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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE France

Quatre raisons de croire au rebond du commerce

Durant le confinement, seuls les commerces dits essentiels sont restés ouverts. D’autres ont pu compter sur leur organisation digitale et logistique pour rester actifs. Essentiel et serviciel ont ainsi été synonymes de résilient. Face à la crise non pas sanitaire, mais de consommation que nous traversons également, quelles sont les qualités qui permettront au commerce de rebondir vers un modèle plus robuste ? Observé sous le prisme du consommateur, le commerce dispose de quatre tremplins pour rebondir en s’adaptant à de nouveaux enjeux.

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1. Le consommateur est prêt à reprendre la main sur ses choix

On peut juger que le confinement a contraint la consommation par le simple fait que les commerces étaient fermés et que tout finira par redevenir comme avant. On peut au contraire penser que le confinement a marqué la fin d’une époque consumériste soutenue par la publicité et les techniques sophistiquées de persuasion développées à sa suite.

Nous penchons clairement pour la seconde hypothèse. Durant le confinement et dans les semaines qui ont suivi, les performances des enseignes ont été très contrastées suivant les marchés. Les commerces alimentaires de proximité, les librairies, les magasins de jouet, de bricolage, les jardineries et les services relevant du soin et du bien-être ont clairement tiré leur épingle du jeu. 

À l’inverse, la chute du textile, par exemple, s’est accélérée. Faut-il le déplorer, ou faut-il y voir la sanction de stratégies délétères de la part des enseignes : trop d’émiettement, pas assez de segmentation de l’offre, trop d’importations à risque en provenance de pays asiatiques, trop de magasins…

Un rééquilibrage des activités commerciales par domaine de consommation ne serait pas inédit, bien au contraire. En matière de dépenses commercialisables, le principe des vases communicants est une réalité de toujours : certains marchés se saturent quand d’autres émergent. La nouveauté est ici que c’est le consommateur qui, devenu arbitre de ses choix, est à la manœuvre. La baisse drastique de pouvoir d’achat engendrée par la crise économique post-covid devrait évidemment accentuer ce phénomène, et ainsi contribuer à un assainissement du marché qui était de toute façon nécessaire.   

2. Les aspirations « sociéto-environnementales » croissantes du consommateur ouvrent de nouveaux horizons

Nous savons que de plus en plus de consommateurs voudront consommer plus local, plus qualitatif, plus sain, moins polluant ou moins énergivore, moins superflu, moins obsolescent.

Ces qualités ont un coût qui ne peut qu’élever le niveau des prix à la production. Les marchés évolueront donc plus ou moins vite selon que le consommateur sera prêt à consommer moins à dépense égale, à acheter des articles de seconde main, ou encore à reporter une partie de son budget sur les loisirs, la restauration ou le service à la personne, qui sauf exception répondent bien aux critères susévoqués, même s’ils sont vulnérables aux épisodes de crise sanitaire.

À terme, les commerces et services bien positionnés en regard de cette évolution sont logiquement gagnants. Cela renvoie pour partie à leur activité, mais aussi et peut-être surtout à la stratégie plus ou moins volontariste des enseignes.

3. Le commerce saura se réinventer en devenant plus serviciel

Nous savons que le consommateur aspire à un commerce plus serviciel, et la crise sanitaire nous a montré combien ce service pouvait aussi être vital pour le commerçant. C’est donc à la fois un axe de développement et un critère de robustesse, dont nous avons déjà abondamment parlé dans notre précédent article : Le digital : hier ennemi, aujourd’hui sauveur du commerce.

Là encore, ce service est générateur de coûts, que ce soit en termes de digitalisation, de logistique ou d’accueil en magasin. L’objectif, pour le commerçant, est de parvenir à rentabiliser ces investissements, y compris s’il le faut en répercutant une partie du coût sur le consommateur. La barre est haute : la livraison gratuite et la gestion des retours, par exemple, plombent encore les comptes d’exploitation.

Il ne s’agit pas d’imiter Amazon, il ne s’agit pas non plus d’ajouter une ligne de coût, toutes choses égales par ailleurs, et de croire au miracle. L’innovation de rupture passe forcément par un changement de modèle économique, c’est-à-dire un rééquilibrage des comptes d’exploitation.

Pour notre part, nous ne doutons pas que le commerce saura trouver le bon modèle, surtout si le consommateur, comme nous le pensons, devient plus conscient de la valeur des choses et préfère acheter mieux que plus, et surtout si, en outre, ces services permettent d’aller chercher de nouveaux consommateurs, dans une nouvelle approche des territoires.

4. Les territoires aujourd’hui délaissés ou maltraités pourraient offrir bientôt de nouvelles opportunités

La crise sanitaire a pour beaucoup rendu désirable la vie, sinon à la campagne, du moins plus proche de la nature et à l’écart des hauts lieux d’intensité urbaine. Elle a accéléré le développement du télétravail, révélant une qualité méconnue du périurbain des grandes villes, où il est facilité par des logements plus grands restant assez proches des zones d’emploi (pour un télétravail partiel).

L’avenir dira dans quelles proportions et à quelle vitesse ces phénomènes prendront de l’ampleur, mais on notera qu’ils sont en phase avec la nécessité de retrouver une agriculture locale viable à taille humaine, de limiter les déplacements domicile-travail motorisés, de recréer des centres-bourgs vivants, de procurer des logements à des prix abordables, etc. 

Sans aller jusqu’à parier sur un exode urbain massif, il est permis de penser que les villes moyennes et les zones rurales, celles au moins qui seront gérées de manière adéquate, pourraient bien retrouver des dynamiques économiques et démographiques positives. Un développement national sur ces secteurs aujourd’hui négligés peut représenter des parts de marché significatives. Dans le périurbain des grandes villes, l’enjeu sera de moderniser les pôles commerciaux existants, de réinvestir les centres-bourgs et de renouveler l’offre.  

Ces scénarios sont-ils réalistes ? Cela ne dépend pas que des commerçants

Ne le nions pas, il est permis de juger ces perspectives quelque peu optimistes. L’une des raisons, hormis l’extrême gravité de la crise actuelle, en est que l’on ne saurait attendre ces « rebonds » de la seule volonté des commerçants. Il est bien clair que le commerce fait partie d’un vaste écosystème, déterminé entre autres par la production, les importations et les réglementations diverses et variées qui conditionnent le fonctionnement de l’économie et des territoires.

Notre intention n’est donc pas ici de faire des prévisions, mais de montrer une voie possible, en particulier à l’intention des investisseurs, bailleurs et acteurs locaux. Leur rôle est primordial pour créer les conditions nécessaires à ces différentes évolutions. Car leur concrétisation se jouera d’abord localement, ville après ville, centre commercial après centre commercial, avant de se généraliser.

Croire à un avenir possible est une première étape. La suivante consiste à le favoriser, en soutenant les initiatives qui vont dans le bon sens.