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J.-Y. Charriau-S. Maurel

En refusant d’adopter le texte préparé par Bercy et en exigeant la remise d’un rapport sur les différentes options de modernisation du régime des sociétés de personnes, l’assemblée nationale semble avoir quelque peu reculé devant l’épreuve. Reste à espérer que cela soit pour mieux sauter…

Tout le monde ne le sait sans doute pas mais le régime français des sociétés de personnes (SDP) est unique au monde. Contrairement au régime de « transparence » en vigueur dans la grande majorité des pays de l’OCDE, selon lequel les associés d’une SDP sont imposés comme s’ils appréhendaient directement les revenus de la société, le droit français repose sur le concept de la « translucidité » de la SDP, en vertu duquel le revenu imposable est déterminé au niveau de la société, personne fiscale distincte, en fonction de son activité et – pour simplifier le propos - imposé entre les mains des associés en tant que quote-part de résultat de SDP.  Ce système se traduit par des frottements fiscaux, comme par exemple l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés des associés d’une SDP percevant des dividendes qui, s’ils étaient directement perçus par les associés, seraient éligibles au régime mère-fille (exonération de 95 %). Mais il produit aussi parfois des effets fiscaux favorables au contribuable, en particulier en matière de fiscalité internationale ou, plus accessoirement, pour ce qui concerne certains organismes imposés sur des revenus limitativement énumérés. L’on nous pardonnera de ne pas en écrire davantage...

C’est pour mettre fin à ces « frottements fiscaux ou optimisations non souhaités » que le gouvernement a, après une longue réflexion, lancé une consultation au printemps 2010 puis rédigé un projet de texte détaillé. Ce texte, dont l’application était décalée au 1er janvier 2012, a été intégré dans le projet de quatrième loi de finances rectificative pour 2010. Pour différentes raisons, notamment le souhait de continuer à pouvoir contrôler la SDP plutôt que ses associés et de ne pas transférer toutes les obligations déclaratives à ceux-ci, le projet ne retenait pas le principe d’une totale transparence mais celui d’une « transparence rationalisée ». Selon ce concept, les opérations d’une SDP sont réputées avoir été réalisées, à proportion de ses droits dans l’entité, par chacun des associés, mais la SDP conserve une personnalité fiscale.

Mais les parlementaires, à l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale, ont considéré, d’une part, qu’il n’était pas acceptable qu’une réforme de cette importance soit tardivement intégrée dans un collectif budgétaire et, d’autre part, que le projet n’était accompagné d’aucune étude permettant au Parlement d’en apprécier l’impact budgétaire.

Le texte final de la loi de finances rectificative enjoint donc au gouvernement de préparer un rapport « présentant les différentes options d’une nécessaire modernisation du régime fiscal des sociétés de personnes et entités assimilées garantissant, a minima, une stabilité du coût par rapport à celui du régime fiscal actuel (…) » et abordant, en particulier, les conséquences budgétaires de l’application aux associés de SDP de certains avantages fiscaux qui résulteraient de l’adoption du principe de transparence – en indiquant « ce qui, en droit et en fait, justifie ou justifierait leur application »...

La tâche du gouvernement s’annonce donc ardue, mais il faut espérer qu’il se montrera à la hauteur pour que cette modernisation maintes fois annoncée voit enfin le jour, que ce soit lors du collectif budgétaire de juin prochain ou, peut-être, de la loi de finances de fin d’année.

C’est dans cette perspective optimiste que nous nous placerons ici et que nous étudierons - de manière succincte - les principales dispositions de la réforme concernant les investissements immobiliers.

En premier lieu, la cession des parts d’une SDP n’est pas traitée comme la cession des actifs immobiliers détenus par celle-ci. Le document de consultation indiquait déjà que « le principe de transparence ne [serait] pas retenu en ce qui concerne les cessions de parts de SDP ». Le projet de texte soumis au Parlement prévoit, dans la même ligne, que « la cession ou l’acquisition de titres d’une entité transparente, y compris dans leur intégralité, n’est pas assimilée à la cession ou l’acquisition de chacun des éléments de son patrimoine ».

