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Point de vue d'Aurélien Tert, UnEmplacement.com

Coronavirus : une bénédiction déguisée pour le commerce ?

Après plus de cinq siècles de domination sur le monde occidental, les désaccords à répétition de l’élite politique font imploser l’Empire romain au profit des royaumes germaniques. Le commerce physique, fort d’un écosystème de temples de la consommation réputés imprenables depuis le début de l’ère du modernisme, est à son tour sur le point de sombrer au profit des pure players du web. Scénario cataclysmique qui sera inévitable si ses principaux représentants, les enseignes et bailleurs, n’utilisent pas le choc thermique provoqué par la crise sanitaire pour assainir le marché de l’immobilier commercial, qui n’est plus adapté aux nouvelles dynamiques de consommation.

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Immobilier commercial : un marché fragilisé avant le Covid

Malgré une baisse d’intérêt pour l’investissement en immobilier commercial au profit d’actifs tels que les bureaux ou entrepôts, nous pouvions croire il y a quelques mois à une sortie rapide de crise du « retail bashing » grâce à la prise de conscience de plus en plus d’acteurs en immobilier commercial de l’incompatibilité entre les besoins des nouvelles générations (écoresponsabilité, circuits courts…) et le modèle de consommation de masse hérité des années 1960, où la voiture et le béton prédominaient. Le fameux adage « no parking, no business ».

Lors de nos petits déjeuners trimestriels, nos échanges avec plus de 300 décideurs en immobilier commercial membres d’unemplacement.com nous confirment que ce mouvement n’a pas été créé pour faire couler de l’encre, mais est réellement au cœur des discussions sur le terrain. En effet, de plus en plus d’enseignes commerciales entament leur transformation vers un modèle omnicanal pour capitaliser sur leur principal actif « l’expérience en magasin » en s’appuyant sur une forte visibilité sur internet. De leur côté, les bailleurs repensent leur développement sur des projets de réhabilitation ou d’extension, plutôt que la création de nouvelles zones commerciales sur des terres agricoles. L’arrêt du projet pharaonique d’EuropaCity ou le récent moratoire de la convention citoyenne sur le climat sont autant de signaux qui renforcent leur décision.

Ainsi, la solution semble toute trouvée avec des modèles de commerce qui remettent l’interaction sociale au centre de l’expérience client où la concurrence des e-commerçants est rendue futile (la fameuse « blue ocean strategy »). Nous pouvons citer certains exemples tels que la foncière de Bellevilles, les Halles de la Cartoucherie à Toulouse ou encore la Société des Grands Magasins qui se focalise sur la redynamisation de centres commerciaux sous-évalués d’hyper centre-ville en recréant des expériences shopping qu’internet ne peut reproduire en alliant la proximité, convivialité, restauration et le loisir.

Malheureusement, ces espoirs de reconquête ont été fragilisés par la crise sanitaire, qui non seulement nous prive d’échanger librement en physique avec autrui, mais surtout accélère la prise de part de marché des e-commerçants. À cela il faut rajouter les tensions entre bailleurs et commerçants qui s’intensifient depuis 2015 face à l’accumulation d’externalités (attentats, Gilets jaunes ou grèves des retraites…), qui ont ébranlé la santé financière de nombreux commerçants pour lesquels le Covid-19 fut la crise de trop.

Le choc thermique du XXIe siècle pour l’immobilier commercial

À la différence de la montée en puissance des e-commerçants, qui peut être comparée à un corps (le commerce physique) rentrant en hypothermie en s’immergeant petit à petit dans un bain se remplissant d’eau froide, la crise du Covid est ce même corps jeté en entier dans un lac d’eau glacée. Dans le premier cas, le commerce physique observe la menace grandir et se donne le temps de réagir (et de procrastiner) avant de penser à couper le robinet d’arrivée d’eau. Dans le second, c’est l’hydrocution qui peut entraîner un arrêt cardiaque si un secouriste ne vient pas le sauver. Aujourd’hui, l’état (le secouriste) vient de plonger et tente de faire remonter le commerce physique à la surface (PGE, PGE saison, chômage partiel). Néanmoins, si ce dernier a décidé de se laisser mourir, le secouriste ne pourra pas faire grand-chose pour le sauver.

Ainsi, l’heure n’est donc plus aux conflits entre foncières et enseignes, mais à l’union des forces pour non seulement survivre à la phase de crise sanitaire, mais surtout ne pas en sortir affaiblis par un endettement trop important. Surendettement qui non seulement fragilisera la capacité de rebond des enseignes à affronter la prochaine vague qui sera économique et sociale, mais également qui les transformera en des proies faciles à la merci de mastodontes du commerce en ligne souhaitant eux aussi mettre un pied dans le commerce physique pour diminuer leur dépendance aux algorithmes capricieux des moteurs de recherches et des réseaux sociaux.  

