Business Immo, le site de l'industrie immobilière
Maurice Feferman & Daniel Habasque, Swiss Life Asset Managers France

« Décret tertiaire » : une évolution juridique bienvenue… qui comporte encore quelques incertitudes !

© Olivier Le Moal / Adobe Stock

Publié le 25 juillet 2019 au Journal officiel et entré en vigueur le 1er octobre dernier, le décret n°2019-771, communément connu sous le nom de « décret tertiaire », constitue autant une évolution prudentielle salutaire en matière d’efficacité énergétique qu’un défi pour les professionnels de la gestion d’actifs immobiliers.

Cette nouvelle réglementation à laquelle est assujetti l’ensemble des bailleurs et preneurs de bail, propriétaires et occupants, de « tout bâtiment hébergeant exclusivement des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1 000 m2 », s’inscrit assez fidèlement dans le sillage de la loi Grenelle 2, de la loi sur la Transition énergétique et de la loi Élan : le décret instaure l’obligation d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale, dans l’immobilier d’usage tertiaire. L’objectif global ? Une réduction des consommations d’énergie finale d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040, puis 60 % en 2050, par rapport à 2010.

Deux méthodologies concernant les objectifs

Concrètement, dès 2021, propriétaires et locataires assujettis devront communiquer les consommations énergétiques propres aux biens concernés sur la plate-forme « Operat », pilotée par l’Ademe. Celle-ci permettra de publier les consommations finales et d’en assurer le suivi pour atteindre les objectifs définis. Les objectifs pourront être déterminés selon deux approches, au choix : après avoir choisi une année de référence entre 2010 et 2019, les propriétaires pourront opter pour un objectif de réduction des consommations d’énergie annuelles, exprimé en pourcentage par rapport à l’année de référence. Autre possibilité, définir des objectifs de consommation en valeur absolue exprimée en kWh/m2/an. Dans ce cas, les cibles devront être fixées au regard des niveaux de consommation standards observés dans les bâtiments neufs de même type, pour des indicateurs d’intensité d’usage spécifiques à chaque catégorie de référence.

Le décret offre la latitude nécessaire pour une « modulation » éventuelle des objectifs, dans différents cas de figure, qu’il s’agisse par exemple de variations climatiques nécessitant une révision, de cas de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales (risque de pathologie, enjeux patrimoniaux appelant des modifications architecturales, servitudes réglementaires…) ou en cas de « disproportion » économique (niveau de temps de retour brut sur investissement).  

Les moyens dont disposent les bailleurs et les occupants pour remplir, à terme, ces objectifs sont multiples. Trois leviers sont essentiels. D’une part, la mise en œuvre de travaux d’optimisation énergétique, d’autre part l’amélioration de la maintenance et de la gestion technique du bâtiment.

Le troisième catalyseur est probablement le moins onéreux : il s’agit, par des efforts de pédagogie, d’accompagner les usagers des biens dans une démarche de modification des comportements et réflexes de consommation.   

Certaines modalités pratiques encore floues

En dépit de plusieurs rebondissements au fil des dernières années, la genèse de ces nouvelles dispositions réglementaires s’est progressivement « coconstruite » entre pouvoirs publics et professionnels de l’immobilier. Une démarche saine et inclusive sur des exigences d’efficacité énergétique devenue incontournable, qui n’empêche toutefois pas quelques zones d’incertitude. En effet, plusieurs aspects du décret seront précisés ultérieurement par arrêté, à l’image des catégories de référence, des valeurs absolues à retenir et du calcul du « temps de retour brut sur investissement », corrélé aux prix énergétiques.

Surtout, le décret ne précise pas comment pourraient se partager, en détails, les actions, les responsabilités et les charges financières liées à l’optimisation énergétique, entre propriétaires et locataires usagers du bien. Qui paiera quoi ? Selon quelles modalités et grille de calcul ? Il est légitime que les locataires participent à l’effort du bailleur pour tirer parti du bénéfice énergétique généré in fine. Le partage et la transmission des informations sont aussi un réel enjeu pour que les objectifs puissent être atteints : en pratique, quelle sera l’obligation pour les locataires de communiquer leur consommation réelle ? Et répondre précisément à ces questions est d’autant plus complexe lorsque le bâtiment est détenu en copropriété !

Il est souhaitable de voir ces problématiques levées prochainement. Quoi qu’il en soit, à la lecture de ce décret, l’esprit partenarial « gagnant-gagnant » et systémique, entre toutes les parties prenantes, sera la clé du défi énergétique duquel nous sommes tous comptables.

Business Immo