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Point de vue de Nicolas Tarnaud, Financia Business School & Alain Bechade, Cnam

Immobilier, PIB et mutation de l’économie

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L’immobilier constitue une composante essentiellement domestique de l’économie puisqu’elle concerne les loyers et les charges perçus dans le pays concerné et intègre le financement et les investissements effectués par les non résidants. L’économie immobilière tertiaire joue un rôle prépondérant dans les économies des pays avancés. Les acteurs de cette classe d’actifs doivent à la fois intégrer la mondialisation financière, l’ubérisation de certaines professions et les nouvelles technologies. Bien que ces dernières n’en soient qu’à leurs balbutiements, elles vont modifier peu à peu l’évolution de la chaîne immobilière, en pleine mutation. Dans ce siècle à la fois urbain et « propre », les défis à relever seront nombreux et passionnants. Aussi, le marché immobilier d’entreprise devra-t-il appréhender différemment la macroéconomie ? En effet, comment expliquer en 2016 le niveau élevé des transactions immobilières et des créations d’emploi avec un produit intérieur brut de seulement 1,1 % ? Pour établir un PIB, il faut des prix. Aujourd’hui, on utilise les prix du marché. Par ailleurs, nous ne disposons pas de prix de marché pour le secteur non marchand. Nous les calculons à partir des coûts de production. Cette mesure ne prend pas en compte la qualité du service rendu. Aussi, il existe un décalage de trois ans entre les évaluations préliminaires et les résultats définitifs. À cet égard, faut-il prendre en compte uniquement le PIB comme indicateur économique ? Les résultats du PIB sont critiquables selon Joseph Stiglitz : « Les économistes, et parfois même les politiques, se concentrent sur les moyennes : ce qui arrive au PIB, ou au PIB par habitant. Mais le PIB peut augmenter et la situation de la plupart des gens se dégrader. C’est qui se passe aux États-Unis depuis un quart de siècle. » La mise en place de la commission Stiglitz a permis de mettre en exergue la question des indicateurs de richesse. Conséquence de ce nouveau débat, les investisseurs et les utilisateurs doivent-ils mieux appréhender la relation entre l’environnement économique et le marché immobilier ? Par ailleurs, les analystes doivent aussi intégrer de nouveaux phénomènes sociétaux comme la généralisation d’espaces collaboratifs au cœur des villes. La localisation et l’usage d’un immeuble sont fondamentaux dans la détermination de sa valeur. L’usage va devenir de plus en plus déterminant dans la fixation de la valeur locative et la valeur vénale. Dans un avenir proche, les immeubles tertiaires vont accueillir de plus en plus d’utilisateurs atypiques pour des durées d’occupation plus ou moins longues. En effet, les emplois de demain se trouvent dans les start-up à haute valeur ajoutée et non dans les multinationales dont les filiales se rachètent et fusionnent entre elles. Elles créent de la valeur mais génèrent peu de croissance économique. Comment aider les start-up à se développer durablement ? Si nous n’arrivons pas à les accompagner, les plus innovantes risquent de se délocaliser dans d’autres métropoles attractives et dynamiques. Pourtant ces nouvelles entités sont synonymes de croissance et de création d’emploi. Dans tous les cas, les acteurs de l’immobilier doivent intégrer cette nouvelle donnée dont les grandes villes françaises et étrangères devront tenir compte. Dès lors, quel serait le référentiel approprié pour mieux analyser et mieux anticiper la mutation de nos économies ? De nouveaux indicateurs doivent permettre à l’immobilier tertiaire de mieux cerner l’économie collaborative et mondialisée même si Joseph Stiglitz considère qu’il est difficile de calculer la plus-value de cette nouvelle économie : « Pour l’instant, Facebook, Airbnb, l’économie collaborative ne génère pas de gains de productivité aussi puissants que ceux de la révolution industrielle, et nous ne savons pas mesurer ce qu’elles apportent dans le produit intérieur brut. »

PIB, RNB et PPA ?

