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Emmanuel Launiau, Quartus

Manifeste pour la densité

© Hurca! / Adobe Stock

Le concept de densité a dicté des décennies de politiques urbaines et profondément marqué nos imaginaires. Mais de quoi parle-t-on quand on parle de densité urbaine ? 

Le terme densité est aujourd’hui stigmatisé. Il est devenu le réceptacle de notre mal-être à vivre en ville. D’abord parce que le compte n’y est plus. Face à la bousculade dans les transports, à des appartements trop petits, au manque d’espaces verts, l’essentiel n’est plus à portée de mains, les services publics sont insuffisants et une nouvelle compétition est née entre les habitants pour y accéder, accroissant au passage les inégalités, éloignant les travailleurs clés (infirmières, policiers, enseignants…) des lieux de leur fonction, isolant un peu plus les plus démunis. La croissance urbaine fait peur parce que les contreparties n’y sont plus. 

Et la crise du Covid-19 n’a rien arrangé, désignant cette densité comme responsable de contagion, de danger. Et ce alors même que le lien apparent ne résiste pas à l’examen des cartes à différentes échelles. Beaucoup de facteurs interviennent (intensité des échanges, connexion des réseaux, équipements hospitaliers, structures par âge, rassemblements ponctuels) qui empêchent d’établir une causalité unique. Les villes d’Asie plus denses, Séoul, Tokyo, mais davantage préparées, ont mieux résisté que nos capitales européennes. En France, Saint-Denis moins dense que Paris est plus infecté. Ce qui a fait d’ailleurs dire à certains que la question n’est pas la densité urbaine, mais la pauvreté urbaine. 

Alors pourquoi redouter cette densité ? 

Le plus souvent densité urbaine rime avec densité de population. C’est-à-dire le nombre d’habitants par kilomètre carré. Mais après tout, la ville c’est ça ! La ville est un espace construit et suffisamment habité. Il est né de notre volonté de nous regrouper autour d’un projet commun, celui de vivre en société, abandonnant au passage une part de notre liberté, pour mieux nous protéger, partager des ressources et faire communauté. Et aussi sans doute, parce que vivre ensemble est la seule façon de construire un avenir à notre propre humanité, à lire Emmanuel Lévinas. 

La France compte 4 millions de mal-logés et 2 millions de demandeurs de logements sociaux. Une thèse nouvelle s’est développée chez certains décideurs publics, curieusement passée inaperçue dans le débat public, que la France disposerait déjà de suffisamment de logements pour satisfaire ses besoins, ce qui conduit à limiter l’aide à la construction neuve. La croissance des villes est dans le viseur. Nos élus sont hésitants et les autorisations de construire deviennent exception, participant ainsi à l’augmentation des prix, repoussant toujours plus loin les classes moyennes et précarisant les plus pauvres. 

Doit-on avoir peur de la densification des villes ? 

On oppose souvent le besoin de nature à la densification des villes. Pourtant, l’idéal de la maison individuelle avec jardin, s’il venait à se généraliser, aurait pour conséquence une accélération de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols, en complète contradiction avec le modèle de la ville durable. La densification urbaine est d’ailleurs une notion centrale des stratégies urbaines contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la planète. Malgré cela, les préjugés sont tenaces et l’immeuble collectif semble toujours faire peur, et ce d’autant plus qu’il est haut. Il est souvent associé aux notions d’insécurité, de densité et d’anonymat. Pourtant la densité ne correspond pas à des formes urbaines spécifiques, mais à des processus de perception et d’évaluation qui vont rendre celle-ci acceptable ou pas. 

La densité, question de perception ? 

La densité est d’abord une question de perception et plus précisément de ressenti. Les grands ensembles construits en France entre le milieu des années 1950 et 1970, marqués par un urbanisme de dalle, de barres et de tours, inspirés des préceptes de l’architecture moderne, sont jugés denses alors qu’en réalité leur coefficient d’occupation du sol est faible. Le mal-être de leurs habitants en manque de commerces, de transports ou de vie de quartier est réel, et à l’origine de ce jugement. On y est loin de la ville du quart d’heure, et de l’échelle du piéton. À l’inverse, Paris, bien qu’étant l’une des villes les plus denses au monde, n’est pas ressenti comme tel. D’abord parce que cette ville est belle ! Ensuite parce que tous les 30 pas les rues s’animent, ici un porche, là un recoin pour s’isoler, là encore un commerce. La mixité sociale y survit, les trottoirs sont des lieux de rencontres, le mobilier urbain crée du rythme. 

Une étude internationale menée par l’École polytechnique de Zurich s’est justement intéressée aux éléments qui entrent le plus en compte dans le jugement de densité. Typiquement, voir le ciel et des espaces verts diminue la densité perçue, alors qu’apercevoir un grand nombre de véhicules et de bâtiments l’augmente. Il ne faut pas se tromper de combat. L’ennemi de la ville durable n’est pas la densité, c’est une partie de la solution alors que le défi climatique nous impose de limiter l’étalement urbain. Comment répondre à l’accroissement démographique, l’attractivité des villes et la pénurie de logements sans densifier nos villes ? 

Densité raisonnable, ville désirable 

À partir de la crise que nous traversons est apparu un modèle ou plutôt un contre-modèle à notre vie commune, poussé par la promotion du télétravail généralisé, qui consiste à s’enfermer dans une citadelle domestique déportée, fort de nouveaux outils et services digitaux pour travailler et commander tout ce dont nous avons besoin sans nous exposer à l’altérité. Si certains peuvent être tentés par ce modèle, la majorité voudra reprendre ou continuer d’entretenir des relations sociales. Elle le fera avec une volonté de mieux vivre collectivement. Et si une densité raisonnable participait à cela ? 

De fait, une densité bien pensée, réfléchie au niveau d’un grand îlot ou unité de voisinage devient un atout pour la ville en proposant une qualité de vie à ses habitants, explique l’architecte et urbaniste Nicolas Michelin. Il met en avant de nouvelles morphologies urbaines qui préservent l’intimité tout en offrant un partage de l’espace. Pour Christian de Portzamparc, ce sont les îlots ouverts qui offrent des solutions. « Ouverture entre bâtiments, ouverture à la lumière, ouverture à la vue, mais surtout ouverture à l’aléatoire. » Après tout, la densité de New York s’est faite avec une rue formant de véritables coupes vers le ciel et vers l’Hudson, le tracé viaire y est tel qu’on ne ressent pas la densité, mais plutôt les respirations. 

La densité n’est pas un calcul, mais une impression que l’on obtient par une approche sensible de la ville. Pour Jacques Ferrier, il faut remplacer l’urbanisme de géométrie qui a longtemps prévalu par un urbanisme d’atmosphères, de matérialités, de contexte, mêlant architecture et paysage pour créer ce qu’il appelle « la ville sensuelle ». Une ville pas seulement performante sur le plan écologique, mais aussi une ville où nous prenons plaisir à vivre ensemble, à bien vivre. 

Densifier, une responsabilité collective

Il n’y a pas de recette à appliquer, la fabrique de la ville est un sujet contextuel. Si elle est bien pensée, la densité peut s’oublier en conjuguant mixité, durabilité, qualité de vie et finalement qualité de ville. Comment répondre à l’accroissement démographique, l’attractivité des villes et la pénurie de logements sans densifier ? Il faut dépasser des obstacles culturels et politiques. Architectes, urbanistes, élus, promoteurs, bailleurs qui avons le même désir de transfigurer nos villes pour le meilleur, faisons en sorte, ensemble, que le mot densité ne soit plus galvaudé, mais surtout synonyme d’écologie et de ville désirable. 

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