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Point de vue de Béatrice Guedj, Swiss Life REIM

L’immobilier résidentiel explicatif de la victoire des démocrates ?

L’emploi est traditionnellement considéré comme la variable clé de la vie politique américaine, mais le logement pourrait avoir bousculé la donne. Il faut comprendre le « mouvement de justice économique et social… et l’accès à des logements abordables » déclaré par la jeune sénatrice Alexandria Ocasio-Cortez, à la lumière d’un changement structurel sur le marché de l’emploi et sur celui du résidentiel.

REITs américaines et analyse comparée © Sources nationales et Swiss Life REIM

Reprise de l’emploi sans croissance des salaires : verre à moitié plein, à moitié vide

La crise a entraîné une perte d’emplois de 8,7 millions pendant 25 mois, mais 9,4 millions d’emplois ont été créés depuis la fin de la crise. Le taux de démission est à un de ses niveaux les plus élevés (2,5 % des employés) et retrouve son niveau de 2006 : c’est le verre à moitié plein ! Quant aux offres d’emploi, elles ont atteint un pic historique (à près de 5 %), mais la croissance des salaires s’est décorrélée de sa tendance potentielle : c’est le verre à moitié vide ! La disruption technologique (6,5 % du secteur digital dans le PIB américain) et la consolidation dans certains secteurs seraient les vrais facteurs explicatifs d’une croissance des salaires contenue.

Disruptions sur le marché de l’emploi

En fait, « l’uberisation » sur le marché du travail a été massive, conséquence de l’innovation et de la digitalisation de l’économie : un rapport publié en 2015 par le General Accounting Office, et passé trop inaperçu, montre que le travail partiel a augmenté de 35,5 à 40,4 % de 2006 à 2010. Identiquement, le taux des autoentrepreneurs qui avait décliné de 1 point de 1995 à 2005 à 58 %, s’est radicalement abaissé à 48 % en 2015, car les traditionnels autoentrepreneurs ou travailleurs indépendants se sont transformés en salariés à temps partiel : l’émergence de plates-formes en ligne, B to B et B to C, s’est faite au détriment des autoentrepreneurs par cannibalisation directe de leurs marchés. Cette contractualisation a été synonyme d’un abaissement massif de leurs honoraires.

Enfin, la globalisation et ce que les Américains appellent le « choc chinois » a généré une forte consolidation et concentration dans de nombreuses branches de l’industrie. Résultat, les salariés sont face à un unique demandeur d’emploi, en position de force pour fixer les salaires : les entreprises sont « price setters », tandis que les salariés et syndicats perdent leur « bargaining power ». Les entreprises sont dites en position de monopsone*, pour faire le parallèle avec le monopole sur le marché des biens et services.

Autre point à noter, les salaires horaires ont augmenté plus rapidement que les salaires hebdomadaires. Cette observation, mise en relation avec l’accélération des offres d’emploi (aujourd’hui à un niveau historique), un taux de démission élevé qui suggère une pénibilité, et une précarisation de l’emploi aux États-Unis, notamment via la hausse du temps partiel. Certes, depuis la dernière crise, le PIB est en hausse de 20 % par rapport à son point bas, mais le salaire réel moyen n’a augmenté que de 10 % tandis que le salaire réel médian réel reste 10 % inférieur à son niveau d’avant crise.

Conséquences sur le marché résidentiel

Cette fragilisation du revenu des Américains explique que la solvabilité des ménages a été très fortement entamée. Le taux de propriétaire est en baisse à 64,4 %, en deçà de 4 points comparativement à son niveau d’avant 2008. Pour les ménages, il n’est plus question d’arbitrer entre louer ou acheter en fonction d’un « revenu permanent », mais de minimiser ses coûts fixes, dont le logement, pour rester compétitif sur le marché du travail. De fait, le secteur locatif résidentiel aux États-Unis est devenu une alternative clé depuis la crise : aujourd’hui, 10 millions de ménages sont locataires – dont 6 millions avec un revenu moyen compris entre 75 000 et 150 000 $. Ces locataires sont très différenciés, qu’il s’agisse des cols « blancs » ou « bleus », leur objectif est de rester localisés près des bassins d’emplois, au sein des métropoles, sources de stabilité des revenus à long terme.

D’ailleurs, les fortes performances globales des foncières américaines, les Real Estate Investment Trust (REITs) résidentielles – 22 entités pour une capitalisation boursière de près de 150 Mds$, soit 14 % de la capitalisation des 226 REITs – sont le reflet de ce changement structurel sur le marché de l’emploi : en moyenne, la performance globale des REITs en logement a été de 15 % p.a contre 12 % p.a pour l’ensemble du secteur des REITs, au bénéfice du compartiment actions des grands investisseurs institutionnels, dont les fonds de pension américains eux-mêmes. Cet écart de performance entre REITs s’est accéléré depuis 2014, parallèlement à une accélération de la croissance économique américaine. Au sein du segment résidentiel, ce sont les 15 REITs spécialisées en appartements (75 % de la capitalisation résidentielle) qui affichent les performances globales des plus élevées. Aussi, au-delà des foncières spécialistes d’appartements, celles des maisons préfabriquées pour revenus modestes et moyens ont aussi le vent en poupe : les trois REITs spécialistes sur ce segment, avec une capitalisation totale de près de 18 Mds$, ont enregistré une performance globale de 20 % par an depuis 2009. Le marché américain compte aujourd’hui près de 16 millions de maisons individuelles à louer contre 12,8 avant crise, témoignage d’un changement de paradigme. Pour l’investisseur, petit épargnant ou institutionnel, la distribution reste confortable : les foncières spécialistes du marché locatif ont surperformé les autres foncières résidentielles, et elles ont servi en moyenne un rendement réel supérieur à celui des bons à dix ans du Trésor américain. Enfin, derniers indicateurs clés du marché locatif, les loyers ont augmenté de plus de 60 % depuis 2009 dans l’ouest et de 45 % dans le nord-est des États-Unis, soutenus par la conjugaison d’une demande croissante et d’une différentiation horizontale de l’offre, fonction des revenus des locataires et de leurs aspirations.

Révolution aux États-Unis, le logement est devenu habitat au service de la compétitivité et du capital humain et plus uniquement une composante du patrimoine des ménages. Le « working class housing », le logement intermédiaire, est devenu la préoccupation prioritaire aux États-Unis, mais également au sein des métropoles européennes. La compétitivité se construit aussi autour de la ville, avec un secteur résidentiel locatif pour porter la croissance et maintenir l’équilibre social nécessaire à une dynamique vertueuse. Le résidentiel locatif devrait pouvoir initier un dividende social en cohérence avec les grands enjeux de la finance responsable.

 

* Quand une seule entreprise peut fournir du travail.

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