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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE France

Nouveau combat pour les foncières commerciales : regagner la confiance des marchés financiers

Le cours des actions des foncières commerciales est au plus bas. Même si la situation est probablement temporaire, c’est un signal de danger fort pour l’industrie des centres commerciaux dans son ensemble. En comprendre les motifs permet d’envisager les réponses possibles : elles ne sont pas nouvelles, mais elles sont de plus en plus urgentes.

© blacksalmon / Adobe Stock

Les titres d’Unibail-Rodamco-Westfield (URW), même après l’annonce de la recapitalisation du groupe, ont perdu plus de 70 % de leur valeur depuis le 1er janvier de cette année, ceux de Klépierre 60 %. Au Royaume-Uni, le coronavirus a eu raison du leader Intu qui, déjà fragilisé par le poids de sa dette, a vu sa cotation boursière passer en six mois de 5 Mds£ à 24 M£. 

Risque systémique

La plupart des foncières européennes cotées sont touchées par des pertes de valeur en bourse significatives. La défiance des investisseurs, quand elle atteint de tels niveaux, semble pour le moins irréaliste. Le problème, c’est que, réaliste ou pas, ce sentiment peut être lourd de conséquences, conduisant à des faillites inattendues ou à un réajustement brutal des valeurs pour l’ensemble de l’industrie des centres commerciaux. 

Ces valorisations ne sont pour le moment que celles de la bourse et des marchés financiers, mais elles ne seront pas sans impact sur les volumes et les prix des transactions du marché. Elles font ainsi peser un risque sur l’ensemble de l’immobilier commercial et de la distribution : qu’elles soient retenues comme référence et c’est la modernisation générale de ces deux secteurs qui sera empêchée ou considérablement ralentie. 

Cela étant dit, il faut bien admettre que l’attitude des investisseurs n’est pas totalement dénuée de fondement. 

Une part de vérité

D’abord, les revenus des foncières dépendent de ceux du commerce qui est l’une des grandes victimes de la crise sanitaire. Ils doivent beaucoup au textile en particulier, qui est face à de profondes restructurations. Par delà la question du recouvrement ou non des impayés de la période de confinement — même si certaines foncières ont été plus promptes que d’autres à trouver un terrain d’entente avec leurs locataires – l’incertitude reste grande quant au niveau des loyers à venir.

Ces déboires viennent toucher une industrie qui, à partir des années 2000, a peut-être trop misé sur le levier financier pour assurer la création de valeur, au détriment d’une gestion plus proche du terrain, qui aurait permis un ajustement plus précoce aux mutations du commerce.

Un déficit d’image handicapant

Ils viennent aussi accabler un secteur en déficit d’image. On entend chaque jour la caisse de résonance médiatique vilipender la « France moche » des périphéries-qui-tuent-les-centres-villes, condamner les grands projets commerciaux qui ne serviraient que les intérêts des foncières, ou encore prophétiser la victoire par KO de l’e-commerce sur le magasin. Le rôle majeur des centres commerciaux dans la vie quotidienne des Français, en revanche, fait rarement la une des journaux. 

Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ne manque pourtant ni d'arguments, ni de réactivité, ni de pugnacité pour les défendre, mais il se bat avec des moyens limités dans un environnement au mieux indifférent, au pire hostile aux centres commerciaux. 

Les stigmates du « monde d’hier » 

Les centres commerciaux ont cessé de faire rêver. À tout le moins, ils ont perdu du souffle, cet effet waouh associé au plaisir de consommer. 

Les centres commerciaux sont devenus progressivement le symbole par excellence du « monde d’avant », celui de la consommation débridée et de l’automobile, en voie de stigmatisation généralisée dans certains milieux élitaires. Et qu’ont-ils à dire pour leur défense devant le tribunal des générations futures ? Peu de choses en réalité. Les centres récents ou rénovés sont plus certes plus ouverts sur leur environnement et leur offre plus diversifiée, mais ils restent fondamentalement attachés aux règles de fonctionnement et d’exploitation en vigueur depuis l’origine.

Force est de constater que, dans la course aux innovations, les enseignes montrent une voie que les centres commerciaux seraient bien inspirés de suivre. Si certaines foncières se montrent très audacieuses, l’impression générale, brouillée par la compétition et la recherche de différenciation, est plutôt celle d’une profession aux acteurs dispersés et dépassés par les événements.  

Urgent de réagir

Rien de neuf dans ces évidences que nous venons de rappeler. Ce qui est nouveau, en revanche c’est la profonde défiance des investisseurs vis-à-vis de foncières qui passaient il y a encore quelques mois pour des valeurs sûres (même si elles étaient peut-être un peu surévaluées), avec les conséquences potentiellement dramatiques que nous avons évoquées plus haut.

Il est donc plus que temps de réagir.

Insistons toutefois sur le caractère « délirant » de la chute des valeurs boursières. À la sortie du confinement, la fréquentation des centres commerciaux a repris. La génération de cash flows, temporairement affectée, reste solide et pérenne. Elle n’est pas menacée, même par le probable ajustement des valeurs locatives à venir, et permettra donc aux foncières d’investir dans de véritables stratégies de mutation et de revalorisation des actifs.

Ce sera nécessaire, car, hormis leur capacité à faire fonctionner leurs centres à peu près normalement sous contrainte sanitaire, les foncières sont attendues sur au moins trois évolutions structurelles profondes.

  • Activités. Les locomotives sur lesquelles elles ont longtemps compté (hypermarchés, textile) ont beaucoup perdu de leur puissance, et les activités de remplacement (restauration, loisirs) sont vulnérables aux crises sanitaires. Il faut continuer à chercher d’autres moteurs, même au prix de rendements financiers moindres.
  • Digital. Les foncières doivent encore accomplir leur révolution digitale. Cela implique de reconsidérer les services apportés tant aux clients qu’aux enseignes, en termes de livraison notamment : d’où des surfaces réaffectées (stockage, drive, click & collect…), des aménagements en dur, des prestations logistiques. 
  • Rémunération. Il faut enfin en finir avec le loyer « à l’ancienne », fonction de la surface et du chiffre d’affaires du magasin, qui ne correspond plus à la logique d’exploitation des enseignes à l’heure de l’omnicanal. 

Ces trois axes de travail convergent vers une remise à plat de leur modèle économique, avec cette question : comment générer de nouvelles recettes qui viendront s’ajouter à des revenus réajustés ? Et un début de réponse : en développant une offre de services intégrant pleinement le digital, utile aux enseignes comme aux consommateurs. Et si le centre commercial devenait l’expression même du commerce omnicanal ?