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Réenchantons la ville post-Covid !

Qui aurait cru qu’en 2022, nous serions brutalement confrontés à l’obsolescence de nos grandes villes ? Frappées de plein fouet par la crise sanitaire et menacées par le dérèglement climatique, souffrant d’une biodiversité mise à mal et d’une mondialisation échevelée, nos villes sont rattrapées par leurs errements. En tant que dirigeant d’une entreprise dont le rôle est de concevoir la ville de demain, je ne peux me résoudre à l’effondrement progressif de nos modèles urbains. Dans Réinventer la ville (Éditions Le Cherche Midi), je m’appuie sur des projets réalisés et des exemples concrets pour montrer au grand public qu’il est possible de réenchanter les villes que tant de citadins ont voulu fuir pendant les confinements.

© Benjamin Adam

Faire renaître le plaisir de vivre en ville grâce à la nature

Lors du premier confinement de mars 2020, 5 millions de citoyens ont déserté les villes. Un des enseignements de ce mini-exode est que les citadins ne supportent plus leur environnement artificialisé, congestionné et déconnecté du vivant. Alors, comment redonner l’envie de vivre dans la grande ville dense qui demeure, quoi qu’on en dise, la forme d’occupation humaine la moins impactante pour les milieux naturels et le climat ?

Sur notre planète hyper urbaine, les scientifiques ont démontré le besoin vital de contact avec la nature pour l’être humain : le cortex préfrontal, centre de commandement du cerveau, sursollicité de nos jours par l’usage des écrans, se met au repos quand l’être humain se trouve dans un environnement naturel. La nature favorise la créativité, la connexion émotionnelle et même la guérison de plusieurs pathologies. La pratique du shinrin-yoku, le « bain de forêt » cher au Japonais, entraîne une diminution du niveau de cortisol dans le sang, ainsi qu’une baisse de la tension artérielle et une activation du système nerveux parasympathique. Et un arbre à maturité peut évaporer quotidiennement jusqu’à 450 litres d’eau par jour, soit l’équivalent de cinq climatiseurs fonctionnant 20 heures par jour. Aménager des forêts urbaines à l’image de Cancun, Rio, Nantes et bientôt Paris, désasphalter et renaturer les rues et les places chaque fois que le sous-sol le permet comme à Montréal ou Barcelone, systématiser les cours oasis dans les écoles, faire ressurgir les anciens cours d’eau en ville comme à Séoul, systématiser les fermes urbaines verticales comme à Détroit et Singapour ; autant de propositions concrètes pour recréer ce lien avec la nature et réintroduire la biodiversité en ville.

Faire la révolution…dans la construction !

Bienvenue dans l’Anthropocène absolu ! Pour la première fois en 2020, l’amoncellement de matériaux transformés par l’Homme a dépassé la biomasse planétaire, soit le poids de toutes les formes de vie sur Terre. Béton, briques, métaux, asphalte et autres plastiques pèsent 1 154 gigatonnes, quand les plantes, animaux et humains pèsent 1 120 gigatonnes, selon une étude publiée récemment dans Nature.

Face à cette surexploitation des ressources naturelles, comment peut-on imaginer que la ville de demain privilégie encore les constructions neuves ? En réalité, 80 % de la ville de 2050 est déjà construite : la ville de demain est déjà là ! Il faut donc prioriser nos efforts de concepteurs urbains sur la transformation et la réactivation de l’existant, en matière de bâtiments comme d’infrastructures.

Les solutions techniques sont connues, les alternatives aux matériaux neufs et hypercarbonés existent, mais ces efforts ont parfois un surcoût et une complexité de mise en œuvre qui rebutent encore de nombreux acteurs immobiliers et de la construction, car rien ne les incite à enclencher la révolution industrielle de notre secteur.

© Benjamin Adam

Laisse béton !

Pour bien comprendre l’ampleur de la transformation à réaliser, il faut se pencher un instant sur le sujet du béton. Utilisé dans deux tiers des constructions de la planète, il est considéré comme le matériau minéral le plus consommé par l’être humain après l’eau potable. Pour fabriquer 1 m3 de béton, il faut environ 300 kg de ciment, 800 kg de sable, 1 050 kg de granulat et 175 l d’eau. Grand consommateur d’eau, ultra-gourmand en sable, conduisant à une surexploitation de 75 % des plages de la planète et une destruction des littoraux, amplificateur de catastrophes car il rend le sol imperméable et accentue les îlots de chaleur, sans oublier la pollution provoquée notamment par les carrières de calcaire : le béton est une réelle catastrophe écologique. Si des efforts sont réalisés par la filière pour en atténuer les impacts (bétons fibrés, bétons de terre ou de bois, ciment « à froid »…), on peut toutefois se demander si tout ceci n’est pas davantage une diversion pour ne pas affronter une évidence : le béton le moins polluant est le béton non produit.

Alors, que faire ? La bonne nouvelle est que de nombreuses solutions existent : systématiser le réemploi des matériaux comme le promeut l’association Circolab, privilégier les alternatives au béton notamment pour tous les bâtiments de moins de trois étages (soit plus d’un logement sur deux en France), refuser la démolition en dessous d’un certain pourcentage de matériaux non réutilisables, définir des approches standards de la transformation des bâtiments en fonction de leur structure et mode constructif, instaurer le « Bâti-Score », à l’image du nutri-score alimentaire, pour assurer une traçabilité environnementale de chaque bâtiment. Toutes ces solutions sont mises en œuvre quotidiennement par certains promoteurs et constructeurs pionniers. Il faut désormais lever les barrières normatives et économiques pour les généraliser à l’ensemble de notre filière.

La prise de conscience collective a eu lieu, en partie grâce au Covid, les transformations sont en cours et un mouvement général s’opère. Ces propositions concrètes peuvent changer la donne à condition que les professionnels et décideurs urbains les mettent en œuvre à grande échelle. Alors, réenchanter nos vi(ll)es ne sera plus une lubie d’urbanistes idéalistes, mais un nouveau programme urbanistique pour des villes durables et désirables.

Urbaniste de formation et diplômé de l’Essec Business School, Nicolas Ledoux est le président d’Arcadis France, société œuvrant dans la conception, l’ingénierie et le conseil pour la transformation des milieux urbains, avec un focus particulier sur la construction et l’environnement naturel. Il a publié en janvier dernier le livre Réinventer la ville (voir p.91), où il pense le réenchantement urbain dans un monde post-Covid.


Article issu du Hors-Série Logistique 2022 de Business Immo Global.

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