l’évolution de ces règles pour réaliser des bâtiments « thermos », le sujet est ici de relever que ces réglementations thermiques ont su s’adapter aux opérations de restructurations urbaines.

En effet, tant les réglementations (RT) que les labels (HQE, BBC, BREAM) ont été alourdis d’un chapitre « existant » ou « rénovation » afin de réduire les exigences et faire en sorte que ces opérations ne demeurent pas en marge de ce type de certification. Conclusion : la technique s’adapte !

C’est donc au niveau fiscal qu’il est regrettable de ne noter aucune évolution favorable aux opérations de restructuration urbaine. Bien au contraire, l’évolution récente des taxes d’urbanisme (particulièrement en région Ile-de-France) participe activement au maintien à des niveaux très importants de la valeur foncière.

Depuis plusieurs années, et sous l’impulsion du financement du futur Grand Paris, nouvelles taxes, élargissements d’assiettes et augmentation des taux ont vu le jour.

De ce point de vue, l’exemple de la reconversion des immeubles vieillissants de bureaux en région Île-de-France est saisissant. Ce type de reconversion est considéré comme un important gisement de logements dans cette région alors que les 2,5 millions de m2 utiles de bureaux actuellement vacants représentent moins de 40 000 logements pour un manque estimé à plus de 100 000.

Or, dans le cadre de la restructuration de bureaux, deux options majeures sont envisageables. La première d’entre elles est de reconvertir l’immeuble en bureaux. Si l’option choisie est de rénover les bureaux existants, le promoteur immobilier prend un risque certain. En effet, plus de deux tiers des transactions de bureaux se font sur des immeubles neufs. Si l’option choisie est de démolir l’immeuble existant pour reconstruire des bureaux neufs, l’opération se heurte à une fiscalité ravageuse additionnant taxes d’aménagement et redevance pour création de bureaux (avec la disparition programmée fin 2013 de l’exonération stipulée à l’article L.520-8 du Code de l’urbanisme).

La seconde option est une reconversion en logements, mais la solution bien qu’idéale sur le papier, se heurte souvent à la réglementation sur les 25 % de logements sociaux : impossible de faire tourner un bilan avec des travaux estimés à 2 500 € HT/m2 et un prix de vente des logements sociaux à 3 800 € TTC/m2. Dans cette hypothèse également, les taxes d’urbanisme paraissent jouer un rôle majeur dans les difficultés rencontrées. Conclusion : le fiscal n’est pas adapté !

Aussi, supprimons, un à un, les verrous qui empêchent aujourd’hui d’envisager que les opérations de renouvellement urbain puissent intervenir à grande échelle.

En matière de bureaux spécifiquement, les dispositions de l’article L.520-8 du Code de l’Urbanisme devraient être pérennisées. Cet article, issu de la loi de finance rectificative pour 2006, prévoit que les opérations de reconstruction d’un immeuble pour lesquelles le permis de construire est délivré avant le 1er janvier 2014 ne sont assujetties à la redevance (pour création de bureaux en région Ile-de-France) qu’à raison des mètres carrés de surface utile de plancher qui excèdent la surface utile de plancher de l’immeuble avant reconstruction. Afin de faciliter les opérations de démolition-reconstruction, ce dispositif permet de ne pas payer de redevance sur les mètres carrés existants… pour lesquels la redevance a déjà été payée ! Logique, tellement logique. Et pourtant bientôt inapplicable. Le gouvernement doit proroger cette disposition qui seule permettra le renouvellement en masse de l’infinité d’immeubles de bureaux vieillissants.

En matière de bureaux toujours, subsiste également la question de l’agrément. Mise en place en 1955, cette procédure vise à soumettre, à autorisation préalable, la construction de locaux à usage professionnel en région parisienne. Son objectif initial était de veiller au respect des orientations de la politique d’aménagement du territoire, ainsi qu’au maintien de l’équilibre logements/bureaux dans la région. Sur ce dernier point, le constat est clair : ce système vieux de près de soixante ans est un échec. L’effectivité actuelle de cette procédure se réduit à déverser des agréments dans toute l’Île-de-France tout en ostracisant toute nouvelle opération sur les communes directement liées à La Défense : Courbevoie, Puteaux, Nanterre et Rueil-Malmaison. Trop abrupt, ce système ne peut répondre efficacement aux subtilités des enjeux du renouvellement urbain.

Enfin et surtout, de manière transverse, il convient de mettre en place une exonération de taxe d’aménagement (totale ou partielle) pour toute opération de démolition-reconstruction immobilière. Cela paraît tout ce qu’il y a de plus naturel. Pourquoi une opération visant à « renouveler » urbanistiquement parlant un immeuble, serait-elle automatiquement taxée sur l’intégralité de la nouvelle construction, sans prise en compte de droits fiscaux préexistants attachés à l’immeuble ayant vocation à être démoli ? Sur le plan économique, cette taxe est LE principal obstacle à la viabilité de ce type d’opération.

La ville doit se renouveler. Elle doit également se densifier. La densité, longtemps ressentie comme pression sociale, est désormais synonyme de concentration d’activités. Mais trop d’obstacles perdurent pour réellement déployer une politique globale dans ce domaine.

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