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Mathieu Hercberg, Senior Manager Real Estate Corporate Finance, EY

Le mur de la dette : mythe ou réalité ?

Et si le mur de la dette n’était qu’une invention des journalistes ? Le fameux choc du refinancement de l’immobilier d’entreprise ne s’est pas encore manifesté en France, à tout le moins sur le plan médiatique. Mathieu Hercberg, Senior Manager Real Estate Corporate Finance chez EY, fait le point sur ce mur qui n’en est peut-être pas un.


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Avec la crise de l’euro et les difficultés des banques et de certains pays à honorer leurs engagements, s’est développé le concept du « mur de la dette », parfois décrit comme un tsunami à venir mais dont on peine à percevoir les contours réels.

Les craintes relatives à ce mur de la dette proviennent du constat suivant : les banques, à l’origine de 90 % des financements immobiliers en France, ont financé des volumes importants sur la période 2003-2007 à des conditions assez agressives, avec des niveaux de loan-to-value (LTV) élevés et des marges modérées pour des maturités comprises entre 5 et 7 ans. Ces prêts arrivent à échéance à une période où les conditions de financement sont plus difficiles, particulièrement en ce qui concerne le niveau de LTV accepté par les prêteurs. Par ailleurs, les banques, affaiblies par la crise et les nouvelles réglementations qui, à l’instar de Bale III, leur imposent des ratios de fonds propres toujours plus élevés, ont réduit la voilure quant aux prêts immobiliers. On en a donc déduit que d’importants volumes de dettes ne trouveraient pas à se refinancer et que nous allions droit… dans le mur.

Force est de constater cependant que ce mur de la dette ne semble pas se matérialiser, dans les faits, à grande échelle. Qu’en est-il de la situation réelle ?

Le besoin en financements nouveaux diminue

Tout d’abord, le marché de l’immobilier d’entreprise a connu d’importantes mutations. En premier lieu, les volumes investis sont clairement en deçà de ce qu’ils étaient avant la crise :

Situés en moyenne aux alentours de 21 Mds€ par an sur la période 2004-2007, les volumes investis sont tombés autour de 13 Mds€ sur la période 2008-2012, soit une baisse de 40 % (-34 % d’après BNPP RE). Les montants à financer sont donc bien plus faibles.

La période post-crise a également vu une modification de la nature des actifs recherchés par les investisseurs, avec un goût nettement plus prononcé pour les actifs dits core. Enfin, la typologie des acquéreurs a, elle aussi, évolué. On a assisté à un renforcement des acteurs « traditionnels » de l’investissement (assureurs, SCPI et SIIC) ainsi que des fonds souverains au détriment des fonds d’investissement opportunistes. Or, ces acteurs de l’investissement n’ont pas (ou peu) recours à l’effet de levier, à l’exception des SIIC, lesquelles visent aujourd’hui des quanta de dette plus modestes qu’autrefois (aux alentours de 40 %, contre 60 %).

La combinaison de ces éléments (niveaux plus faibles des montants investis en immobilier d’entreprise et prédominance des acteurs en fonds propres) conduit à un allègement de la demande en financements nouveaux et à une certaine prudence en termes de LTV, compte tenu de la nature des acquéreurs.

Bien qu’il soit difficile d’estimer avec précision les volumes de financement immobilier, compte tenu du manque de transparence de ce marché, nous estimons que le marché annuel des « nouveaux financements » en immobilier commercial représente environ 5 ou 6 Mds€ pour un taux de LTV moyen de 50 %. Ce besoin de financement est en réalité largement couvert, que ce soit par les banques allemandes hypothécaires à l’appétit toujours grandissant, les banques françaises qui continuent malgré tout de prêter à leurs clients historiques ainsi que les nouveaux acteurs du financement (fonds de dette, assureurs) qui commencent à se positionner. La concentration de l’ensemble de ces acteurs sur l’unique segment des actifs core a même conduit à une baisse récente des marges, événement inédit depuis 2007, avec les meilleurs dossiers se situant dans une fourchette de 150 à 170 points de base.

L’activité se concentre donc plutôt dans le refinancement, et c’est justement cette situation que l’on appelle le « mur de la dette », souvent de manière un peu alarmiste. Nous pensons cependant que ce besoin est largement surestimé, pour plusieurs raisons.

