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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE France

Crise des modèles ou paralysie des organisations ?

© Panama / Adobe Stock

« L'hypermarché est dépassé »

« L’e-commerce va tuer le commerce physique  »

« Les grands projets commerciaux nuisent à l'intérêt public »

Ces affirmations, qui se fondent sur des tendances, alimentent un discours alarmiste sur une crise du commerce assimilée à une crise de modèles.

Et si la réalité était plus nuancée ? Et si, au fond, ce que l’on prend communément pour des vérités n’étaient que des arbres cachant la forêt de l’évolution ?

Fin de l’hypermarché ou syndrome du Titanic ?

Ainsi, quand Michel Edouard Leclerc déclare que le modèle de l'hypermarché n'est pas en crise, il n’applique pas la méthode Coué. De fait, depuis 2007, les performances des enseignes de type coopératif – Leclerc, Intermarché… – n’ont cessé d’augmenter quand celles des groupes intégrés à structure capitalistique – Carrefour, Auchan, Casino… – ont continûment baissé. Ce qui est en crise, ce ne serait donc pas le modèle de magasin, mais un certain modèle de gestion, qui l’empêcherait d’évoluer. 

« Chez les indépendants, explique Michel-Édouard Leclerc dans une interview au Figaro, les intérêts du manager et de l’actionnaire sont alignés : ils cumulent les deux fonctions et ne sont pas révocables. Tous les jeudis, nos adhérents se retrouvent en région et se disent ce qui a marché et pas marché. Ils font part de leurs erreurs, afin que les autres ne les refassent pas. Dans les groupes intégrés, on met six mois à se rendre compte des erreurs, car les managers craignent pour leur carrière. » 

Le syndrome du TItanic, en somme, dont le naufrage est imputable à la chaîne de commandement et non au modèle du paquebot transatlantique.

Amazonisation ou entêtement utilitariste ?

De même, quand le sociologue Vincent Chabault fait « l'éloge du magasin contre l'amazonisation du monde » (voir notre article), comment ne pas le suivre ? Si le magasin n'est pas mort, et ne mourra pas, c'est parce qu'il fait partie des lieux importants de socialisation, d'appartenance à un groupe, d'affirmation d'une identité et de valeurs. Autant de « bénéfices symboliques » précieux, démontrés, que l'e-commerce n'apporte pas, et qui peuvent être développés en magasin par l'accueil, le service, l'ambiance, l'engagement pour des causes, etc. 

Les magasins menacés sont ceux qui ne savent pas effectuer ce pas de côté, restent enfermés dans une fonction utilitaire et, par là, dans une concurrence frontale avec l’e-commerce dont ils ne pourront pas sortir vainqueurs.

Responsabilité ou reddition politique ?

Autre échelle, autres menaces : dernièrement, deux grands projets dûment concertés avec les pouvoirs publics, EuropaCity et la Gare du Nord, se sont vu politiquement remettre en cause  à un stade très avancé. 

Le métier d’homme ou de femme politique n’est pas le plus facile, convenons-en, surtout sous la pression des échéances de mandat et d’une expression « démocratique » de plus en plus conflictuelle. Certes, il n’est jamais trop tard pour s’apercevoir qu’on a eu tort – si c’est bien de cela qu’il s’agit. 

Mais cette gestion anxiogène des projets, qui fait se demander si nos élus assument leurs responsabilités ou reculent devant elles, tend à « ajouter de la crise à la crise ». 

S’il faut évoluer, évoluons ! Mais faisons-le autant dans les processus de décision que dans la conception des projets. Dans ce monde complexe, épargnons si possible à nos projets l’alternative peu réjouissante soit d’un accouchement aux forceps, soit d’une fausse couche. 

Répondre à une crise – mais il faudrait plutôt parler de transition – ce n’est pas jeter les modèles par-dessus bord. C’est d’abord questionner son organisation pour lever les obstacles à une nécessaire évolution.

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