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Point de vue de Philippe Le Trung, VIEWS+S

Immobilier d’entreprise : après la grande crise financière, quelles leçons retenir ?

Dix ans après la Great Financial Crisis, l’industrie de l’immobilier d’entreprise s’est transformée au moins dans trois domaines.

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Pour tous les acteurs économiques, il y a un avant et un après 15 septembre 2008, que les américains appellent Great Financial Crisis. Les États ont revu leur politique monétaire et leur régulation financière. Les banques ont largement amendé leurs business models. Les entreprises ont modifié leurs politiques d’endettement. Gouvernance et contrôle des risques sont devenus des priorités. Et pour l’immobilier d’entreprise, quelles sont les leçons à retenir pour ne pas répéter certaines erreurs ? 

L’objectif n’est pas de revenir sur cette crise financière sans précédent, ni sur ses causes – même si elles sont en grande partie immobilières car liées à la titrisation de dettes hypothécaires aux États-Unis. Mais d’analyser quelles ont été les conséquences sur l’industrie de l’immobilier d’entreprise et comment cette dernière s’est transformée.  

Trois leçons ont été tirées de la crise.

D’abord, l’effet de levier de la dette est moins utilisé pour investir dans l’immobilier d’entreprise. En 2007, beaucoup d’acteurs avaient fortement recours à la dette. En moyenne en 2007, quand un investisseur achetait un immeuble dont la valeur était de 100, il le finançait par au moins 60 de dettes. Les choses ont changé. Aujourd’hui, la moyenne pour un immeuble de 100 est plutôt 40 de dettes. De grands fonds internationaux n’ont pas du tout recours à l’effet de levier et investissent 100 % en fonds propres. Ainsi, aujourd’hui, le risque financier sur l’immobilier est moins élevé. C’est à la fois lié aux marchés de crédit qui prêtent moins pour chaque projet mais aussi aux investisseurs qui souhaitent prendre moins de risques. C’est une leçon majeure de la crise : les acteurs se sont assagis.

Ensuite, le critère de liquidité est dorénavant essentiel pour investir dans l’immobilier d’entreprise. Qu’est-ce que cela veut dire ? Les investisseurs veulent avoir des immeubles dans des marchés immobiliers profonds établis où, si une crise survient, ils pourront vendre ces immeubles. C’est pour cela que les quartiers centraux, les actifs de qualité, les baux longs et les grands locataires sont privilégiés. C’est également une leçon de la dernière crise : pouvoir céder des immeubles, c’est retrouver de la marge de manœuvre financière, générer des liquidités et également réduire son exposition. Le critère de liquidité s’est imposé pour toutes les classes d’actifs et il va continuer à être essentiel. 

Enfin, troisième et dernière leçon de la crise, les plates-formes de gestion sont plus importantes que les immeubles. Autrement dit, les managers sont plus importants que les patrimoines immobiliers quand survient une crise. C’est en effet une leçon essentielle de cette dernière et qui structure l’industrie immobilière aujourd’hui. Les immeubles et les indicateurs, ou autrement dit une stratégie immobilière et financière, c’est bien. Mais les grands institutionnels qui cherchent à investir dans l’immobilier préfèrent aujourd’hui se fier à une équipe, à une plate-forme de gestion qu’à une formule d’investissement. Avoir des équipes de haut niveau, c’est la possibilité d’adapter rapidement une stratégie, et c’est le plus important. C’est pourquoi aujourd’hui, les investisseurs choisissent des équipes de gestion plutôt que des produits immobiliers. Cela explique pourquoi l’industrie immobilière est tellement attachée au développement des talents.

La grande crise financière a donc eu comme conséquences de moins recourir à la dette, de privilégier les actifs liquides et d’investir dans le capital humain. Il est intéressant de relever que ces trois leçons de la crise sont de nature à minimiser les impacts d’une prochaine. 

Tout est bien qui finit bien ? Il y a tout de même pour nous un point d’attention. En effet, parce que le secteur s’est fortement développé, que de nombreux jeunes talents sont arrivés, et que les effets de la crise de 2008 ont principalement concerné les directions financières des investisseurs immobiliers, peu de professionnels ont véritablement vécu la totalité des impacts de la crise et il y a un risque d’amnésie. Oublier les impacts d’une crise passée, c’est s’exposer davantage à une future crise. Et cela, personne ne le souhaite… C’est aussi le propos de ce papier : se rappeler de ce qu’il s’est passé il y a dix ans pour ne pas refaire les mêmes erreurs. 


À propos de Philippe Le Trung

Philippe Le Trung est fondateur et dirigeant de VIEWS+S (pour Views and Solutions), une entreprise de conseil pour les dirigeants de l’industrie immobilière. Il a travaillé huit ans chez Covivio en tant que membre du comité de direction et en charge des marchés de capitaux et des M&A. Il a été auparavant pendant 12 ans analyste financier spécialiste des foncières cotées en Europe. Il est également chargé de mission à la FSIF, la fédération du secteur immobilier coté français.

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