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Nathalie Kosciusko-Morizet


"Je veux rompre avec une politique exclusivement opportuniste et bâtir des perspectives de moyen terme pour tous les fonciers stratégiques de Paris"

Deux femmes. Deux candidates. Un fauteuil. Anne Hidaldo, première adjointe au maire de Paris chargée de l’urbanisme et de l’architecture et Nathalie Kosciusko-Morizet, députée de la 4ème circonscription de l’Essonne, ont bien voulu se plier au petit jeu du débat pour cette nouvelle édition de Business Immo Madame. Pour tout savoir sur leurs programmes et leurs visions pour Paris...


© NKM Paris
Business Immo Madame : Quelle est votre vision idéale de la ville ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Il y a tout juste 80 ans était créée la Charte d’Athènes. Fruit de la réflexion d’architectes et urbanistes brillants, sous l’impulsion du Corbusier, elle prônait une vision moderniste reposant sur la spécialisation des usages et des flux. En quelque sorte, une version urbaine du taylorisme. Cette Charte d’Athènes a donné naissance à quelques très grandes réussites françaises, dont La Défense, mais aussi à de catastrophiques échecs. Depuis, nous en sommes tous largement revenus. Pourquoi ? Peut-être parce que ce qui faisait défaut à ces morceaux de villes hyper-specialisés, c’était peut-être l’essentiel : la Vie. Ma ville idéale, c’est donc d’abord une ville vivante, une ville à vivre. C’est aussi une ville qui donne de l’énergie à ses habitants plutôt que de leur en prendre, une ville créative, qui invente à nouveau le monde de demain, une ville étonnante qui tout à la fois surprend et met en valeur son histoire et ses racines. La Ville que je décris là, vous le comprenez bien, est une ville qui se mélange : mélange des générations, mélange des origines sociales, mélange du logement et de l’habitat, mélange des cultures et des entrepreneurs… Pour faire cette ville là et surtout la réussir, il faut une méthode simple : partir de la réalité de chaque lieu, de son histoire, de son génie, et inventer des projets qui les mettent en valeur plutôt que les nier. Se mettre à l’écoute plutôt que d’imposer une vision stéréotypée et souvent sectaire. Sans cela, les greffes que représentent de nouveaux quartiers ne peuvent prendre. C’est là une responsabilité première de la Ville en sa qualité d’aménageur, une responsabilité trop souvent non assumée, le quartier des Batignolles en est un malheureux exemple.
BIM : Quelle est votre religion en matière de hauteur à Paris ?
NKM : Paris a pour symbole une tour et c’est encore une tour qui en est le bâtiment le plus mal aimé. Avec des quartiers comme Beaugrenelle ou les Olympiades, on dit même qu’il y en aurait 142 - honnêtement, je ne les ai pas recomptées ! Et pourtant dans le même temps l’Unesco s’est ému récemment de ce que Paris n’était pas faite pour les tours. Est-ce absurde? Je ne le pense pas. L’urbanisme de Paris est le fruit d’une longue histoire dont chaque époque a imprimé son style, enserré dans un urbanisme «à la Française», très écrit. Notre époque ne doit pas avoir peur d’y inscrire à son tour sa marque propre, ou, pour être plus précis, d’y créer cette marque. Ce qui nous est interdit, ce n’est pas la modernité, mais le suivisme. Est-ce que, donc, Paris sera plus créative, plus énergisante, plus étonnante si elle essaye de rattraper Londres et ses tours jetées sans logique, au gré des opportunités foncières, dans un tissu urbain volontairement désordonné ? Je ne le crois pas. Est-ce que Paris sera plus inventive, plus électrique, plus sensuelle si elle s’oppose aveuglement aux tours ? Pas davantage. Ce que je refuse catégoriquement, c’est une vision financière qui pousserait à faire la course à la grande hauteur pour vendre plus cher du foncier. Ce serait une logique mortifère pour Paris. La vérité, c’est que – en matière de tours comme d’aménagement en général – tout est d’abord une question de contexte urbain, et ensuite seulement une question d’objet. Prenez la Tour Triangle : elle s’insère mal dans son environnement car elle a été pensée comme une fin en soi. C’est pour cela que j’ai exprimé tous mes doutes sur la pertinence de ce projet – je note d’ailleurs que depuis, Anne Hidalgo, qui l’a longtemps défendu, s’est faite étrangement silencieuse. Au-delà du cas particulier de cette tour, j’ai un véritable doute sur la capacité d’un gratte-ciel isolé à s’inscrire de façon pertinente et contextualisée dans Paris.
BIM : Quelle sera votre feuille de route pour le logement à Paris ?