Dès lors, selon nous, contrairement à certaines rumeurs, les fonds immobiliers luxembourgeois ne risquent pas de voir leurs plus-values de cession de SCI tomber dans le champ d’application de l’impôt français. En effet, la convention fiscale actuellement en vigueur entre la France et le Luxembourg n’assimile les cessions de parts de sociétés immobilières françaises à des cessions d’immeubles que dans le cas des sociétés qui n’ont pas de personnalité fiscale distincte de celle de leurs membres, ce qui n’est donc pas le cas des SDP dans le cadre de la transparence rationalisée.

En deuxième lieu, le texte légalise la fameuse jurisprudence Quémener, en énumérant les ajustements qu’il faut apporter au prix de revient fiscal des parts d’une SDP lors du calcul de la plus-value ou de la moins-value de cession. Celui-ci doit être (i) majoré des résultats fiscaux bénéficiaires ou minoré des résultats fiscaux déficitaires de la SDP réalisés depuis l’acquisition des titres, (ii) minoré du montant des produits de participation perçus par l’associé à raison et depuis l’acquisition des titres et (iii) majoré du montant des pertes comptables de la SDP non déduites et des abandons de créance ou subventions non déductibles consentis par l’associé à la SDP à proportion des titres détenus à la date de cette aide

De façon plus surprenante, est posé le principe absolu de non déductibilité de toute provision pour dépréciation des titres de SDP et de créances dont le débiteur est une SDP à proportion des droits du créancier dans la société. La non déductibilité des provisions pour dépréciation des parts s’explique lorsque la provision correspond aux pertes de la SDP que l’associé, par effet de la transparence, a déjà déduites. En revanche, elle ne se justifie pas lorsqu’elle correspond à la perte de valeur d’une participation dans une SDP acquise pour un prix tenant compte de plus-values latentes. Ainsi, en cas d’achat pour un prix de 100 d’une SDP dont la situation nette comptable est de 70, toute réduction de la survaleur de 30 (correspondant à des plus-values latentes) devrait pouvoir être déduite car elle ne trouve pas son origine dans des pertes de la SDP. Il n’y a pas de double déduction dans ce cas. Quant aux provisions sur créances, la déductibilité est préservée en cas d’interposition d’une société (non transparente) entre le prêteur et la SDP.

Enfin, le texte ouvre aux sociétés de capitaux immobilières la perspective de se transformer en SDP sans acquitter immédiatement l’impôt sur les sociétés sur (notamment) leurs plus-values latentes. Le régime de « l’atténuation conditionnelle » était jusqu’ici refusé aux sociétés immobilières qui voulaient se transformer en SDP, au motif que l’une des conditions de son application, à savoir que les plus-values restent imposables après la transformation, n’était pas remplie, puisque si les parts d’une SDP venaient à être détenues par des personnes physiques, celles-ci pouvaient bénéficier d’un abattement voire d’une exonération d’impôt sur la plus-value après une certaine durée de détention.  Afin de neutraliser ce scénario, le texte prévoit que les exonérations ou abattements (…) applicables en cas de cession d’un bien après transformation en SDP ne le seront qu’à proportion de la durée pendant laquelle la société aura relevé du régime des SDP par rapport à la durée totale de détention du bien. Le reliquat de la plus-value sera imposé au taux et dans les conditions de droit commun du régime d’imposition applicable à cette date (c’est-à-dire à l’impôt sur les sociétés).

Ce dispositif constitue une avancée majeure attendue depuis fort longtemps par les investisseurs. Il permettra ainsi de faire entrer des partenaires dans des sociétés immobilières de capitaux en convertissant celles-ci en SDP en bénéficiant d’une neutralité fiscale, à l’instar de ce qui existe dans les entreprises industrielles ou commerciales. De même, les OPCI et SIIC pourront se porter acquéreurs de sociétés de capitaux et les inclure dans le périmètre d’exonération fiscale sans avoir à immédiatement acquitter l’exit tax de 19 %, qui aboutit actuellement à une double imposition économique puisque, par hypothèse, le vendeur de la société de capitaux est imposé sur sa propre plus-value. Notons, toutefois, que dans cette situation, le coût fiscal lors d’une cession future des immeubles de la société acquise par l’OPCI ou la SIIC pourra se révéler plus important que l’exit tax de 19 %, puisqu’une partie de la plus-value de cession (calculée donc prorata temporis) sera imposée au taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés (34,43 % actuellement).


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Mots-clés : Magazine 68, OCDE, OPCI, Siic