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Philippe Riboud et Lucas Paez, Duval Conseil

Le e-sport, une révolution immobilière, un enjeu pour les collectivités

© Maxime FORT/Flick

Le développement du e-sport (jeux vidéo compétitifs) est en train de bouleverser les codes et c’est une chance à saisir pour le sport traditionnel et l’immobilier de demain. De nouveaux publics, des communautés qui se réunissent autour des jeux, des streamers, des équipes professionnelles, des compétitions avec des milliers de spectateurs, l’utilisation du digital, des sponsors qui se mobilisent… Le jeu vidéo compétitif semble déferler sur le monde d’une manière exponentielle et réinventer le mode de consommation des médias sous l’impulsion des plates-formes de diffusion comme Twitch. L’écosystème est en train de se structurer, un certain nombre de questions restent en suspens et il faudra bien s’entourer pour trouver la stratégie gagnante.

Pour le secteur de l’immobilier, c’est le moment de se poser la question de ce nouveau contenu digital.
Quel est le lien à créer avec ce nouveau mode de consommation ? Comment concevoir des lieux pour accueillir les communautés de joueurs ? Comment allier service public et jeux vidéo ? Quelles sont les passerelles à trouver avec l’immobilier commercial et cette nouvelle locomotive d’image en création ?

Autant de questions qui émergent dans la structuration de nouvelles offres immobilières visant à capter ces nouveaux flux et à répondre aux demandes des citoyens.

Nées dans les années 1970 et suivant le développement d’internet et des technologies, les compétitions de jeux vidéo sont passées d’un phénomène de niche à un phénomène social total. Développé par les éditeurs de logiciel, au cœur de la chaîne de valeur du jeu vidéo, le modèle qui s’est imposé est le free-to-play, c’est-à-dire l’accès gratuit pour toucher le plus grand nombre, la monétisation passant principalement par la publicité ou les microtransactions des joueurs pour customiser leur expérience. Dans le même temps, selon le syndicat des éditeurs de logiciel et de loisirs, la durée de jeu hebdomadaire des Français a augmenté de 1 h 20 pour dépasser les 9 h par semaine en 2020. Mais c’est surtout le phénomène de communauté qui est en train de renverser la table. Le jeu vidéo a réussi là où on l’attendait le moins : créer des cercles de joueurs actifs ou le lien social et le partage sont au cœur de l’expérience.

Face à ces nouveaux phénomènes, les acteurs publics et privés se structurent et commencent à prendre des positions pour répondre aux attentes des citoyens, encadrer la pratique et conquérir de nouveaux marchés. Après le « savoir nager » qui a accompagné le développement des centres aquatiques, le « savoir jouer » devient un enjeu de société fort. Réguler son temps de jeu devant les écrans, réussir à mêler éducation et pratique de jeux vidéo sont autant d’éléments clés qui doivent être pris en compte dès le début d’une réflexion.

Côté privé, le potentiel d’attractivité des événements de e-sport pose la question des lieux d’accueil et du modèle économique des exploitants en structuration. Une dizaine de clubs professionnels e-sportifs sont lancés en France dans une course contre la montre afin d’atteindre le top européen et truster les places qui leur permettront d’assurer un modèle économique pérenne à l’image de franchises américaines. Mais dans le même temps, la pratique amateur se massifie et de nombreux clubs de e-sport voient le jour autour de groupes d’amis qui souhaitent se retrouver et partager une expérience de jeu. Face à ce tableau, comment inventer un modèle français qui prenne le meilleur des mondes digital et physique ?

La révolution si souvent annoncée va s’imposer d’elle-même avec la crise sanitaire en cours. Il faudra dorénavant aller chercher les pratiquants à la fois dans le monde digital et sur les lieux physiques. On retrouve d’ailleurs la même dichotomie entre boutiques et e-commerce… Ce virage ne pourra se faire qu’à travers de nouveaux moteurs qui drainent des flux sur toutes les plates-formes virtuelles et dans le monde réel. Le e-sport et la « gamification » semblent être au cœur de ces enjeux de marques et de développement de l’image. En France, les réflexions en cours autour de lieux dédiés uniquement à l’univers du gaming nous semblent limitées. Il ne suffira pas simplement de réinventer les salles d’arcade alors que la pratique se structure et l’écosystème digital a un tel niveau d’avancement.