NKM : L’équipe sortante porte une lourde responsabilité dans l’accentuation de la crise du logement qui touche Paris bien plus que l’Ile de France et la France toute entière. Alors qu’il aurait fallu donner de l’air à un marché en surchauffe, Anne Hidalgo a conduit une politique de réduction du parc de logement privé et a ralenti considérablement le rythme de production de logement (en moyenne, à peine 3 000 nouveaux logements construits par an, contre 6 000 par an jusqu’à la fin des années 1990) par une réduction systématique des règles de constructibilité pour toutes les formes de logement autre que social. Deux outils employés sans discernement illustrent tout particulièrement cette politique : la préemption à outrance aux fins de production de logement social, et le recours aux enchères pour le choix des promoteurs sur les terrains publics. Le recours quasi systématique à la préemption a durablement perturbé le marché foncier parisien. Outre son coût très important pour la Ville, il a également placé les propriétaires comme les investisseurs dans une situation d’incertitude sur l’aboutissement de leurs opérations. La politique de mise aux enchères du foncier public telle qu’elle a été pratiquée, par exemple, aux Batignolles, a eu des conséquences aussi graves. Combinée à une proportion importante de logements sociaux, elle a conduit les promoteurs à une augmentation très forte des prix de sortie des logements. Une politique qui ne satisfait personne : pour les promoteurs, cela a engendré d’importants risques de commercialisation ; pour les Parisiens, c’est la capacité d’accéder à la propriété qui s’est dégradée, avec des prix de 13 000 € du m². Face à cette situation, mon premier objectif est d’inverser la courbe de la construction pour retrouver les niveaux d’avant 2001. Ce ne sera pas simple, mais je suis résolue à y arriver. Comment ? D’abord en redonnant confiance aux investisseurs. Cela passera par un arrêt des préemptions systématiques, et particulièrement un gel de celles destinées exclusivement à transformer du logement libre en logement social. Ensuite, en pratiquant une politique de maîtrise des prix de sortie : cela passe par une modération du prix de vente du foncier, et un travail sur un mix programmatique plus équilibré en faveur du logement libre et du logement en accession encadrée. En matière de logement social, je l’ai clairement dit, cette relance de la construction passera par un net ralentissement du rythme de production de logement social, et, symétriquement, par une augmentation de la production de logement intermédiaire et de logement en accession encadrée. C’est-à-dire des mesures qui permettent aux Parisiens qui ne sont ni aidés, ni aisés, d’accéder au logement dans des conditions normales.
BIM : Quelle sera votre politique d’attractivité de la capitale à destination des entreprises et des investisseurs immobiliers ?
NKM : D’abord un constat. En matière d’investissement immobilier tertiaire, pour l’instant, les investisseurs restent présents et continuent à s’intéresser à la plupart des quartiers de Paris. Ce n’est pas du tout la même chose pour ce qui concerne le marché résidentiel, à l’exception de certains produits particuliers tels les EPHAD, les résidences étudiantes ou le logement social. Il est intéressant de constater qu’il s’agit là d’une spécificité française puisque, dans le même temps, le résidentiel allemand déchaîne la passion des investisseurs autour de rendements faibles, dans un pays à la démographie durablement négative. Je crains en ce sens que les mesures envisagées dans le cadre de la loi Alur ne fassent que renforcer cette mauvaise spécificité française. Mais venons en à Paris. A Paris, pour moi il y a deux urgences : d’une part, stopper les préemptions arbitraires de la Ville, j’en ai déjà parlé ; d’autre part, donner aux investisseurs une perspective de long terme sur l’urbanisme parisien. Je veux rompre avec une politique exclusivement opportuniste, et bâtir au contraire des perspectives de moyen terme pour tous les fonciers stratégiques de Paris, en particulier le secteur Bercy-Charenton, celui de la Porte de la Chapelle, et plus généralement celui à reconquérir par la couverture du périphérique.
BIM : Quelle sera la politique foncière de la ville ?
NKM : Paris est pour l’essentiel faite d’un tissu urbain constitué. La fabrication de nouveau foncier constructible y est donc complexe. Anne Hidalgo a annoncé en grande pompe une volonté de construire qui correspond au triplement du rythme constaté sur la dernière décennie. On peut se demander pourquoi avoir attendu une année électorale pour impulser un tel objectif, on peut surtout se demander comment créer du foncier pour cet objectif. Interrogée sur cette question, elle se montre évasive : en surélévant les immeubles et en transformant des immeubles de bureaux en logement. La première option peut être ponctuellement pertinente, elle est cependant très dangereuse si elle venait à être utilisée de façon massive : veut-on vraiment construire des écoles, des collèges, des crèches et, pourquoi pas des places de stationnement sur les toits pour faire face à l’afflux de population que cela représenterait ? Cette solution n’est pas crédible à grande échelle. Sur la transformation bureaux-logement, c’est une