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Point de vue de Nicolas Sidier, associé au cabinet Péchenard & Associés, et Aurélie Pouliguen-Mandrin, avocat à la cour

L'impact de la réforme du droit des contrats sur le statut des baux commerciaux

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Notre droit des contrats et les mécanismes de preuve qui y sont liés, amplement marqués par l’esprit des rédacteurs du code civil en 1804, vient de connaitre l’une de ses plus importantes réformes avec l’introduction de l’ordonnance du 10 février 2016.

Même si le droit spécial l’emporte sur le droit général, ces nouvelles règles globalement entrées en vigueur le 1er octobre 2016, impactent le régime des baux commerciaux, déjà réformé récemment par la loi dite Pinel du 18 juin 2014.

La loi nouvelle s’applique aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016. En principe, elle ne s’applique pas aux baux en cours, ni aux baux tacitement prolongés après le 1er octobre, ni aux baux renouvelés à l’issue d’une procédure judiciaire en fixation du loyer postérieure au 1er octobre mais dont la date d’effet est antérieure. En principe cependant, car la question se pose d’ores et déjà de l’applications de certaines dispositions considérées d’ordre public, aux contrats en cours.

Certaines dispositions de la reforme relatives aux actions dites interrogatoires relatives aux pactes de préférence (article 1123), à la représentation (article 1158) et au régime de la nullité (article 1183) sont en outre expressément applicables aux contrats en cours compte tenu des dispositions spécifiques de l’ordonnance.

Les innovations concernent plus spécifiquement la négociation et la formation du bail (I), sa validité (II), son exécution (III) et son inexécution (IV).

Les commentaires suivants, loin d’être exhaustifs, entendent éclairer ces nouveautés dont il faut désormais tenir compte.

I. La formation du contrat, entre exigences de bonne foi et obligation d’information

Le code civil a toujours imposé que les conventions soient exécutées de bonne foi. Cette règle n’ést pas modifiée. Le nouvel article 1104 du code civil ajoute qu’elles doivent désormais également être négociées et formées de bonne foi.[1]

Cette disposition étant impérative, les parties ne pourront convenir de s’y soustraire ; l’on voit mal toutefois comment elles auraient pu admettre le contraire…

L’obligation de bonne foi est à rapprocher d’un devoir d’information. Cette obligation d’ordre public avait été renforcée en matière de bail commercial, par la loi Pinel. Son périmètre se limitait essentiellement à l’état des travaux passés et à venir, le récapitulatif de la répartition des charges, impôts et travaux et l’état des lieux.

L’esprit des dispositions issues de la loi Pinel était déjà d’inviter les parties à aborder de la manière la plus transparente possible, les sujets impactant l’équilibre économique du bail.

C’est une obligation d’ordre général qui est introduite par l’ordonnance du 10 février 2016. Il est fait obligation aux parties de porter à la connaissance de leur cocontractant des informations déterminantes de leur consentement (nouvel art. 1112-1 du code civil[2]).

Cette nouvelle obligation porte sur des informations qui présentent un « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties », la loi précisant qu’elle ne concerne pas l’estimation de la valeur de la prestation.

La jurisprudence devra dire si ces nouvelles dispositions obligent le bailleur à informer le locataire de l’état du marché, voire à délivrer à l’instar des contrats d’exclusivité, l’information précontractuelle issue de la loi Doubin du 31 décembre 1989 en matière de franchise.

II. La validité du bail au regard de l’obligation de délivrance

La jurisprudence considère que les clauses dérogeant à l'obligation de délivrance du bailleur sont annulables puisqu’il s'agit d’une obligation essentielle du bailleur qui affecte l'objet même du contrat.

Les dispositions du nouvel article 1170 du code civil[3] consacrent cette position et encadrent la possibilité du bailleur de limiter son obligation, à charge pour lui de ne pas la "prive[r] de sa substance". Cela constitue la transposition de la jurisprudence Chronopost sur les clauses limitatives de responsabilité (Com, 22 octobre 1996, n°93.18632).

Certains auteurs envisagent toutefois que le bailleur puisse convenir d'une dérogation partielle à son obligation dans la mesure où celle-ci est mentionnée clairement et justifiée par une ou des contreparties.

La prudence conduit à ne pas entretenir trop d’espoir sur ce plan. Ce point amène à s’interroger sur la pérennité de la pratique consistant à déroger aux dispositions des articles 1719 et 1720 du code civil, qui prévoient que :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations. »

et

« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.

Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. »

Même si la jurisprudence a considéré que ces articles sont supplétifs de la volonté des parties, l’on est objectivement au cœur de la substance du bail.

III.  L’exécution du contrat

• La théorie de « l’imprévision » fait une entrée fracassante dans le code civil (nouvel art. 1195 du code civil[4]) et remet une nouvelle fois en cause, la force du consensualisme afin de permettre au juge de rééquilibrer le contrat.

L’idée sous-jacente, manifestement dans l’air du temps, reste qu’il convient de protéger la partie la plus faible… Le nouvel article 1190 du code civil est à cet égard très clair[5].

La révision du contrat par le juge devrait être possible sous réserve que soient établis :

-  un changement de circonstances, imprévisible lors de la conclusion du contrat,

-  rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assurer le risque.

Une partie pourra imposer à l’autre, une négociation du contrat, soit amiable, soit avec le concours du juge. Ce n’est qu’en cas de refus du cocontractant de négocier ou d’échec de la négociation, que l’intervention judiciaire pourra être sollicitée.

Il est probable que peu de renégociations amiables interviendront spontanément, tant ce mécanisme semble éloigné de notre pratique.