Des sources de financement plus diversifiées

Tout d’abord, les plus gros propriétaires d’immobilier commercial français sont les SIIC, avec un patrimoine estimé à 100 Mds€. Ce sont elles les premières concernées par les problématiques de refinancement. Or, les SIIC, notamment les plus importantes, ont accès aux marchés financiers, lesquels ont manifesté un fort intérêt pour les émissions d’obligations foncières. En témoignent les 5 émissions obligataires d’Unibail-Rodamco entre décembre en février 2013 pour un montant total de 3,25 Mds€, au taux moyen de 2,6 % et d’une durée moyenne légèrement supérieure à 6 ans. Ces émissions ont été en moyenne plus de 3 fois sursouscrites. On peut également mentionner le placement privé d’obligations foncières réalisé par Foncière des Régions de 180 M€ sur 7 ans au taux de 3,30 % en mars 2013. Le marché obligataire offre ainsi aux foncières cotées une solution de financement bon marché et abondante. Ce marché autrefois peu usité et réservé aux plus grosses foncières s’est démocratisé, passant de 7 Mds€ en 2007 à 18 Mds€ en 2012 pour les seules foncières cotées. En 2007, la structure financière moyenne des foncières était composée à 14 % d’obligations, contre 31 % aujourd’hui, avec une tendance clairement orientée à la hausse. Ce sont donc les marchés financiers qui ont à la fois apporté une solution de refinancement aux foncières et allégé considérablement les bilans des banques (particulièrement françaises) en matière d’immobilier. On constate aujourd’hui une volonté des foncières de diversifier leurs sources de financement avec un intérêt particulier pour les formes de financements desintermédiés d’une part, et d’autre part un accès au marché qui se « démocratise » avec des émissions de taille plus modeste, notamment dans le cadre des « private placements »

Ensuite, l’émergence de nouveaux acteurs, qu’il s’agisse de fonds de dette core ou opportunistes, ou de filiales d’assureurs, commence également à couvrir les besoins en financement et en refinancement des investisseurs. A titre d’illustration, on peut mentionner deux opérations réalisées par Allianz : l’une de 275 M€, en partenariat avec la Société Générale au bénéfice de Foncière des Régions ; l’autre de 200 M€ en partenariat avec CACIB au bénéfice d’Icade. Sans mentionner les fonds mezzanine, majoritairement anglo-saxons qui offrent – en combinaison avec des prêteurs seniors – des solutions de refinancement pour les cas les plus difficiles, même si les volumes en question sont encore anecdotiques au regard du marché.

Enfin, le niveau des taux d’intérêt, particulièrement bas depuis le début de la crise, a permis aux banques d’accorder des extensions, voire de refinancer complétement – et discrètement – les opérations qu’elles avaient financées au plus haut du marché.

L’ensemble de ces facteurs ont permis – et permettent encore aujourd’hui – d’épurer progressivement la grande majorité des besoins de refinancement actuels.

Un marché secondaire difficile avec des restructurations à prévoir

On pourrait toutefois objecter qu’il demeure un pan de marché non servi : celui des opérations non-core, relatives à des biens vieillissants et vacants, ne répondant pas aux dernières normes et situés dans des marchés secondaires. Pour celles-ci, le marché de l’investissement s’est tari, le marché du financement est quasiment inexistant et celui du refinancement difficile. Les marges pratiquées sont nettement plus élevées, de 300 à 700 points de base, en fonction de la qualité du sous-jacent et du niveau de LTV. Les marges décrochent plus encore (« cliff effect ») dès lors qu’on s’adresse à des prêteurs seniors, lesquels demeurent néanmoins assez peu actifs en France.

En outre, le marché locatif se tend et nous anticipons une poursuite de la baisse des valeurs locatives de bureaux, qui aura nécessairement à terme des impacts sur les valeurs vénales et sur les covenants bancaires.

La possible hausse des taux, suite notamment aux récentes décisions de la FED quant à la baisse de leur politique de « quantitative easing », pourrait enfin renverser la donne sur le marché du financement immobilier, comme sur les prix. Les acteurs de l’investissement immobilier ont tout intérêt, dans le contexte actuel de marché, à sécuriser, dès à présent, l’ensemble de leurs refinancements à venir…

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