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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE France

Peut-on encore vendre du rêve à une enseigne ?

Si les enseignes sont en train de réinventer un avenir au commerce physique, c’est au prix de stratégies lourdes et d’une rationalisation de leurs réseaux encore largement en chantier, ce qui les rend particulièrement adverses au risque. On ne saurait les convaincre d’ouvrir un point de vente sans déployer des données et arguments d’une objectivité irréprochable.

© Sergios / Adobe Stock

Les enseignes sont pour la plupart engagées dans le passage à l’ère omnicanale, ce qui les conduit notamment à retourner en ville, se fixer sur les lieux de passage, se faire héberger dans des corners, bivouaquer dans des pop up stores, etc… En cela leurs stratégies sont bien alignées avec celles des propriétaires de pôles de flux, comme la SNCF

C’est donc une bonne nouvelle. Pour autant, les enseignes ne sont pas aujourd’hui dans une recherche tous azimuts de sites.

Leurs priorités sont souvent ailleurs, dans la supply chain notamment, et dans la restructuration de leurs réseaux existants. Ce qui les rend très sélectives et, en ces temps difficiles, très dures dans leurs négociations avec les bailleurs : des aménagements intérieurs payés, un loyer 100 % variable, des conditions suspensives draconiennes sont devenues des exigences courantes.

Une approche rationnelle du risque 

Ce qui détermine leurs choix d’implantation, c’est leur appréciation du risque. Elle se situe quelque part entre j’y vais à condition que… (les pôles de flux avérés), il faut voir (les sites en développement), fuyons (les sites en déclin). Elle est parfaitement rationnelle, comme l’illustrent ces trois exemples : 

  1. Les gares, grandes ou moyennes, ont tout pour plaire : des visiteurs nombreux, réguliers, tous les jours. Le risque est faible si le concept commercial est bien ciblé.
  2. Les nouveaux quartiers, s’ils sont bien conçus, pourront demain leur procurer, toutes proportions gardées, des conditions analogues : cela reste virtuel, donc risqué. 
  3. Les rues en déprise commerciale sont la preuve même d’une insuffisance de flux que même un loyer bradé ne saurait compenser. Le risque est ici extrême.

Les porteurs de projets immobiliers commerciaux ou les villes moyennes en déclin doivent-ils se décourager ? Non, car le commerce ne disparaîtra pas des villes : il s’installera dans les nouveaux quartiers bien conçus. Il prospérera dans les villes moyennes, une fois réorganisé et recalibré.

Mais il faut pour cela répondre aux préoccupations des enseignes, ce qui revient à intégrer leur appréhension du risque. 

Objectiver la présence des flux

Le cas relativement facile des gares indique clairement la direction à prendre : minorer le risque, c’est objectiver la présence des flux.

Retail & connexions, cette branche de la SNCF qui gère et développe les gares de voyageurs, s’appuie de plus en plus sur des mesures de flux pour définir la valeur de ses emplacements commerciaux. C’est sur cette base objective, qui n’exclut pas le dialogue, bien au contraire, que sont définies les conditions locatives. Elles atteignent parfois des valeurs qui font rêver.

Il fait peu de doute que cet indicateur, qui ne cesse de s’affiner, s’imposera tôt ou tard comme base de discussion principale dans les négociations immobilières.

Dans les cas où une mesure des flux actuels n’est pas possible ou significative, il faut en passer par une projection.

Une projection est tout sauf une incantation basée sur des “peut-être”.. Les enseignes ne (re)viendront, que lorsqu’elles seront convaincues d’un niveau de risque acceptable, autrement dit lorsqu’elles adhéreront à un projet dont les retombées sont objectivables selon leurs propres critères.

  • Dans les projets urbains, l’aménageur et/ou l’opérateur immobilier ne peuvent pas faire l’économie d’une projection des flux, en quantité et en qualité. Il faut justifier la population attendue jusque dans ses segments les plus fins (résidents, salariés, touristes…) puis calibrer les surfaces, dans les activités pertinentes, en fonction des dépenses de chaque segment de clientèle.
    Ils doivent ainsi se donner les moyens de démontrer à chaque enseigne que l’environnement et la taille du local sont parfaitement adaptés à son concept particulier de point de vente. C’est la seule façon de partager avec elle la même conviction quant à sa valeur.    
  • Dans les centres-villes en déprise, à une échelle différente et avec un jeu d’acteurs nettement plus compliqué, la démarche est au fond exactement la même : il s’agit de démontrer le plus objectivement et quantitativement possible comment le projet de redynamisation va attirer, concentrer les flux et adapter l’offre immobilière et commerciale à la demande. 

Une fois encore, l’analyse des stratégies des enseignes invite les acteurs de l’immobilier commercial à repenser et affûter leurs outils pour renforcer leur crédibilité.

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