Le PIB est une mesure de l’activité économique qui évalue la production d’une nation sans intégrer l’ensemble de ses flux. L’OCDE le définit comme « la mesure de référence de la valeur des biens et services produits par un pays au cours d’une période donnée, minorée de la valeur des importations ». Cet indicateur représentant la valeur ajoutée par une économie nationale est fondé sur une croissance principalement quantitative et non qualitative. À propos du PIB, Robert Kennedy mentionnait que le « PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. […] Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. […] En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ». Le PIB a généralement progressé plus vite que le revenu réel des ménages dans la plupart des pays de l’OCDE entre 1995 et 2013.
Il n’est donc pas surprenant que ce résultat soit incompris par les populations. Dans ces conditions, le revenu national brut (RNB) peut-il devenir un indicateur alternatif au PIB ? Pour passer du PIB au RNB, on doit ajouter les flux de revenus (revenus d'activité, revenus de la propriété, subventions moins impôts sur la production) reçus de l'étranger et en déduisant les flux de revenus versés à l'étranger. Ainsi, le RNB mesure l’ensemble des revenus des acteurs économiques résidant sur le territoire national. L’Irlande a décidé de ne retenir que l’évolution de son RNB pour mesurer son développement réel qui prend en compte l’action de ses acteurs nationaux. En effet, l’Institut central des statistiques irlandais renonce désormais à utiliser le PIB comme indicateur économique de croissance de son pays.
Le RNB n’intègre pas la richesse créée au-delà des frontières avec notamment les effets de la mondialisation. Il sera effectif dès 2018. En effet, au 1er janvier 2016, le FMI estimait le PIB par habitant en France à 37 728 $ tandis qu’à la même date, le RNB par habitant en France était de 42 960 $. Aussi, avec le RNB, la création nette de richesses en France était supérieure à celle mesurée par le PIB. Aujourd’hui, ce dernier ne serait plus en adéquation avec le monde actuel.
Plus les catastrophes naturelles ou industrielles se produisent et plus le PIB est à la hausse en raison des travaux de reconstruction. De plus, avec une telle marge d’incertitude, la différence entre une évolution de croissance trimestrielle de 0,3 % ou de 0,5 % n’a pas beaucoup de signification en réalité.
Le PIB ne prend en compte ni les échanges, ni le travail bénévole, ni aucune autre activité générant du lien social via l’économie collaborative. En retenant le RNB plutôt que le PIB comme instrument de mesure, les prévisions de créations d’emploi auraient permis de mieux anticiper la demande de surfaces commerciales qui étaient en réalité supérieures à celles obtenues par la méthode « classique ».
En 2015, l’Irlande a connu un PIB en hausse de 26,3 %. L’économie irlandaise repose en grande partie sur un taux d’imposition sur les sociétés équivalent à 12,5 %. Cette fiscalité si attractive entraîne d’importants flux de capitaux des multinationales et intégrés dans le PIB. Ces flux ne correspondent pas à la richesse produite et redistribuée aux Irlandais. En effet, ces derniers n’ont pas vu le pouvoir d’achat augmenter d’autant. Bien que ce pourcentage soit élevé, nous devons le nuancer car il existe un réel paradoxe. Ce chiffre est à la fois vrai et économiquement faux.
On peut se retrouver à la fois avec un fort PIB, un taux de croissance élevé et une société rencontrant de nombreux actes d’incivilités et un environnement naturel dégradé. Le PIB n’intègre pas l’augmentation de l’espérance de vie (en France l’espérance de vie augmente d’un an tous les cinq ans), le niveau de l’instruction ou encore l’épanouissement individuel. Conséquence de la financiarisation, le PIB indique de plus en plus la croissance du secteur financier, elle-même déconnectée de la croissance et de l’économie réelle. Le PIB calcul la richesse produite dans le pays tandis que le RNB met l’accent sur la richesse produite par ses citoyens où qu’ils travaillent.
Il est donc difficile d’analyser et de prévoir les évolutions des marchés d’immobilier d’entreprise avec un instrument de mesure qui ne reflète plus la réalité économique du monde d’aujourd’hui. Est-il pertinent de comparer des valeurs immobilières entre pays ou entre métropoles et au sein d’un même pays sans apporter certaines corrections ? Tout voyageur sait que la valeur de 50 € varie selon le pays où il se trouve. L’indicateur de parité du pouvoir d'achat (PPA) est un taux de conversion monétaire qui permet d'exprimer dans une unité commune les pouvoirs d’achat des différentes monnaies. Par ailleurs, dans les comparaisons immobilières internationales, il conviendrait de corriger les prix annoncés par la mesure de la « parité de pouvoir d’achat ». À défaut, les chiffres et les classements seraient corrects, sensationnels dans certains cas, mais incorrects en réalité. À titre d’exemple, on ne peut pas comparer des prix immobiliers entre deux pays dont le pouvoir d’achat local relatif varierait de 1 à 10 (Alain Béchade et Richard Malle, Économie immobilière : approches comportementales et financières, Paris, Éditions Economica, 2016). Dans ces conditions, cette comparaison standard n’est plus réellement pertinente pour effectuer une analyse en toute objectivité. En s’appuyant davantage sur le RNB et le PPA, les acteurs de l’immobilier pourront mieux anticiper les évolutions des individus dans la société civile et professionnelle. 

L’analyse immobilière

L’approche classique repose généralement sur l’actualisation de revenus futurs pour évaluer un actif immobilier ou financier. Or, ce modèle ne prend pas en compte à la fois l’environnement socio-économique et les nouveaux risques qui peuvent survenir. L’ensemble de ces éléments impacte directement un marché immobilier, qu’il soit tertiaire, commercial ou résidentiel. L’immobilier d’entreprise va devoir tenir compte du phénomène actuel et durable des « start-up » et du « coworking ». Le cadre réglementaire est déconnecté de la réalité socio-économique.
Grâce aux avancées remarquables de la technologie et de la communication, les méthodes de travail évoluent dans cette économie collaborative et permettent de s’installer dans n’importe quel type d’immeuble. Le travail nomade peut aussi bien s’exercer dans un logement, un café, un entrepôt ou un bureau. Les classifications strictes entre les immeubles seront amenées à disparaître, tant en droit public qu’en droit privé, au grand regret des pouvoirs publics. Un choix doit s’effectuer entre l’aide à la construction d’immeubles dédiés (centre de start-up ou de coworking) ou bien l’aide à l’activité. Faut-il subventionner la construction d’immeubles dédiés à des activités évolutives voire volatiles, ou bien aider l’activité elle-même sans intervenir dans les choix immobiliers de localisation ou de nature de locaux ? Combien les « pépinières d’entreprises » ont-elles coûté aux contribuables locaux ? La nature de l’activité future qui se développe n’est pas dépendante de l’affectation légale et administrative d’un immeuble ni de la localisation espérée par les politiques.

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