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Point de vue de Thomas Gault & Hakima Wahibi, EY Transformation et Performance Durables

Décret tertiaire : au-delà de la contrainte, saisir les multiples opportunités de création de valeur

© Olivier Le Moal / Adobe Stock

Le décret tertiaire qui impose de réaliser des travaux d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments pourrait apparaître aux yeux des bailleurs comme des preneurs comme une contrainte malvenue en ces temps de crise sanitaire et économique. Les opportunités sont pourtant nombreuses de tirer profit des investissements qui vont être rendus nécessaires.

Complexité

L’arrêté du 10 avril 2020 a récemment précisé la méthodologie de définition des objectifs de consommation d’énergie finale à atteindre selon les typologies d’activités. Si le décret accorde une certaine flexibilité en proposant une modulation des objectifs, il impose simultanément la réalisation d’études techniques et financières approfondies permettant de les justifier.

La récupération des factures énergétiques de l’année de référence représente aussi un défi pour une partie des acteurs, alors que l’administration pourra exiger que lui soient fournis, sur simple demande, ces justificatifs. Mais les acteurs pourront également répondre à l’obligation selon des seuils décennaux exprimés en valeur absolue, qui sont attendus dans un prochain arrêté.

Au-delà des contraintes de formalisme, le décret reste volontairement flou sur le partage des responsabilités entre le propriétaire et le locataire. Les propriétaires auront en effet la possibilité, lors de la rédaction de nouveaux baux ou des renouvellements, de préciser les obligations de chaque partie, à la fois sur la transmission des données et l’implémentation des plans d’action. Ils pourront également introduire des exigences sur la performance énergétique des surfaces louées. À ce titre, les baux verts et les contrats de performance énergétique représentent des solutions garantissant la réduction des consommations d’énergie. Les propriétaires devront impérativement anticiper cette répartition des rôles afin d’éviter tout contentieux et, quelles que soient la méthode et l’organisation retenues, mettre en place une démarche structurée et des outils pertinents afin d’identifier les actions d’amélioration énergétique de leurs bâtiments et atteindre les objectifs visés.

Nécessité

Au-delà des sanctions financières qui s’appliquent en cas de non-transmission des données ou de non-atteinte des objectifs, les assujettis ne répondant pas à l’obligation se verront d’abord mis en demeure d’établir un plan d’action. À défaut d’exécution dans les six mois, la sanction selon le dispositif « name and shame » sera inévitable. L’impact réputationnel auprès des parties prenantes en découlant représente en effet un moyen assez dissuasif, particulièrement pour les acteurs de taille importante.

Avec près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre généré par le secteur du bâtiment, la conformité au décret tertiaire est avant tout une nécessité afin d’atteindre les objectifs énergétiques et carbone nationaux.

Opportunité

À court terme pourtant, les efforts en matière d’efficacité énergétique et les gisements d’économies associés devraient pouvoir contribuer à compenser en partie la perte de chiffres d’affaires ou de loyers.

À moyen terme, l’appel de l’ensemble des parties prenantes à revoir l’échelle des priorités passera nécessairement, pour le secteur, par une meilleure prise en compte des enjeux liés au climat. Les acteurs les plus matures ayant déjà défini une stratégie énergétique et carbone pourront travailler à l’adéquation de leur trajectoire avec les enjeux de l’Accord de Paris ou d’un scénario limitant l’augmentation des températures à 2 °C, voire 1,5 °C. Pour les autres, le décret tertiaire représentera une première porte d’entrée vers une démarche d’amélioration continue et une contribution sur le long terme aux efforts de lutte contre le changement climatique.

Le décret tertiaire a donc tout d’une excellente opportunité pour combiner conformité et création de valeur. Les besoins de rénovation énergétique qu’il génère contribueront d’ailleurs indéniablement à la création d’emplois dans le secteur. Architectes, constructeurs, bureaux d’études techniques et conseillers en efficacité énergétique, autant d’acteurs qui seront impliqués dans la démarche. En renforçant la nécessité d’un pilotage plus fin des consommations et des économies d’énergie réalisées, le décret constituera également un accélérateur pour l’innovation et la digitalisation du marché des solutions de performance énergétique.