Ces dispositions relativement imprécises et auxquelles les parties pourraient déroger, laissent aux magistrats le soin de déterminer leur champ d’application. Ce sera là, une difficulté sérieuse dans une matière où l’équilibre est assuré de façon importante par les dispositions encadrant le plafonnement du loyer que celles-ci concernent sa révision ou son renouvellement.

Rappelons à cet égard, que certaines de ces règles sont d’ordre public, et en particulier celles relatives à la révision et l’indexation du loyer. L’on devra se demander si l’intervention du juge pourra couvrir l’ensemble des domaines du statut.

On relèvera d’ailleurs que la loi Pinel avait limité l’aléa lié au risque d’augmentation excessive du loyer en instaurant son lissage par paliers de 10% dans un certain nombre d’hypothèses. Le critère d’exécution "excessivement onéreuse" lié à un "changement de circonstances imprévisible" du contrat, parait ne pas avoir sa place.

En revanche, cela sera peut-être le cas pour les baux qui échappent à la règle du lissage du loyer (locaux monovalents, bureaux, terrain et baux d’une supérieure à douze ans).

En sens inverse, l’on peut se demander si ces dispositions ne permettront pas aux bailleurs, de renégocier le contrat en cas de baisse significative du loyer… étant rappelé que le lissage du loyer ne s’applique pas en cas de diminution de celui-ci.

• La notion de "déséquilibre significatif" entre les droits et obligations des parties, apparait au nouvel article 1171[6] du code civil relatif aux contrats d’adhésion, qui répute non écrites les clauses susceptibles d’entraîner ce déséquilibre.

La pratique de certains bailleurs consistant à présenter des baux sous formes de conditions générales non négociables et de laisser la négociation porter sur quelques conditions particulières amène à s’interroger sur le point de savoir si les premières pourraient constituer un contrat d’adhésion. Cette question ne semble pas avoir été tranchée par la jurisprudence.

Dans l’affirmative, les bailleurs seraient inspirés de conserver les preuves tangibles de la réalité de la négociation de l’intégralité des dispositions du bail afin d'éviter la sanction radicale du réputé non-écrit.

IV.          L’inexécution du contrat

• Jusqu’à présent, le contrat pouvait être résilié en cas de faute par application d’une clause résolutoire ou de la résiliation judiciaire, dans les conditions de l’ancien article 1184 du code civil qui oblige à s’en rapporter à l’appréciation du juge sur la gravité de la faute. La suspension de l’exécution d’une obligation était, elle, conditionnée par une mise en demeure et une autorisation préalable du juge.

La réforme facilite le droit de suspendre l’exécution de son obligation par une partie :

-       "si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave" (nouvel article 1219 du code civil[7])

-       "dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution seront suffisamment graves pour elle" (nouvel article 1720 du code civil)

La mise en œuvre régulière de ce mécanisme exige à ce stade une certaine prudence dans l’attente de la jurisprudence qui sera amenée à définir les contours de ce mécanisme.

• L’ordonnance du 10 février 2016 a instauré la possibilité de résoudre unilatéralement le bail par simple notification "en cas d'inexécution suffisamment grave" (nouvel article 1224 du code civil[8]).

Il n’est pas sûr que cela suffise à simplifier le contentieux de la résiliation judiciaire du bail ou de l'acquisition de clause résolutoire puisque la gravité de l’inexécution continuera d’être soumise à l’appréciation des magistrats. La prudence est là encore de mise…

• Le créancier d’une obligation peut également solliciter une réduction du prix du contrat en cas d’exécution imparfaite du débiteur (nouvel article 1223 du code civil[9]).

L’on peut dès lors envisager que le preneur puisse demander une baisse de loyer en cas de manquement du bailleur à l’une de ses obligations (travaux, entretien, …).

• Le mécanisme bien connu en matière de travaux réalisés "à frais avancés pour le compte de qui il appartiendra" est consacré par le nouvel article 1222 du code civil[10].

La nouveauté est que dans la limite d’un coût raisonnable, l’autorisation judiciaire préalable n’est plus nécessaire. Il est donc dorénavant offert au créancier d’une obligation et afin de pallier les carences de son cocontractant, de faire exécuter l’obligation en cause, en ses lieux et place et lui demander ensuite le remboursement des sommes engagées.

Cette disposition, à utiliser prudemment, permet donc dans de nombreuses hypothèses de gagner en efficacité.

• La résiliation est dorénavant possible par voie de notification en cas de carence du débiteur de l'obligation (nouvel article 1226 du code civil[11]), qui conserve à tout moment le droit de saisir le Juge pour la contester. Sauf urgence, une mise en demeure préalable doit être adressée.

Ce mécanisme aux risques et périls de son auteur, est manifestement destiné à des situations dans lesquelles la poursuite du bail est impossible.

Là encore, la question de la gravité du manquement invoqué sera nécessairement renvoyée à l'appréciation souveraine des magistrats, mais l’on peut envisager avec prudence, une simplification salutaire des règles applicables.

*    *   *

« La sécurité juridique est le premier objectif poursuivi par l’ordonnance, qui vise tout d’abord à rendre plus lisible et plus accessible le droit des contrats, du régime des obligations, et de la preuve » annonçait le rapport du Premier Ministre au Président de la République en introduction de l’ordonnance. La mise en œuvre de ces dispositions, sous le contrôle des magistrats, dira si cet objectif honorable a pu être atteint.


[1] al. 1 « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »

[2] « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. (…) »

[3] "Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite".

[4] al. 1 " Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation."

[5] "Dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé."

[6] "Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation".

[7] "Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave."

[8] "La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice."

[9] "Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix.

S'il n'a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais."

[10] "Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l'obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction."

[11] "Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.

Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »

 

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