idée saine si elle est, là aussi, utilisée avec une certaine modération. D’abord il serait dangereux de faire fuir les entreprises de Paris. Ensuite, il faudrait que la Mairie donne l’exemple. J’ai moi-même annoncé au mois d’octobre mes intentions en la matière avec un projet concret détaillé sur la transformation de la Cité Morland, dans le 4e arrondissement, une opération qui pourrait en tout point être exemplaire et sur laquelle l’équipe sortante voulait créer un hôtel de luxe… Si l’on souhaite générer un foncier abondant à Paris, il faut donc s’y prendre autrement : en s’attaquant aux dernières grandes réserves foncières de Paris qui sont aussi des sources de nuisance forte pour les parisiens : les faisceaux ferrés et le périphérique. Deux sujets sur lesquels Anne Hidalgo a indiqué qu’elle s’interdisait des politiques de couverture. Deux sujets sur lesquels ma vision est totalement différente. Bien sûr de telles opérations sont coûteuses et longues. Toutefois – l’opération de la ZAC Paris Rive Gauche lancée dans les années 1990 l’a prouvé – ces opérations peuvent dégager un bilan d’opération équilibré sur longue période et c’est bien là mon objectif : une couverture intégralement financée par l’opération d’aménagement qu’elle rend possible.
BIM : Quelle sera votre politique énergétique à Paris ?
NKM : Technologiquement, de grands progrès ont été réalisés ces dernières années en matière énergétique. Ces progrès ont progressivement été intégrés dans des normes de plus en plus exigeantes : RT 2012 aujourd’hui, RT 2020 demain. A Paris toutefois, l’objectif numéro 1 ne doit pas être la course à la performance technologique. C’est là du réalisme économique. Pourquoi ? Simplement parce que chaque pourcent de performance supplémentaire sur un immeuble RT 2020 coûte infiniment plus que l’amélioration de performance qu’il serait possible de financer sur le parc existant. Ce parc existant sera donc ma principale priorité, et puisqu’il faut commencer quelque part, c’est au travers de la rénovation du parc de logement de la Ville et de ses bailleurs sociaux. Dans le même temps, je souhaite que soient expérimentées des structures de tiers financement de la rénovation énergétique du parc privé logement, mais aussi tertiaire.
BIM : Comment voyez-vous Paris dans 5 ans ?
NKM : Je souhaite que Paris, dans 5 ans, soit à nouveau une source de fierté et d’espoir pour tous les parisiens et tous les grands parisiens. Qu’elle redevienne une ville qui attire les talents du monde entier, une ville où chacun sache qu’il peut s’épanouir et, pourquoi pas, transformer le monde. Une ville qui donne confiance et énergie. Une ville au service de ceux qui l’habitent. Mais certaines actions n’ont pas à attendre 5 ans pour être conduites et produire leurs effets. En matière économique, mes propositions sur le travail dominical peuvent être mises en œuvre dans le mois qui suit les élections. Idem pour ma proposition de doubler les investissements des business angels dans les start-up parisiennes. Idem en matière de stationnement : ma proposition de mobiliser le stationnement disponible la nuit dans les parkings des entreprises peut être déployée très rapidement pour produire 120 000 places de stationnement immédiatement utilisable le soir et le week-end par les parisiens. Idem pour l’extension des horaires des services publics.
BIM : Quelles sont vos priorités pour que Paris reste la plus belle capitale du monde tant pour ses habitants que pour les touristes ?
NKM : D’abord Paris ne doit pas demeurer une ville musée. Elle doit reprendre le cap de l’innovation et de la créativité. Cela passe tout particulièrement par la manière de fabriquer les nouveaux quartiers de Paris, sans méconnaître leurs racines et leur histoire, mais au contraire en exaltant leur génie propre. Cet état d’esprit, je voudrais tout particulièrement l’illustrer par la transformation que je veux opérer du quartier aujourd’hui enclavé entre les gares du Nord et de l’Est et la Porte de La Chapelle. Sur ce vaste territoire, je souhaite créer d’ici 10 ans une grande exposition internationale d’architecture, un quartier de référence pour le monde entier. Cette méthode de transformation des friches urbaines est éprouvée puisque c’est celle qui a été employée depuis plus d’un siècle maintenant en Allemagne sur des villes comme Berlin ou Hambourg.
BIM : Quels ont été les principaux freins et les principaux atouts que vous avez rencontrés dans l’exercice de vos fonctions d’élue en tant que femme ?
NKM : Aucun frein qui ne m’ait empêché de défendre mes idées, aucun atout qui ne m’ait facilité la tâche. La seule énergie de la politique, ce sont les convictions que je porte.

Cette nouvelle édition de Business Immo Madame intitulée "Où en sont les femmes ?" a entièrement été réalisée par les membres du Cercle des Femmes de l'Immobilier et son Cercle Complice.

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