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Par Régis Chemouny, KPMG France

Les enjeux des données extra-financières pour les sociétés foncières cotées

© Kurt Kleemann / Fotolia

Depuis 2003, le statut SIIC (société d’investissement immobilier cotée) a révolutionné le paysage de l’immobilier d’investissement et a renforcé l’attractivité de la place boursière de Paris. Il a permis de créer un compartiment boursier efficient et l’émergence d’acteurs performants de la ville.

Certes, depuis plusieurs années, nous avions pour habitude d’écrire que l’immobilier était devenu résilient à tout soubresaut de l’activité économique. La pandémie actuelle est inédite. Elle est venue bousculer le secteur immobilier avec une violence inédite. Annus horribilis pour le monde sur le plan sanitaire… mais également pour un certain nombre de secteurs, dont l’immobilier. Nous pouvons rappeler les différentes raisons, comme la fermeture pendant plusieurs mois des centres commerciaux et des commerces, la normalisation du flex office et du télétravail, la digitalisation de la société et les habitudes prises sur le e-commerce. Cela s’est traduit par une baisse significative des investissements et des transactions, et une décote significative des cours de bourse sur l’ensemble des sociétés foncières cotées.

Une information financière comparable dans un contexte de mutations profondes

Si nous devons lire le monde avec un microscope pour mieux en appréhender les difficultés, les tendances doivent aussi être analysées avec un télescope, pour nuancer les réactions excessives et esquisser les vraies tendances sociétales. La réalité sera vraisemblablement en demi-teinte, avec une plus grande porosité entre la vie privée et la vie professionnelle, et des modèles hybrides entre le commerce physique et le digital. Le bureau continuera à exister pour retrouver une intelligence créative, émotionnelle et décisionnelle. Et le commerce physique de se réinventer, pour magnifier cette expérience client si appréciée des consommateurs.

Dans ce contexte, le rôle de l’information financière revêt une importance majeure. Depuis plusieurs années, KPMG France et la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF) se positionnent en observatoire de l’information financière des sociétés foncières cotées, au travers de leur étude annuelle de benchmark de l’information financière. La 14e édition de cette étude traduit une convergence renforcée des approches sur les sujets comptables et financiers, dans le cadre du panel de sociétés foncières retenu. Nous ne pouvons également que saluer le rôle structurant de l’European Public Real Estate Association (Epra), notamment grâce à la définition d’indicateurs de performance normés depuis plusieurs années. Il faut, plus que jamais, avoir l’assurance d’une information financière fiable et comparable. Dans ce contexte de pandémie, il s’agit avant tout de conforter la maîtrise des revenus locatifs avec l’incidence des mesures gouvernementales, le renforcement de la vacance et des charges non récupérées, les éventuelles défaillances post-Covid de locataires, les enjeux du rendement locatif et de la valorisation du patrimoine. Les sociétés foncières s’efforcent de renforcer leur transparence sur les impacts de la crise sanitaire et les modes de comptabilisation des mesures d’accompagnement consenties aux locataires, conformément aux recommandations de place. Par ailleurs, dans un climat de tensions sociales et de sensibilisation aux enjeux environnementaux, les indicateurs de performance extrafinanciers prennent toute leur importance. Il convient de concilier l’exigence opérationnelle avec les enjeux environnementaux et sociétaux, pour assurer l’attractivité et la pérennité de l’industrie. La comparabilité de toutes ces informations doit permettre de renforcer la crédibilité du secteur.  

Une sensibilité renforcée aux enjeux de reporting extrafinancier

Concernées ou non par les obligations réglementaires en matière de reporting extrafinancier, les foncières s’attachent à communiquer sur leurs démarches de responsabilité sociétale.

En France, la publication d’informations RSE par les entreprises est principalement encadrée par la directive européenne sur le reporting extrafinancier. Si cette dernière ne s’applique qu’aux sociétés répondant à certains seuils (entre autres celles de plus de 500 salariés), une grande majorité de foncières choisit de publier des informations RSE, que ces dernières y soient soumises ou non. L’étude du panel de foncières montre que 95 % d’entre elles émettent un rapport sur leurs performances RSE. Quatre-vingts pour cent des foncières ont opté pour une présentation de ces informations dans l’URD même. Les foncières ont intégré la RSE à leur stratégie en y dédiant parfois une gouvernance propre ou en définissant des objectifs et des indicateurs de mesure des progrès réalisés, afin de fixer un cap à l’ambition de la société.

Ces efforts sont tangibles et les enjeux sont très sensibles pour l’opinion publique, comme celui du climat. Les foncières cherchent à inscrire leur stratégie climat dans des cadres et référentiels mondiaux reconnus, tels que l’Accord de Paris ou les lignes directrices fixées par la TCFD. Quarante-deux pour cent des foncières indiquent avoir des objectifs validés par la SBTi et 26 % des foncières confirment chercher à se conforter aux principes de reporting fixés par la TCFD. Par ailleurs, la certification d’actifs constitue un levier de performance propre au secteur. L’exhaustivité des sociétés affirme avoir une démarche de certification. Parmi les plus populaires, la certification française HQE est utilisée par 75 % des foncières, dont 40 % cherchent à avoir au moins 50 % de leurs actifs certifiés. La certification HQE représente avant tout une garantie que les impacts environnementaux d’un bâtiment seront limités, en requérant l’existence d’un système de management environnemental. La certification britannique Breeam est tout aussi présente : 95 % des foncières y recourent, deux fois plus que sa concurrente américaine Leed (43 % des foncières). La certification Leed s’appuie sur des référentiels peu connus en Europe (comme la norme Ashrae), compliquant son entrée sur le marché français.

