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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE

Changer ou disparaître : l’heure du choix pour les hypers

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Depuis dix ans que l’on parle de la fin du modèle de l’hypermarché, que s’est-il passé ? Quasiment rien. Il a poursuivi son déclin sans innovation majeure. Il est grand temps de changer radicalement de logiciel, sinon gare à la casse : dix ans de plus seront dix ans de trop. Et l’immobilier est l’une des clés de la transformation à mener.

Ce n’est pas la retraite de Russie, mais de Chine. Après Auchan, c’est au tour de Carrefour de se désengager de l’Empire du Milieu où la conquête des consommateurs ne s’est pas passée comme prévu. 

Le repli sur l’Hexagone n’est pas pour autant une promenade de santé. Ces deux géants de la grande distribution alimentaire française sont en pleine restructuration. Auchan a perdu 1 Md€ en 2018 et annoncé la vente 21 magasins. Carrefour a lancé un projet de rupture conventionnelle collective pouvant générer jusqu’à 3 000 départs et veut faire 2,8 Mds € d’économies. 

De l’expansion au downsizing

Durant plusieurs décennies, ces enseignes se sont développées à grande vitesse, exportant leur modèle au-delà des frontières pour aller chercher de la croissance dans les régions sous-équipées du monde, multipliant en France les formats de magasins pour mailler toujours plus les territoires.

Cette logique de volume et de part de marché a trouvé ses limites : la consommation n’augmente plus aussi vite, le territoire est largement équipé et la concurrence des e-commerçants s’accroît sur le non alimentaire. Parallèlement, un nouveau combat se joue sur la livraison, avec des alliances, des investissements et de nouveaux postes de coûts.

L’une des réponses auxquelles les distributeurs sont désormais contraints consiste à faire baisser les charges d’exploitation en cédant les magasins les moins rentables, ou en réduisant les surfaces de vente pour concentrer leur offre sur l’alimentaire.

Nouvelles missions pour la distribution

Carrefour, qui annonçait dès l’année dernière une telle démarche de downsizing, a aussi fait de la « transition alimentaire pour tous » sa nouvelle raison d’être, sa nouvelle mission. 

La formule n’est pas anodine, à l’heure où chacun devient conscient que l’alimentation est au croisement de multiples enjeux sociaux, environnementaux, culturels, d’aménagement du territoire, de santé publique, etc. 

Elle ouvre des horizons nouveaux. Il est clair, par exemple, que les grands groupes de distribution, par leurs choix stratégiques et leur poids sur le marché de l’alimentation, sont de taille à accélérer la transition écologique de la France en soutenant l’agriculture bio, en incitant les industriels à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits et à réduire la production de déchets à la source.

Quel avenir pour les hypermarchés ?

Tout cela ne fait que confirmer ce qu’on sait depuis longtemps, sans en avoir nécessairement tiré toutes les conséquences : 

  1. Que l’hypermarché, en tant que modèle économique basé sur la consommation de masse, est appelé à disparaître.
  2. Que, à défaut de le réinventer en transformant les sites existants, la casse sociale, financière et urbaine (friches) sera considérable au cours de la prochaine décennie.

Mais aussi :

  1. Que sa vocation alimentaire, loin d’être élémentaire, peut être repensée sous le prisme de nouvelles valeurs, de plus en plus élevées aux yeux des consommateurs.
  2. Que l’avenir du commerce se joue sur la mixité de lieux mêlant les fonctions résidentielles, économiques, touristiques, sociales, etc.

À partir de ce constat, on peut soit rester dans la logique comptable du pur downsizing, qui conduit à une casse plus ou moins rapide tout simplement parce qu’il n’apporte pas d’alternative, soit adopter un point de vue pragmatique : quitte à perdre de la valeur, que ce soit en transformant les actifs sur la base d’un projet qui prévoit d’en retrouver.

L’immobilier jouera forcément un rôle moteur dans cette transformation. Voyons-le non comme un poste de réduction de coûts, mais comme un capital à faire fructifier.

Proximité. Toutes enseignes confondues, les hypermarchés maillent finement le territoire, en particulier les territoires périurbains où le mouvement des Gilets jaunes a montré qu’ils étaient des repères et des lieux de socialisation très importants (c’est sur leurs parkings que le mouvement a commencé avant de se déplacer sur les ronds-points). 

Outre sa fonction sociale, ce maillage peut servir d’infrastructure pour la vente de produits alimentaires en circuit court, pour l’organisation d’une logistique urbaine de courte distance décarbonée…

Bâtiments. Un bâtiment qui peut être partiellement réemployé pour d’autres activités a de la valeur, même si ces activités ne dégagent pas le même rendement locatif. Ce réemploi a une vertu écologique puisqu’il fait faire l’économie une construction neuve bien plus émettrice de CO2. Les toitures des hypermarchés se prêtent bien à l’accueil de centrales de production d'électricité photovoltaïque ou de jardins, appelés à se développer rapidement dans les années à venir en réponse à la crise climatique. Sans oublier le capital symbolique (image) ainsi généré.    

Foncier. En raison de leur utilité dans la vie quotidienne, les hypermarchés peuvent servir de points d’ancrage à d’autres fonctions sans étalement urbain. Ils disposent généralement d’emprises foncières importantes, susceptibles de s’insérer dans les projets urbains des villes. 

Finalement, le patrimoine immobilier des exploitants d’hypermarchés est un levier extraordinaire pour modifier radicalement, au réel comme au symbolique, la place qu’occupe ce concept cinquantenaire dans la cité. 

La transformation a indubitablement son coût, accompagné d’un niveau de risque élevé, mais plus personne aujourd’hui ne peut reculer : tous les acteurs, pas seulement les enseignes, sont au pied du mur et doivent faire face au même enjeu : la transformation radicale, ou la disparition.

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