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Point de vue de Jérôme Le Grelle, CBRE

Positivons !

La pente est forte, mais la route est droite. Qu’on nous pardonne de pasticher ainsi un ancien Premier ministre adepte des formules. Les temps sont certes incroyablement difficiles, mais la crise nous enseigne que la refondation du commerce est sur la bonne voie. Et qu’il est urgent d’accélérer.

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Les conséquences en cascade de l’épidémie de Covid-19 ont de quoi inquiéter : les graves difficultés des commerçants, la probable accélération de la vacance dans les centres-villes et les centres commerciaux, la chute des valeurs immobilières qui risque d’accélérer l’obsolescence des actifs…

Pour autant, le fatalisme étant par définition fatal, cherchons plutôt des motivations à agir.

Un apport indéniable de cette crise est de rendre désormais très claire la nécessité de refonder le commerce sur de nouvelles bases. Cette nécessité ne date pas d’aujourd’hui, nous en parlons ici régulièrement depuis plusieurs années.

Accélération de tendances

Mais la crise actuelle vient accélérer plusieurs tendances déjà présentes chez le consommateur, et pour partie intégrées par la distribution.

  1. Le besoin de proximité. Il s’exprime par le goût retrouvé du commerce de proximité (tendance déjà ancienne, mais fortement accentuée par le confinement) et par un soutien croissant à la production locale, notamment dans le domaine alimentaire (circuits courts). Il s’explique en partie par un désir d’ancrage dans une communauté locale dont le commerce est l’un des piliers.
  2. La conscience environnementale. Même si elle ne se traduit pas toujours en actes, elle devient de plus en plus prégnante à tous les niveaux de la société. Elle pourra se traduire par une moindre consommation, mais aussi une nouvelle répartition des dépenses et de nouvelles façons de consommer, par exemple en recourant aux achats de seconde main, en forte progression. Elle est cohérente avec le besoin de proximité.
  3. L’attrait des villes moyennes. S’il ne faut pas trop extrapoler cette tendance apparue avec le confinement, force est de constater qu’elle offre aux villes qui voudront s’en saisir l’occasion de repenser leurs stratégies d’accueil. En s’appuyant sur les opportunités offertes par le télétravail, mais aussi en créant les conditions de satisfaction des deux précédentes tendances : soutenir intelligemment un commerce local authentique, avec tout l’environnement urbain qui va avec, et permettre aux habitants de vivre en accord avec les valeurs écologiques qu’ils défendent.

Ce qui frappe ici, c’est combien ces tendances forment un tout cohérent sur lequel il est possible de bâtir.

Mutations

Cela étant dit, ne soyons pas naïf. Des chantiers colossaux et urgents mobilisent déjà – ou attendent – les acteurs de la distribution. La crise, au demeurant, donne raison aux précurseurs qui ont compris deux choses :

  1. La clé que constitue une puissante intégration amont/aval. Les gagnants seront ceux capables de maîtriser la chaîne logistique, des approvisionnements à la mise à disposition des articles aux consommateurs, où qu’ils se trouvent (magasin, livraison, drive, click & collect…)
  2. L’impérative digitalisation du commerce, à tous les niveaux de la création de valeur : logistique, vente, service.

Sur le plan immobilier, cela se traduit aussi par des changements profonds.

  1. Le magasin reste un pivot de l’exploitation commerciale, mais il intègre de nouvelles fonctions, notamment logistiques.
  2. Les réseaux évoluent vers un maillage plus fin du territoire, ce qui implique des formats très diversifiés, adaptés au contexte particulier de chaque implantation.

Ces chantiers seront indiscutablement très lourds à mener. Cela étant, une constatation simple offre un puissant antidote au fatalisme : la direction dans laquelle ils entraînent la distribution est très cohérente avec les trois tendances évoquées plus haut. Répondre aux attentes des consommateurs sera toujours l’alpha et l’oméga du commerce.

Changement de modèle économique

Bien évidemment, ces transformations sont synonymes de changement dans le modèle économique des enseignes et affectent les équilibres financiers de l’immobilier commercial.

  1. Pour les enseignes, la contribution du magasin à la création de valeur se complexifie. Son coût immobilier doit donc s’ajuster, surtout dans un contexte de fort investissement dans les domaines logistique et digital. À quoi s’ajoute un besoin accru de flexibilité pour expérimenter de nouveaux formats.
  2. Pour les bailleurs confrontés à ces nouvelles exigences, des adaptations seront nécessaires. Adaptation des loyers d’une part, des conditions du bail d’autre part. Les valeurs des actifs seront également réajustées, à la baisse pour les actifs « prime » situés sur des flux massifs, à la hausse pour les actifs secondaires devenus attractifs pour leur contribution au maillage du territoire en proximité.

Face à ces enjeux financiers non négligeables, il peut sembler excessivement optimiste de « relier ainsi les points » pour faire apparaître une image positive de l’avenir, nonobstant les difficultés.

Mais, d’une part, la dynamique de transformation suscitée par la crise dans nombre d’entreprises (au-delà du seul commerce) est parfois stupéfiante, contredisant la morosité ambiante.

D’autre part, une image positive de l’avenir est nécessaire à l’action, et nous n’avons que trop temporisé. Si l’analyse qui précède nous semble avoir gagné en vérité à la lumière des événements en cours, elle n’est pas proprement nouvelle. La refondation du commerce est de plus en plus urgente, mais la direction à suivre est aussi de plus en plus évidente.