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Pierre Laffitte, le génie français

Il incarne la mémoire de Sophia Antipolis mais il ne s’inscrit pas dans le passé. L’inventeur de la technopole azuréenne, formidable expression du génie français, veut projeter sa création dans le futur.

© MatLet

La création

En 2019, Sophia Antipolis fête ses 50 ans, l’âge de la sagesse. Pourtant, en 1969, entre Paris et le désert français, il fallait être un peu fou – ou visionnaire – pour imaginer un Quartier latin au milieu des champs, une sorte de Saint-Germain-des-Prés scientifique qui regrouperait écoles, chercheurs et industriels. Sans le savoir, Pierre Laffitte, le fondateur de Sophia Antipolis, vient de créer le concept de fertilisation croisée. Il lui faut maintenant convaincre ministres et bailleurs de fonds du bien-fondé de son idée. Dans sa quête, il emportera l’adhésion de deux hommes clés : Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l’Industrie du général de Gaulle et François Bloch-Lainé, ancien dirigeant de la Caisse des dépôts et consignations et  surtout grand argentier du Crédit lyonnais.   

Le développement 

Envisagée à Orsay puis à Orléans, cette cité de la sagesse naîtra finalement sur les terres de Pierre Laffitte, près de Saint-Paul-de-Vence, dans les pins et la garrigue, à Sophia Antipolis. L’ingénieur a repéré une zone de 10 000 ha sans électricité, gaz ni eau, bloquée par la DDE. « Votre projet est osé et difficile. Mais je connais l’homme. Je vous ouvre une ligne de crédit illimité dans la durée et dans le volume, sans hypothèque », lui dit en substance François Bloch-Lainé. Mais les débuts sont ardus. Alors que Pierre Laffitte pense son projet sur les rails, il doit faire face aux rodomontades de quelques géologues qui maintiennent dur comme fer que la zone retenue est inconstructible. C’est sans compter sur la force de persuasion de l’ingénieur des Mines qui démontre le contraire grâce à la construction d’une plate-forme en béton armé pour répartir les charges sur une grande surface où l’on peut donc construire. « Je commence alors à parcourir le monde pour faire du lobbying. » De Boston à Palo Alto, le sénateur va clamer partout que l’avenir est à la concentration de matière grise et non plus de matières premières. Une petite révolution…

La vocation 

Pierre Laffitte a une autre ambition : il veut faire de Sophia Antipolis un campus écologique des plus vertueux sur la protection de l’environnement. Cet argument, tel un porte-étendard, va sans doute jouer à plein dans la première décision d’implantation. Une réservation de 10 ha pour construire le centre de recherche de l’École des mines sonne comme un coup d’envoi. Le transfert du Ceram (devenue Skema) de Nice à Sophia prend des airs de consécration. Dans les deux ans qui suivent, les grandes entreprises jouent le jeu. Tant et si bien qu’une 2e zone d’aménagement concertée de 80 ha est lancée. La greffe Sophia Antipolis prend vite et bien. La cité internationale de la sagesse, des sciences et de la technique devient même une marque à l’international. De Paris à Berkeley en passant par Stanford ou Bruxelles, on ne jure que par la « fertilisation croisée » comme disent les Américains en français. De son côté, Pierre Laffitte veut continuer de faire de Sophia Antipolis une utopie réaliste. « Le premier investissement sur le parc aura été de construire le théâtre de verdure et de mettre de la culture au cœur de son développement grâce à la Fondation Sophia Antipolis. Cette dimension est indispensable au concept. Nous avons accueilli le premier concert de Rostropovitch hors d’URSS, la première représentation de Barbara Hendricks en France, les Marionnettes de Shanghai, les Tambours de Kyoto. La technopole n’a pas été assez loin dans son ambition culturelle car les communes trouvaient que la culture relevait de leurs domaines », regrette le sénateur qui n’est pas homme à mâcher ses mots.

À la rescousse de l’emballement climatique  

À 95 ans, et pour les 50 ans de Sophia Antipolis, Pierre Laffitte s’autorise à faire le bilan de la technopole. « Pour cet anniversaire, je rêve d’une mobilisation générale en faveur du climat et pour lutter contre l’emballement climatique et la montée des eaux. Le constat est alarmant : une accélération de la fonte des neiges combinée à la montée des eaux et c’est la moitié de l’humanité qui est submergée, avec pour conséquence des milliards de migrants climatiques », s’inquiète l’homme de sciences. « Si Sophia Antipolis veut continuer à perpétuer une image de pointe, elle doit se poser cette question et se donner les moyens d’y apporter des réponses. Hier, Sophia Antipolis, c’était le Quartier latin aux champs. Demain, la lutte contre l’emballement climatique pourrait en être une des forces vives », appuie Pierre Laffitte. À deux conditions : que des moyens soient affectés à un financement massif dans le cadre du Plan climat emmené par Pierre Larrouturou et que les innovations développées en France restent en France. « Nous risquons la concurrence mondiale. Tous les pays regardent Sophia avec envie et ont l'ambition de développer des choses analogues. C’est une incontestable réussite. » À coup sûr, l’ancien président de la Fondation Sophia Antipolis n’a rien perdu de sa fougue d’hier. « Si on ne continue pas à se développer dans le monde moderne, alors on régresse », glisse-t-il en guise de conclusion.