Il faudra mener un diagnostic global à l’échelle d’un territoire pour identifier à la fois les acteurs associatifs, les acteurs économiques et le monde du e-sport pour positionner les projets et leur donner un axe stratégique fort. Il ne faudra pas non plus opposer sport et e-sport, digital et physique. En effet, la fermeture des salles de sport pendant les confinements successifs a mis en lumière un phénomène qui était déjà lancé : le développement d’applications mêlant exercice physique et monde virtuel. Connecter son vélo d’appartement à une course en ligne dans l’application Switch ou faire du fitness dans un jeu de réalité virtuelle avec la Black Box, sont autant d’exemples de la gamification du sport et du développement de l’« exergaming » (pour exercices physiques et gaming).

La passerelle entre le jeu vidéo et le monde physique est en train de se créer et le potentiel de ces pratiques ludiques pousse l’ensemble des enseignes à s’intéresser au phénomène. Le sport et le commerce ont tout à gagner à capter ces nouveaux codes et on imagine déjà une consommation à la Netflix ou l'on choisirait sa pratique physique via un abonnement virtuel et des équipements connectés. Les gamers, souvent également fans de sports traditionnels, ont montré qu’il n’y avait pas d’opposition entre les deux mondes, mais bien un réel lien commun, celui de se retrouver autour d’une passion pour pratiquer, regarder, commenter et se rassembler. Ils ont un temps d’avance sur la digitalisation et la gestion des fans à distance, et il faut s’en servir comme un levier pour le sport traditionnel. De l’autre côté, de grands champions ont déjà bien compris la puissance de la gamification et investissent le monde du e-sport en devenant les premiers ambassadeurs des ces pratiques, à l’exemple d’Antoine Griezmann, de Neymar et bien d’autres…

Il faudra surtout créer de nouveaux modèles immobiliers actifs

Ces nouvelles communautés, issues du monde digital ont vocation à se réunir dans le monde réel, comme en témoignent les audiences lors des événements de e-sport, les salons tels que la Gamers Assembly ou le succès des LAN Parties. Comme le sport traditionnel, elles souffrent de l’arrêt de compétitions qui réunissent les spectateurs dans les arènes. Il s’agit d’une opportunité pour travailler des concepts immobiliers à la frontière du monde sportif, e-sportif et commercial. C’est le moment de casser la barrière entre le digital et le physique, et de développer des projets innovants à la fois temporaires et pérennes qui basent leur modèle économique sur la monétisation des flux et des plates-formes multisites.

Pour l’immobilier commercial, c’est l’occasion de repenser une qualité d’animation, à la fois événementielle et digitale, qui crée une attractivité pour les clients et propose aux enseignes des nouveaux lieux d’expérience. Lancer un nouveau produit, développer sa notoriété sur les réseaux sociaux, permettre à ses clients des expériences immersives et digitales sont autant de services qui pourraient être proposés dans le cadre de nouveaux espaces à venir.

La qualité de gestion de ces nouveaux lieux hybrides sera déterminante dans le développement de leur attractivité, et il faudra prouver aux investisseurs que le modèle est pérenne. Les collectivités pourraient être également à l’initiative de concepts d’infrastructures ou, du moins, compléter le modèle d’exploitation des équipements existants avec une vision publique qui viendra favoriser une pratique raisonnée des jeux vidéo et créer des lieux dédiés à l’apprentissage. La perspective des Jeux olympiques de 2024 en France pourrait être un formidable terrain d’expériences pour promouvoir et lancer ces nouveaux modèles en développant une vision française sur une nouvelle manière de jouer et pratiquer du sport tout en créant de véritables lieux de vie. Un terrain de jeu passionnant s’ouvre à qui voudra s’en emparer.

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