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Point de vue de Béatrice Guedj, Swiss Life Asset Managers

Comment le Covid-19 infecte l’hôtellerie ?

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L’OCDE a publié le 2 mars ses perspectives, pointant une croissance mondiale menacée par le Coronavirus. Pour l’ensemble des grandes économies, les chiffrages sont révisés à la baisse pour 2020 (-0,5 % à -1,5 %) avec l’anticipation d’un rebond de la croissance en 2021. L’institution décrit minutieusement les courroies de transmission de la diffusion du Covid-19, et cela via des chocs d’offre et de demande.

Stupeurs et tremblements

Dans cet article, l’idée est d’appréhender les effets du Covid-19, en immobilier et plus immédiatement sur le secteur de l’hôtellerie. L’arrêt du trafic aérien émanant de Chine et l’effet domino ont déjà violemment impacté les indices hôteliers asiatiques et européens. Ces derniers ont perdu respectivement 15 % et 18 % par rapport à leur point haut de décembre, bien plus que les indices synthétiques, comme l’Euro Stoxx en repli de 13 %. Ils sont aujourd’hui à leur niveau de début 2019. Le retournement plus marqué de l’indice européen s’explique par le fait que notre continent concentre 51 % de la demande mondiale en tourisme, soit la première destination en termes d’arrivées et de nuitées. L’Europe est doublement exposée : 1) via la globalisation des échanges, chaînes d’approvisionnement de l’industrie manufacturière, et de la demande de tourisme d’affaires ; 2) via une baisse de la demande de loisir engendrée par un fort ralentissement de la croissance mondiale.

Sources : Bloomberg, MSCI & SLAM

Chiffres clés des « Big 4 »

En 2018 [1], l’Europe (sans le Royaume-Uni) a enregistré près de 2 milliards de nuitées des non-résidents dans l’hôtellerie. Sans surprise, ce sont les quatre grands pays (Big 4) de la zone euro, Allemagne, France, Italie, Espagne, qui concentrent l’essentiel de la demande (près de 65 %).

L’Espagne, destination de loisir très prisée, concentre près de 19 % de la totalité des nuitées des non-résidents en Europe.

L’Allemagne et l’Italie, concentrent respectivement 17 % et 16 % de cette demande des non-résidents, à ceci près que l’Italie, moins exportatrice que l’Allemagne concentre une partie du tourisme de loisir, et non pas uniquement une demande en tourisme d’affaires, comme c’est majoritairement le cas en Allemagne.

Sources : Données nationales & SLAM

La France concentre plus de 12 % des nuitées des non-résidents visitant l’Europe, en liaison avec une demande relativement bien équilibrée en tourisme d’affaires et de loisirs. Toutefois, la demande « équilibrée » n’échappe pas aux cycles économiques, et encore moins en phase descendante. Pour le démontrer dans le cas français, notons d’abord la forte corrélation entre cycle économique de la zone euro et la demande de nuitées (R²=0.46 depuis 2014). Quand la croissance de la zone euro ralentit, celle de la demande des voyageurs domestiques et étrangers ralentit également. Comme illustrée graphiquement, l’élasticité des nuitées des non-résidents en France est beaucoup plus élevée que celle des résidents. Cette plus grande élasticité des nuitées des non-résidents à la croissance s’explique d’abord par la contraction simultanée des demandes de tourisme d’affaires de nos partenaires commerciaux, puis de la demande de loisirs. Dans le cas du Covid-19, ces contractions en affaires et en tourisme sont concomitantes.

La demande asiatique

Sources : Données nationales & SLAM

Rétrospectivement, la globalisation des échanges et l’effet richesse expliquent la part croissante des nuitées asiatiques au sein de l’hôtellerie européenne (hors Royaume-Uni) : près de 20 millions pour la Chine, 8,5 millions pour le Japon et 6,3 millions pour la Corée. Sans étonnement, ce sont les Big 4 qui concentrent l’essentiel de la demande (66 % du trio des nuitées de la Chine, Japon, Corée)[2]. L’analyse n’est pas totale sans calcul de la contribution de la demande asiatique à la demande globale de nuitées des non-résidents en Europe.

La demande asiatique en France représente 5,3 % du total des nuitées par les non-résidents contre 4,9 % en Italie, 3,3 % en Allemagne et 2,2 % en Espagne. La France et l’Italie sont ainsi plus exposées à l’Asie que l’Allemagne et l’Espagne[3], néanmoins ces pourcentages restent faibles. Les effets directs venant d’Asie, considérés en valeur absolue, sembleraient relativement contenus, mais c’est sans compter sur les effets indirects et la propagation du Covid-19, en plus d’un ralentissement déjà bien acté.

Le cas de la France

Sources : Données nationales & SLAM

Dans le cas français, et à titre d’exemple pour mesurer l’impact du retournement du cycle conjoncturel ou autre « choc » sur le secteur hôtelier. Le « choc » de la guerre commerciale sur l’industrie automobile allemande a été majeur : la hausse des tarifs douaniers explique la forte contraction de la production industrielle allemande, et par effet domino – en regard des relations commerciales avec la France, une forte baisse de la demande allemande sur le territoire français (R2=0.44).

En France, 68 % des nuitées sont européennes : 22 % britanniques, 13 % allemandes, 11 % belges, 11 % italiennes, 10 % espagnoles et 6 % suisses. Ce sont donc les indicateurs macro-économiques conjoncturels qu’il faudra surveiller post-Covid-19, pour déceler l’étendue du rebond du secteur.

Le sous-jacent immobilier

En Europe, le secteur de l’hôtellerie a été « l’enfant chéri » des investisseurs en quête de performance absolue, de diversification géographique – via les Big 4 – et sectorielle, en termes de demande et typologie d’actifs. Pour rappel, en 2018, la performance, selon MSCI, était de 11,7 %, bien au-delà du rendement moyen. Le « choc » du virus met en lumière un nouveau « cygne noir » et rappelle la dépendance du secteur à la complexité de la globalisation.

Dans le monde, l’hôtellerie est le premier secteur immobilier exposé au Covid-19, au-delà de la logistique spécialisée dans l’industrie manufacturière : au regard de la frilosité ambiante, les transactions seront à l’arrêt en attente de visibilité avec un « overshooting » potentiel, soit une hausse des taux de capitalisation sur certains marchés, notamment asiatiques !


[1] Les chiffres de 2019 ne sont pas encore disponibles dans leur intégralité, quant à la demande en nuitées d’hôtels.

[2] L’Italie est le premier destinataire de la demande chinoise, avec plus de 8 millions de nuitées en 2018.

[3] L’impact du Covid-19 sur l’Italie a été quasi immédiat en regard de l’interdépendance des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie manufacturière entre l’Italie du Nord et la province de Hubei, spécialisée en pièces détachées pour les véhicules automobiles. En Asie, la Corée du Sud est le pays le plus touché, au regard de sa spécialisation, et des activités d’import-export avec la Chine, aux secteurs de la téléphonie mobile et des objets connectés.

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