Malgré ces bons conseils, ils ne sont que théoriques. La réalité sur le terrain est tout autre avec la majorité des bailleurs qui n’ont pas joué le jeu de l’annulation des loyers lors du confinement, malgré la main tendue par l’État leur permettant de déduire fiscalement les revenus auxquels ils renoncent. Aveuglement volontaire des bailleurs ou manque de vision des conséquences de cette crise sur le long terme ? Non, pas vraiment quand on sait que la majorité des propriétaires de murs commerciaux en France sont modestes et composés d’anciens commerçants qui vivent de leurs revenus fonciers. Ils ne peuvent donc s’autoriser à consentir à des pertes sèches et proposent en échange des reports de paiement ou des systèmes d’étalement.

Malheureusement, ces demi-mesures ne résolvent pas le véritable problème : les loyers ne sont plus en ligne avec les chiffres d’affaires réalisés, ce qui fait mécaniquement exploser les taux d’effort. Sans une revalorisation rapide des loyers, les locataires seront asphyxiés financièrement et ne pourront que fermer boutique, phénomène qui à son tour n’encouragera pas de nouveaux repreneurs à subir le même sort. Dans un scénario cataclysmique, on pourrait arriver à des rues qui se videraient de leurs commerces pour finir avec des quartiers sans âme, transformés en cités-dortoirs… triste spectacle. Un groupe de réflexion anglais, The Social Market Foundation, tend dans ce sens et pousse vivement les politiques de la Grande-Bretagne à laisser les commerces mourir de leur belle mort et de les remplacer par des logements… affaire à suivre.

La crise du Covid est donc définitivement le choc thermique que le marché attendait pour mettre fin à la bulle spéculative autour des loyers commerciaux, loyers qui étaient depuis de nombreuses années décorrélés de la réalité économique des enseignes. Cette crise est donc à voir comme une bénédiction sur le long terme pour les enseignes en permettant d’amener enfin les bailleurs à mettre en place un nouveau modèle de calcul des valeurs locatives. Comme le souligne dans une de ses tribunes Jérôme Le Grelle, nous devrions en finir avec la notion de taux d’effort sur le chiffre d’affaires global, mais ventiler ce chiffre d’affaires entre vente sur internet et vente en magasin uniquement. Ainsi, le commerçant paierait un loyer qui serait le reflet de la véritable valeur apportée par l’emplacement, c’est-à-dire son accessibilité et sa capacité à générer des clients potentiels, que le commerçant aura à charge de transformer en chiffre d’affaires. Cette qualité d’emplacement pourrait être rendue tangible grâce à des outils d’analyse des flux qui permettraient au preneur, broker et bailleur de bénéficier enfin d’un indicateur objectif pour comparer plusieurs typologies d’emplacements dans une même zone et ainsi de définir un niveau de base pour le loyer. Le loyer final restant bien évidemment le libre jeu des négociations entre l’offre et la demande.

L’immobilier commercial dans le monde d’après

Le monde d’après ne sera pas très différent du monde d’avant, car la crise du coronavirus est en vérité un accélérateur forcé de tendances de fond. Le commerce physique, comme de nombreux secteurs économiques, vient de faire un bon de dix ans dans le futur en quelques mois. Bienvenue dans le commerce de 2030 :

Tout d’abord, l’équilibre entre vente en ligne et en magasin est un réflexe pour tout commerçant, même pour le plus petit commerce de proximité. Leur vitrine digitale est leur principal canal d’acquisition clients, mais surtout de fidélisation via des systèmes ingénieux de drive-to-store tels que des produits haut de gamme uniquement disponibles en magasin pour bénéficier de conseils d’experts.

Plus aucun commerçant n’est engagé sur des baux commerciaux classiques de type 3-6-9 ans qui sont devenus obsolètes, à part pour des emplacements « prime » +++. Les durées d’engagement sont à présent de 12 et 24 mois maximum, avec la possibilité d’inclure des clauses d’exceptions en cas de forte chute d’activité due à des externalités telles que des crises sanitaires, attentats, mouvements sociaux nationaux…

Les centres des villes moyennes s’animeront à chaque saison de nouveaux commerces de type éphémères (glaciers, bar à eau en été avec la banalisation de la canicule, concepts de prêt-à-porter pendant les soldes, magasin de distributeurs pour le lancement de nouveaux produits…) dont certains emplacements 1 bis ou numéro 2 seront loués par la foncière publique locale créée par en partenariat avec la Caisse des dépôts. Le manager de centre-ville sera la pièce maîtresse de ce système bien rodé. De plus si ces villes moyennes ou rurales sont situées à 1 ou 2 h d’une métropole et/ou d’un bassin d’emploi important, elles bénéficieront de l’arrivé d’une nouvelle population de cadres en recherche d’un cadre de vie confortable pour télétravailler deux à trois jours par semaine. 

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