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Point de vue de Laurent Escobar, ADÉQUATION

Réduction du Pinel : avis de tempête sur le logement locatif neuf

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L’arrêt du Pinel en zone B2 s’inscrit dans une politique délibérée de transfert de l’investissement locatif des particuliers vers les institutionnels. La stratégie de l’État ne manque pas de bon sens, mais ce virage stratégique, mal négocié, sera brutal pour la promotion immobilière et pour la production de logements locatifs libres dans le neuf.

Depuis le 15 mars 2019, les opérations immobilières dans les communes situées en zone B2 ne sont plus éligibles au dispositif Pinel. Pour ces dernières comme pour les promoteurs immobiliers concernés, cette mesure, vécue comme un abandon de l’État, est une pilule difficile à avaler.

En 2017, le Pinel a contribué au financement de près de 67 000 investissements locatifs soit 54 % des ventes de la promotion immobilière. Ce chiffre pourrait être inférieur de moitié en 2020. C’est ce que semble indiquer, si elle se confirme sur l’année, la chute brutale des mises en vente de logements neufs au premier trimestre 2019 (-37 %).

En d’autres termes, l’arrêt du Pinel en zone B2 conduirait à une baisse de production de 30 000 à 35 000 logements neufs dès 2020.

À y bien regarder, cependant, l’arrêt des dispositifs de défiscalisation des particuliers investisseurs est loin d’être absurde si on l’envisage du point de vue du marché et du parc locatifs. Ce sont les conditions de mise en œuvre de cette politique qui sont contestables.

Les limites de la défiscalisation des particuliers investisseurs

Les dispositifs de défiscalisation successifs ont eu un effet d’entraînement indéniable sur la production de logements neufs, mais rencontrent aujourd’hui au moins deux limites.

D’abord, une grande partie des logements ainsi financés sont revendus à la fin de leur période d’amortissement, soit douze à quinze ans, à des accédants à la propriété. Ce mode de financement des logements locatifs privés introduit donc un biais dans le renouvellement du parc locatif puisque ce sont les logements les plus récents qui en sortent les premiers. En conséquence, le parc locatif libre s’accroît moins vite que les besoins ; totalisant 21,7 % des résidences principales en 2006, il n’a progressé qu’à 23 % dix ans après. Et l’âge moyen de ce parc, et corollairement sa vétusté, ne cessent d’augmenter.

Ensuite, les ménages solvables grâce au Pinel deviennent une espèce en voie de disparition : dans les zones tendues, les prix ont augmenté bien plus vite que les loyers ; pour les candidats à l’investissement de la classe moyenne, les plus nombreux mais les moins fortunés, la défiscalisation ne suffit plus à boucler leur plan de financement.

Le relais attendu des institutionnels

La solution à ces deux problèmes paraît toute trouvée : il faut que les institutionnels publics et privés prennent le relais des particuliers. C’est en partie là-dessus que misent les gouvernements successifs, depuis 2014.

Qu’est-ce en effet que le logement locatif intermédiaire, créé par la loi ALUR, sinon la possibilité offerte aux institutionnels de produire des logements visant le même segment de marché que le Pinel, dont les loyers sont plafonnés et sous conditions de ressources ? Les fonds alloués à CDC Habitat ont amorcé le processus et, en 2018, plusieurs grandes entreprises sociales de l’habitat auront, ensemble, obtenu l’agrément de déjà plus de 10 000 logements intermédiaires.

Pour le logement locatif libre, la stratégie de l’État est moins délibérée : il s’agit plutôt de prendre acte du fait que tout concourt à un retour des institutionnels sur le marché immobilier résidentiel dont ils se sont désengagés massivement au début des années 1990. La rentabilité de leur classe d’actifs de prédilection, celle du tertiaire, s’est dégradée, les bureaux étant sujets à une obsolescence accélérée, tandis que la faiblesse des taux d’intérêt rend inversement le logement, gourmand en capitaux, plus accessible qu’hier.

La stratégie de l’État, qui nous rapproche d’ailleurs du fonctionnement d’autres marchés européens, est donc parfaitement rationnelle… à un “détail” près.

En 2020, les 30 000 à 35 000 logements locatifs neufs qui ne devraient  plus être acquis par les particuliers du fait de la suppression du Pinel en B2, et de la chute des rentabilités locatives ailleurs, ne le seront pas encore par les institutionnels. D’où une transition douloureuse à venir.

À quelle échéance les investisseurs institutionnels produiront-ils 30 000 à 35 000 logements neufs par an ?

Pour le logement intermédiaire, selon nos estimations,il faudra attendre 2021 pour atteindre un rythme de croisière compris entre 15 000 et 20 000 logements par an.

Pour le logement libre, les échéances sont moins nettes et sans doute plus lointaines. D’une part, les institutionnels devraient prioriser le rachat de patrimoine existant. D’autre part, ils restent très peu présents dans le neuf, avec seulement 3 000 acquis en 2018.  Une manière pour eux d’acquérir rapidement plus de logements neufs sera d’entrer au tour de table de grandes opérations d’aménagement. L’État les a déjà incités, avec succès, à se positionner dans les groupements immobiliers en charge de la réalisation des 3 100 logements des villages olympiques de Paris 2024.

À quel rythme ce modèle se déploiera-t-il sur d’autres opérations métropolitaines d’envergure ? Cela dépendra notamment de la capacité des aménageurs à mobiliser des partenaires avec lesquels ils n’ont aujourd’hui pas l’habitude de travailler. Un accompagnement de l’État pour accélérer ce changement ne serait sans doute pas superflu, en direction des collectivités et des aménageurs comme des investisseurs concernés.

Erreur de timing et défaut de communication

Pour l’heure, force est de constater que ce “manque à produire” délibérément orchestré ne tombe pas au meilleur moment. Le marché vient d’entrer dans la phase décroissante de son cycle, à quoi s’ajoute une période pré-électorale connue pour son effet “coup de frein” sur les mises en chantier. Peut-on suggérer que ces circonstances auraient pu être anticipées ?

En outre, quel qu’en soit le moment, ce changement de politique impose aux promoteurs un sérieux bouleversement dans leur organisation. Pour maintenir leur chiffre d’affaires (à supposer que les investisseurs soient prêts à les solliciter), la part des ventes en bloc qui n’a représenté que 20 % de leur chiffre d’affaires en 2018 devra s’élever à au moins 35 % en 2021. Et pourquoi pas 50 % à plus long terme. À cela rien d’impossible, mais une annonce plus nette de la stratégie de l’État aurait sans doute permis aux intéressés de s’y préparer plutôt que de la subir.

Mots-clés : Loi ALUR, CDC Habitat, Pinel
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