Les attentes des investisseurs et des clients se renforcent sans conteste, entraînant des évolutions dans le paysage des certifications, qui s’enrichit de nouveaux référentiels depuis une dizaine d’années. La certification Well constitue un bon exemple. Sortie en 2013, cette certification porte sur le bien-être et le confort des occupants. Encore en cours d’expérimentation, elle pourrait être adoptée en France (35 % des foncières du panel l’utilisent déjà). Elle repose sur sept domaines comme l’accès à une nourriture saine, l’activité physique ou la santé mentale des occupants. Nous pouvons de même citer le label BiodiverCity, mis en place par le Conseil international biodiversité et immobilier (Cibi), afin d’accroître la biodiversité urbaine, qui se répand, mais reste malgré tout moins utilisée par le panel (30 %).

Des freins à communiquer sur les impacts étendus et à long terme

Les principaux impacts sociaux et environnementaux des foncières demeurent indirects et requièrent la mise en place d’actions et d’un suivi spécifique, parfois complexe à définir.

Les leviers d’actions des foncières sur les clients, occupants, fournisseurs, collectivités… sont certains, mais indirects, et la performance en la matière est complexe à démontrer. Ces difficultés s’expliquent par le manque d’indicateurs adaptés et par la forte prévalence des facteurs externes, qui limitent la capacité d’action des foncières. Le manque d’indicateurs de performance pertinents conduit les foncières à publier plutôt des chiffres indicatifs des moyens déployés (exemple du nombre de concertations avec les riverains ou part des fournisseurs évalués sur leur performance RSE). La forte influence des facteurs externes pousse ainsi les foncières à piloter de préférence l’étendue des moyens déployés que les résultats attendus. C’est par exemple le cas de la performance environnementale des bâtiments gérés, qui dépend largement du comportement des occupants. Un tiers des foncières communique sur des indicateurs relatifs à la mise en place de dispositifs incitatifs comme des baux verts, en complément des consommations d’énergie.

Enfin, d’autres enjeux comme celui de la résilience au changement climatique, en plus d’être moins évidents en termes de leviers d’actions, requièrent pour les sociétés de se projeter sur du long, voire du très long terme. Ils sont dès lors moins souvent abordés, rarement de manière chiffrée (moins d’un tiers des foncières publie un indicateur en la matière), et encore moins au regard d’objectifs (25 % du panel de l’échantillon).

La nécessité de renforcer le lien entre données financières et extrafinancières

Publié le 22 juin 2020 au Journal officiel de l’Union européenne, le « règlement Taxonomie » établit la liste des activités durables au sein de l’Union européenne, ainsi que les exigences de transparence associées. Elle s’appliquera au secteur de l’immobilier coté, lançant de nouvelles réflexions sur les risques, mais aussi des opportunités en lien avec le reporting financier. À titre d’exemple, dès juillet 2020, une société foncière du panel a souscrit un prêt durable aligné avec les exigences de la taxonomie européenne. Un mécanisme de baisse du taux d’intérêt sera enclenché, si elle atteint des performances énergétiques et carbone en ligne avec les ambitions de la taxonomie européenne. Les récents développements réglementaires, la multiplication des mécanismes incitatifs ainsi que la pression croissante des investisseurs laissent présager d’une évolution prochaine des reportings du secteur.

La prochaine étape sera vraisemblablement de mettre en relation de manière plus explicite les données extrafinancières avec les données financières, telles que le chiffre d’affaires ou les dépenses d’investissements. L’information financière se mettra plus que jamais au service de la cause environnementale.

Ne cédons pas à la panique et au climat économique atone résultant de la pandémie… Depuis 2003, les SIIC ont démontré l’efficacité du dispositif, en se positionnant comme des acteurs majeurs de la ville. Il ne s’agit pas d’un simple dispositif de défiscalisation ou d’une exception française. Les SIIC permettent de fédérer dans une même communauté d’intérêts les collectivités locales, les investisseurs, les utilisateurs et les régulateurs. Elles sont reconnues pour leur rôle dans le dynamisme de l’économie et la création de valeur pour les villes, dans un environnement mondial où les diverses sources de financement public se tarissent. En matière environnementale, les sociétés foncières ont depuis plusieurs années renforcé leur marque d’intérêt sur ces sujets et ont opté pour une démarche volontariste. Cette démarche est indispensable et irréversible. Pour les acteurs internationaux de l’investissement, les problématiques ESG (Environmental Social and Corporate Governance) sont devenues un réel facteur discriminant dans le cadre de leur stratégie d’allocation d’actifs.