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Point de vue de Philippe Le Trung, VIEWS+S Consulting

Et maintenant, quelle prime de risque pour l’immobilier ?

L’immobilier qui a été depuis dix ans avec le private equity, la classe d’actif la plus performante et la plus attrayante pour les épargnants et les grands investisseurs institutionnels, va-t-elle continuer de faire la course en tête ? On peut mettre fin dès maintenant au suspens, nous n’avons pas la réponse mais nous proposons une nouvelle manière de regarder la prime de risque de l’investissement immobilier pour ce monde d’après.

© Nuthawut / Adobe Stock

Crise sanitaire, crise économique et crise financière. La seule certitude aujourd’hui est le niveau sans précédent… des incertitudes. Le contexte actuel est marqué par de nombreux drames humains et personnels, mais on ne peut éluder les questions concernant le monde d’après. Qu’est-ce que cette crise va changer ? Quels sont les nouveaux comportements des utilisateurs ? Quels impacts économiques de ce confinement mondial ? Que voudront dire ces changements pour l’immobilier ? Et quand il s’agit d’investissement immobilier, il y a deux interrogations qui sont, somme toute, assez liées : quel appétit pour la classe d’actifs immobilier ? Et à quel prix ? 

« Une prime de risque historiquement élevée par rapport aux taux d’intérêt ! » Cela a été l’argument massue depuis dix ans. En effet, depuis 2010, toutes les analyses sur la valorisation de l’investissement immobilier ont la même conclusion. Les taux d’intérêt sont bas. La hausse n’est pas d’actualité. La différence entre les taux d’intérêt sans risques (en France l’OAT 10 – obligations assimilables du Trésor, à 10 ans) et le taux de rendement immobilier (loyers nets/prix d’acquisition), est à un niveau élevé. Donc on achète. En effet, quand on parle de prime de risque élevée, c’est positif. Et quand il s’agit des meilleurs bureaux du Quartier central des affaires, une prime élevée signifie une surrémunération élevée. Donc, plus la prime de risque immobilier est élevée et plus l’immobilier est attractif. Avec des taux longs négatifs et des rendements proches de 4 % pour les très bons actifs en 2018, la prime de risque des meilleurs actifs était d’au moins 400 points de base. Du jamais vu !

Nous n’avons jamais été complètement convaincus par cette analyse. Deux arguments nous rendent prudents sur l’analyse de l’attractivité de l’immobilier par la prime de risque par rapport aux taux longs.

D’abord, les loyers ne sont pas payés par l’État (comme les coupons des obligations), mais par des locataires qui n’ont pas la même solidité financière. En effet, ils appartiennent à des secteurs différents, ont des activités plus ou moins cycliques et sont soit de grands groupes, soit des PME. Il faut donc, quand on regarde l’immobilier, prendre en compte le risque de crédit du locataire qui, sur les marchés obligataires, se mesure aussi avec une prime. C’est vrai qu’avec un contexte économique porteur et des investisseurs institutionnels qui s’intéressent avant tout aux grandes signatures, ce risque a été très faible ces dernières années.

Ensuite, l’immobilier est un actif réel qui subit l’obsolescence, nécessite des Capex et dispose d’une valeur résiduelle qui est assez différente de sa valeur d’investissement (contrairement aux obligations remboursées au pair). Notons aussi que les loyers sont indexés. Tous ces éléments sont ignorés quand on compare un immeuble et une obligation.

Nouveau contexte, nouvelles règles

Alors que tout semble indiquer que nous allons rentrer dans une période de récession économique, les taux d’intérêt resteront bas, pourquoi ne pas rester dans la même logique ? Prime de risque élevée est synonyme d’immobilier attrayant pour les investisseurs. Fin de l’histoire ? Pas vraiment.

Bien entendu, un premier réflexe est d’introduire un nouveau risque pour l’immobilier. On observe avec la crise du coronavirus que les revenus sont moins certains qu’initialement envisagé. Face à des difficultés, les locataires peuvent différer ou remettre en question des loyers et les pouvoirs publics peuvent même réglementer une suspension des loyers. C’est un risque nouveau, mais il est exceptionnel et ne nous semble pas remettre durablement en cause la valorisation de l’investissement immobilier. Nous ne pensons pas que c’est une raison structurelle pour que le prix de l’immobilier d’investissement change.

Nous pensons que la prime de risque va devoir être analysée d’une façon très différente dans ce monde d’après.

D’une part, le taux sans risque, celui des obligations d’État, ne sera pas aussi linéaire et prévisible que par le passé. Les moyens titanesques mis en œuvre par les banques centrales et pas les États vont avoir comme conséquence des endettements importants et par conséquent des politiques fiscales peu orthodoxes. Le risque pays va s’accroître, d’autant qu’une recomposition des équilibres entre grandes puissances semble inéluctable dans le monde d’après. Ainsi, nous sommes convaincus que le taux sans risque sera une référence moins prégnante pour l’investissement immobilier. 

D’autre part, la récession économique à venir va mécaniquement se traduire par des sujets de solvabilité et de résilience des locataires. Le soutien des États qui souhaitent éviter des faillites ne sera pas permanent et la récession est synonyme de difficultés pour les entreprises. Dans le monde d’après, il faudra davantage prendre en compte dans les taux de capitalisation, le risque locatif, que ce soit le risque de crédit que le risque de vacance. C’est certainement un élément d’une ampleur nouvelle.

La découverte des prix

Tous ces éléments militent pour une période de plusieurs trimestres que l’on qualifierait dans le monde anglo-saxon de « Price Discovery ». Les taux sans risque seront moins solides et perdront peut-être un peu de leur pertinence comme l’alpha et l’oméga de la valorisation de l’immobilier, ce qui devrait laisser davantage de place aux valeurs métriques, ou à des comparaisons par rapport aux valeurs de remplacement ou de bilan promoteur. Le risque de défaut va devoir être davantage anticipé. On a toutes les raisons d’assister à un écartement plus prononcé des rendements. Sans compter que, dans le monde d’après, on peut imaginer une accélération de la mise en place des nouveaux usages avec comme conséquence des baux plus courts, davantage de loyers variables et un besoin de services accru. C’est pourquoi nous pensons que comme indicateur de valorisation relative, la prime de risque sera moins pertinente. Pourtant, regarder cette prime de risque va sans aucun doute constituer un nouvel outil d’analyse du risque et le risque est une clé de lecture d’un monde en crise. La prime de risque est morte ! Vive la prime de risque !