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Point de vue de Laurent Escobar & Simon Goudiard, Adéquation

Généralisons le bail réel, vite !

Avec le concept de bail réel, nous disposons d’un outil extraordinaire pour traiter les grands enjeux actuels du logement. À condition d’aller plus loin que le dispositif OFS/BRS qui commence lentement à se déployer.

Jean-Luc Lagleize © Wikimedia

Le bail réel solidaire (BRS) devrait connaître dans les prochaines années une certaine progression. Il faut s’en réjouir, car son marché potentiel est substantiel auprès des accédants concernés. On voit enfin se multiplier les offices fonciers solidaires (OFS), organismes officiels qui achètent les terrains et attribuent les BRS.

Le bail réel, une solution à fort potentiel contre la hausse des prix du foncier

Dans l’expression « bail réel solidaire », il y faut distinguer « bail réel » et « solidaire ».

Bail réel : le titulaire d’un bail réel possède un droit (dit réel) sur le bâti, pour une durée allant de 18 à 99 ans. En complément de l’achat de ce droit, il verse une redevance au propriétaire du terrain sur lequel se trouve la construction. La durée se « recharge » à chaque fois que le bail est transmis ou cédé. 

Ce montage, dit dissociatif parce qu’il dissocie le bâti du foncier, lisse le coût du foncier pour l’acquéreur sur une longue durée. 

Ce type de montage n’est pas nouveau (bail à construction, bail emphytéotique, etc.). La véritable nouveauté réside dans le caractère rechargeable du bail réel, qui assure sa pérennité à très long terme.   

Solidaire : le BRS est dit « solidaire » parce qu’il est soumis à des conditions de ressources, mais il est aussi anti-spéculatif. En effet, le prix du bail réel est encadré lors de toutes les transactions successives ; quant au foncier, il n’est plus jamais en vente, donc pas de surenchère possible.

Voilà donc un outil, qui mériterait d’être déployé à grande échelle : pourquoi le limiter à l’accession sociale ? Pourquoi, aussi, faire peser la charge d’acquérir les terrains sur les seuls deniers publics, ceux des collectivités, des établissements publics fonciers ou des organismes HLM, seul habilités à créer des offices fonciers solidaires ?

Le député Jean-Luc Lagleize, dans son rapport au Premier ministre sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction de novembre 2019, a proposé d’étendre largement l’usage des baux réels au secteur libre. 

Des offices fonciers à capitaux mixtes, de type SEM, seraient habilités à consentir des baux réels, solidaires ou non. Les prix de cession des baux pourraient être encadrés ou non, suivant le contexte et les risques de spéculation. 

Trois raisons de développer massivement le bail réel

Le député Lagleize justifie sa proposition en disant que le seul dispositif BRS/OFS ne suffira pas à enrayer la spéculation foncière et qu’il faut agir de façon plus massive.

C’est exact, mais nous y voyons au moins trois autres raisons. 

Il se trouve que ces trois raisons sont trois enjeux majeurs auxquels la filière du logement doit répondre urgemment, mais s’en montre à peu près incapable.

  1. Loger tout le monde, y compris les ménages qui se trouvent dans les angles morts des politiques publiques d’aide au logement.
  2. Mettre fin aux dysfonctionnements liés aux prix du foncier sur l’ensemble des territoires (pas seulement en secteur « tendu »).
  3. Opérer la rénovation énergétique massive du parc et stopper l’artificialisation des sols.

Dans ces trois cas, lisser le coût du foncier sur la longue durée permet de consacrer plus de moyens financiers aux enjeux à traiter à court terme.

Précisons juste ce qui mérite sans doute de l’être, à travers quelques exemples non exhaustifs des possibilités offertes par le bail réel.

a) Dans les territoires peu attractifs, où la spéculation foncière n’existe pas, les investisseurs sont rares, ce qui accélère le vieillissement du parc et aggrave le défaut d’attractivité du territoire. Diminuer la charge du foncier bâti dans les centres-bourgs pourrait relancer le marché en permettant aux acquéreurs de consacrer plus de moyens à l’amélioration du confort et de la qualité des logements dans les immeubles à réhabiliter.

b) Il paraît évident que la rénovation énergétique du parc ancien est trop complexe et coûteuse pour être assurée par les seuls copropriétaires. Le dispositif Denormandie, qui permet de défiscaliser des travaux dans l’ancien locatif, encourage déjà la réhabilitation. Mais, limité aux investisseurs et à certaines communes, il ne sera efficace que sur une petite partie du parc.

Inversement, l’existence d’un propriétaire unique en la personne (morale) d’un office foncier permet d’imaginer une situation bien plus favorable à la conduite de plans de travaux. Pourquoi ne pas lisser leur coût au même titre que celui du foncier, mais aussi profiter d’une expertise technique et juridique qu’un office foncier pourra développer avec infiniment plus de moyens qu’une copropriété ?

c) Même chose en ce qui concerne la non-artificialisation des sols : qui mieux qu’un propriétaire foncier agissant dans l’intérêt général – nous y reviendrons – pour assurer le recyclage permanent de ses actifs et participer ainsi à la lutte contre l’étalement urbain ?  

Agir vite et massivement en mobilisant les capitaux privés et l’épargne populaire

Last but not least, à ces trois raisons s’ajoute une quatrième : le besoin en financement. 

Les trois enjeux que nous venons de rappeler n’ont pas à être financés exclusivement par un argent public qui, faut-il le rappeler, manque. La participation d’investisseurs institutionnels aux offices fonciers publics/privés appelés de ses vœux par le député Lagleize est évidemment une bonne idée. Il faut agir vite, et il faut agir massivement.

Une autre source de financement pourrait d’ailleurs être mobilisée : celle de l’épargne populaire. Sur le modèle du Livret A, mais plus attractif, pourquoi ne pas créer un produit de placement dont la collecte serait fléchée vers le logement produit ou rénové par l’intermédiaire d’offices fonciers ? 

Une gouvernance public/privé à encadrer par la loi

Le projet d’offices fonciers à capitaux publics/privés exposé dans le rapport Lagleize a suscité pas mal d’oppositions, au motif qu’il risquerait de « libéraliser » sinon de pervertir la politique du logement, prérogative de l’État et des collectivités.

Est-ce justifié ? Pas vraiment. Il suffit de doter ces offices fonciers d’une gouvernance appropriée, dans laquelle chacun joue son rôle. Aux acteurs publics celui de diriger les investissements vers les enjeux stratégiques de leur territoire, aux acteurs privés celui de veiller à leur rentabilité et à leur sécurité, étant entendu qu’une stratégie spéculative serait de toute façon contraire aux statuts de l’office. 

La question de la gouvernance est évidemment centrale, et devra être encadrée par une loi, mais elle ne paraît pas excessivement compliquée.   

Précisons enfin que de tels offices fonciers, conçus pour disposer d’une force de frappe importante, ne sont pas nécessaires partout. Ils seront particulièrement utiles dans les grandes métropoles, où les besoins dépassent largement les capacités d’investissement des collectivités. Il peuvent aussi avoir du sens à une échelle régionale, voire nationale, pour bénéficier d’économies d’échelle. On pense à un office foncier adossé à Action Logement ou à CDC Habitat pour mener des politiques ciblées vers les cœurs de ville ou vers la rénovation énergétique de l’ancien. 

Le bail réel ne doit pas être limité à l’accession sociale dans les zones tendues. Il a tout pour faciliter la création d’un nouveau statut d’occupation, entre accession et location, conciliant désir d’habiter et capacité d’épargne, pour tous les ménages, dans le neuf comme dans l’ancien, et sur tous les types de territoires.

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